Position du complément circonstanciel de temps

La place même d’un complément circonstanciel dans la phrase peut relever d’un problème de faux ami.

Même quand le complément circonstanciel de temps semble être exprimé de façon identique en anglais et en français, il faut se méfier de la tendance à procéder à une traduction en français qui maintient l’ordre des éléments de la phrase en anglais. Prenons la phrase suivante :

Faced with the growing need of educators for cyberbullying materials specifically for the classroom, Parry launched the StopCyberbullying Toolkit in 2011.

Le complément circonstanciel de temps « in 2011 » se traduit de toute évidence par « en 2011 ». Mais est-il approprié de le laisser au même endroit dans la phrase en français ? À mon avis, la réponse est non :

En réponse au besoin croissant qu’ont les éducateurs de disposer de ressources sur les cyberintimidations adaptées à la salle de classe, Parry a lancé la trousse StopCyberbullying en 2011.

Bien entendu, cette phrase n’est fausse ni sur le plan sémantique ni sur le plan grammatical. Mais pour moi, cette syntaxe consistant à mettre le complément circonstanciel de temps à la toute fin est quelque chose de propre à l’anglais, qui ne correspond pas à ce qui se dit naturellement en français.

En français, on dira plutôt :

En 2011, en réponse au besoin croissant qu’ont les éducateurs de disposer de ressources sur les cyberintimidations adaptées à la salle de classe, Parry a lancé la trousse StopCyberbullying.

Le sens est le même. La différence entre l’anglais et le français se situe dans l’ordre naturel des différents éléments de la phrase. Il y a la cause (« Faced with the growing need… »), la conséquence (« Parry launched… ») et le complément circonstanciel de temps (« in 2011 »).

L’anglais utilise ici naturellement l’ordre cause – conséquence, parce que la structure « faced with… » est une structure en apposition avec un participe passé directement lié au sujet du verbe principal, de sorte qu’il serait difficile de mettre la cause après la conséquence. (On pourrait aussi insérer l’apposition directement après le sujet du verbe principal, mais cette interruption entre le sujet et le verbe est quelque chose qui se fait plus naturellement en français qu’en anglais.)

Le complément de temps, quant à lui, pourrait se mettre à différents endroits dans la syntaxe de la phase. Il pourrait venir au tout début (« In 2011, faced… ») ou entre la cause et la conséquence (« Faced with […], in 2011 Parry launched… »). Mais il tombe ici à la fin de la phrase, après la conséquence. Cela n’a rien de choquant en anglais.

En français, dans une telle situation, on a tendance à privilégier l’ordre chronologique plutôt que l’ordre logique, et donc à mettre en premier le complément de temps. La cause (« en réponse au… ») vient toujours avant la conséquence (« Parry a lancé… »), mais les deux sont précédés par le complément de temps. Pourquoi ? C’est difficile à dire… Je pense qu’il s’agit surtout de l’importance en français du mode narratif. Cette phrase s’inscrit dans une chronologie et il est tout particulièrement important, en français, de guider le lecteur en lui rappelant les principales étapes, c’est-à-dire les dates marquantes dans le récit, grâce à la mise en relief en début de phrase.

C’est une différence subtile et délicate à expliquer, mais l’impact de cette différence sur la syntaxe n’a rien de subtil et fait que la place même des différents éléments dans la phrase relève, dans certains cas, de ce qu’on peut appeler un faux ami.