libre (free)

Exemple type de faute introduite par des spécialistes d’un domaine qui s’autoproclament lexicographes alors qu’ils ne maîtrisent pas eux-mêmes la langue et ne se méfient pas suffisamment des anglicismes.

Il y a quelques années, le gouvernement canadien a introduit un nouveau type d’épargne pour les contribuables appelé en anglais « Tax-Free Savings Account ». Comme souvent au Canada, la chose a été conçue en anglais par des anglophones et il a fallu trouver un terme français équivalent pour la population francophone.

Qu’est-ce que les traducteurs du gouvernement fédéral ont pondu ? Le « compte d’épargne libre d’impôt ».

C’est pour moi un anglicisme inacceptable.

L’adjectif libre est effectivement, dans plusieurs cas, l’équivalent français de l’adjectif anglais free. Mais il est très important d’examiner de près les définitions et les utilisations de libre en français.

Or, quand on examine l’article détaillé sur l’adjectif dans un dictionnaire comme le Grand Robert, il apparaît clairement que la structure libre de n’existe, en français, que dans des cas où l’adjectif libre s’applique à des personnes et non à des choses. On peut bien dire, ainsi, en français, que quelqu’un est libre d’entraves, libre de toute pression, etc.

On peut, par extension, appliquer la structure libre de à des choses plus ou moins abstraites qui sont clairement associées à une personne, comme son esprit ou son cœur. On pourra donc aussi dire des choses comme cœur libre de haine ou esprit libre de préjugés.

De même, on pourra utiliser la structure pour des concepts comme la justice, sachant que, là encore, il est question, en réalité, des personnes qui sont l’incarnation de ce concept. On pourra donc dire que la justice est libre de toute pression quand on veut dire en réalité que ce sont les juges qui le sont.

Mais ce qui n’existe tout simplement pas, en français, c’est l’utilisation de la structure libre de dans un sens métaphorique appliqué à des choses, comme l’adjectif free dans tax-free savings account. En anglais, tax-free veut en effet dire « free of taxes ». Mais, de même qu’on ne peut pas dire qu’une route est « *libre d’obstacles » (obstacle-free) ou qu’un yaourt est « *libre de sucre » (sugar-free), on ne peut tout simplement pas dire qu’un compte bancaire est « *libre d’impôt ». Il y a plusieurs façons de dire qu’un compte n’est pas soumis à l’impôt, mais la plus consacrée en français standard serait :

compte d’épargne exonéré d’impôt

Je sais bien qu’une base terminologique de référence comme TERMIUM, utilisée par de si nombreux traducteurs au Canada, donne la structure *libre d’impôt comme correcte, mais, si on vérifie les sources utilisées pour justifier cette mention « correcte », on verra qu’il s’agit de deux sources canadiennes ayant une légitimité relativement limitée sur le plan lexicographique. Ce n’est parce qu’on se fait auteur d’un Dictionnaire de la comptabilité et de la gestion financière qu’on est à l’abri des anglicismes, au contraire. Ce sont bien souvent les spécialistes de disciplines particulières qui s’autoproclament lexicographes et qui prétendent légitimer des expressions que l’usage normal dans la langue courante ne justifie pas.

Pour moi, il s’agit d’un exemple type d’anglicisme qui s’est sournoisement introduit dans le français canadien sous l’impulsion de spécialistes d’un domaine particulier (la comptabilité ou la fiscalité ici) qui ne maîtrisent pas suffisamment eux-mêmes les questions lexicographiques et ne sont pas suffisamment conscients des anglicismes qui pullulent dans leur domaine de spécialisation.