pratiquer (to practice)

Ce qui peut donc induire les francophones influencés par l’anglais en erreur, c’est que le verbe qui est un faux ami dans un contexte/sens donné peut très bien être utilisé dans un autre sens dans un contexte voisin. Tel est bel et bien le cas pour le verbe « pratiquer ».

Ces deux verbes forment une paire de faux amis très répandus au Canada francophone, parce que, bien entendu, les sports, la musique, etc. sont des activités qui, dans nos sociétés, exigent toutes… de la pratique.

Eh oui, tout le problème est là : il y a des contextes où le substantif français pratique est bel et bien synonyme du substantif anglais practice. Mais cela ne veut pas dire que le verbe français pratiquer soit synonyme du verbe anglais to practice !

Il suffit pour s’en rendre compte de consulter un dictionnaire bilingue comme le Robert & Collins. Dans ce dictionnaire, pour le verbe to practice (ou to practise), le sens qui nous intéresse n’est pas le sens 1.a, « mettre en pratique », mais le sens 1.b, « s’exercer à faire quelque chose ».

Dans ce sens-là, les choses sont claires : on n’utilise jamais, en français, le verbe pratiquer. S’il s’agit d’un sport, on utilise le verbe s’entraîner. S’il s’agit d’un instrument de musique, on utilise s’exercer, travailler ou encore répéter (avec un C.O.D. comme « un morceau de musique »).

En revanche (et là, un dictionnaire bilingue comme le Robert & Collins montre bien ses limites), il y a d’autres sens où le verbe pratiquer s’emploie bel et bien en français. Par exemple, on dira bien de quelqu’un qu’il pratique un sport. Mais cela ne veut pas dire qu’il s’entraîne dans ce sport. Cela veut dire que le sport en question est un sport auquel il s’adonne. Or, en anglais, dans ce sens-là, on n’utilise pas le verbe to practice, mais plutôt to play.

Ce qui peut donc induire les francophones influencés par l’anglais en erreur, c’est que le verbe qui est un faux ami dans un contexte/sens donné peut très bien être utilisé dans un autre sens dans un contexte voisin. Tel est bel et bien le cas ici.

En outre, ce qui est vrai pour le verbe n’est pas nécessairement vrai pour le substantif de la même famille. Comme je l’indique au premier paragraphe ci-dessus, on peut bel et bien dire, en français, qu’un sport comme l’escrime est quelque chose qui exige de la pratique, tout comme l’anglais dirait it takes practice. Ici, le substantif français et le substantif anglais ont le même sens, qui est celui d’« exercices répétés en vue de développer ses compétences ».

Malheureusement, cette synonymie ne s’étend pas aux autres sens du substantif. Ainsi, on entend aussi parfois les francophones du Canada dire qu’ils doivent aller à une *pratique de hockey. Malheureusement, dans ce cas-ci, on retombe dans l’anglicisme. Qu’il s’agisse de sport, de musique ou d’autre chose encore, le substantif pratique ne peut être employé que pour évoquer le fait même de s’adonner à la chose (ou l’idée générale de s’entraîner à la chose) et non une session particulière d’entraînement à la chose. On pourra donc dire en français quelque chose comme :

La pratique du hockey est très répandue au Canada.

Mais cela ne concerne pas l’entraînement au hockey. Cela concerne le fait même qu’on s’adonne à ce sport qu’est le hockey.

Vous trouverez encore d’autres explications et d’autres exemples sur cette page de la banque d’articles « Le français sans secrets » du Portail linguistique du Canada.

Éviter les faux amis, cela demande de la pratique et surtout de la méfiance !

frustrer (to frustrate)

À moins de vouloir donner à toutes sortes de situations de la vie quotidienne des connotations pulsionnelles ou sexuelles, il importe d’éviter soigneusement d’utiliser à tour de bras « frustrer » et ses dérivés en français aux sens que l’anglais donne à « to frustrate » et à ses dérivés.

Ce verbe est un exemple typique de faux ami lexical « sournois ». La différence de sens entre l’anglais et le français n’est en effet pas flagrante et, du coup, sous l’influence de l’anglais, un trop grand nombre de francophones, en particulier au Canada, utilisent le verbe frustrer et ses dérivés dans des sens qu’ils n’ont pas en français.

Les dictionnaires sont pourtant clairs à ce sujet. Si on consulte le Robert & Collins, par exemple, on verra que, pour le verbe to frustrate, le dictionnaire donne les équivalents français contrecarrer, déjouer ou faire échouer (quand le verbe est appliqué à une chose, comme un complot, des efforts, etc.) et contrarier ou énerver (quand le verbe est appliqué à une personne).

Autrement dit, aucun des équivalents du verbe anglais to frustrate n’est le verbe français frustrer !

La situation mérite cependant qu’on s’y attarde davantage. Que veut dire exactement le verbe frustrer en français et pourquoi n’est-il pas un équivalent approprié du verbe anglais ?

Pour répondre à ces questions, il convient d’examiner les définitions d’un dictionnaire unilingue français. Le Robert indique, pour commencer (sens 1.a), que frustrer quelqu’un (de quelque chose), c’est le priver de cette chose, d’un avantage escompté, promis ou attendu. Dans ce sens, on utiliserait en anglais une tournure comme to deprive somebody of something — et certainement pas le verbe to frustrate, qui n’a pas ce sens en anglais. Il faut noter, cependant, que ce sens du verbe en français relève d’une langue, disons, « classique » et non de la langue courante d’aujourd’hui.

Il en va de même pour le deuxième sens (1.b) mentionné par le Robert, qui est une nuance différente de la même notion de privation. Il est intéressant de noter que, sous ce sens 1.b, le Robert mentionne « par métonymie » la tournure frustrer les efforts de quelqu’un, en disant qu’elle est équivalente à frustrer quelqu’un du résultat de ses efforts. (La métonymie consiste ici à faire de les efforts le C.O.D. au lieu de quelqu’un.)

C’est la première fois que je rencontre cette tournure. Si elle existe vraiment, c’est peut-être un cas de chevauchement (au moins partiel) entre l’emploi du verbe to frustrate en anglais et l’emploi du verbe frustrer en français — mais peut-être seulement : l’accent en français reste mis sur le résultat plutôt que sur le processus. Quoi qu’il en soit, cette tournure, si elle existe, est sans doute très rare et ne justifie en aucun cas l’élargissement des emplois de frustrer en français au sens du verbe to frustrate dans la langue courante.

Le sens 1.c du Robert concerne simplement l’emploi du verbe frustrer dans le même sens, mais avec des choses abstraites au lieu de biens concrets.

Le sens 2 du Robert est le suivant : « ne pas répondre à (un espoir, une attente) ». L’objet direct est ici une chose et cette chose est quelque chose qu’on espère, qu’on attend. On peut aussi frustrer quelqu’un dans son attente.

Là encore, ce sens ne correspond à aucun des sens du verbe to frustrate en anglais, dont le sens principal tourne autour de la notion d’« empêcher ». Évidemment, on pourrait dire que, en empêchant quelqu’un de faire quelque chose, on finit par le frustrer dans son attente, mais cela ne veut pas dire qu’on le *frustre de faire quelque chose. Ce sont bel et bien deux sens différents.

Je dirais que ce sens 2 donné par le Robert est plus courant en français, mais qu’il n’est quand même pas si courant que cela.

D’ailleurs le Robert lui-même réserve le label « courant » au sens 3 du verbe, qui est le sens qui relève de la psychologie et de la psychanalyse et qui est celui de « mettre dans un état de frustration », le substantif frustration lui-même étant pris au sens de « état d’une personne qui se refuse ou à qui on refuse la satisfaction d’une demande pulsionnelle ».

Autrement dit, en français, dans son sens le plus courant, le verbe frustrer a de fortes connotations affectives et même, avouons-le, sexuelles.

Du coup, à chaque fois que l’on traduit le verbe anglais to frustrate par le verbe français frustrer — ou le participe passé adjectival frustrated by le français frustré, ou le participe présent adjectival frustrating par le français frustrant —, on commet à mon avis une erreur grave, parce que le verbe anglais n’a en aucun cas de telles connotations affectives ou sexuelles.

Le seul cas où le sens du verbe anglais semble rejoindre quelque peu celui du verbe français, c’est lorsqu’on utilise frustrate, frustrating ou frustrated pour exprimer l’idée d’agacement, d’énervement. Mais là encore, il est à mon avis faux de rendre cela par frustrer, frustrant ou frustré en français, parce qu’on donne à l’agacement ou à l’énervement des connotations qu’il n’a tout simplement pas en anglais.

Comme l’indique le Robert & Collins, ce sens-là de l’anglais sera rendu en français par des mots comme énervé, contrarié, etc.

À moins de vouloir donner à toutes sortes de situations de la vie quotidienne des connotations pulsionnelles ou sexuelles, il importe donc d’éviter soigneusement d’utiliser à tour de bras frustrer et ses dérivés en français aux sens que l’anglais donne à to frustrate et à ses dérivés.

suggérer (to suggest)

Faute assez répandue au Canada français, avec l’emploi du verbe « suggérer » dans un sens qu’il n’a pas avec une proposition conjonctive en français.

Je viens de recevoir un message électronique de Postes Canada, qui traverse en ce moment une période de crise avec une grève qui paralyse le service postal partout au pays. Et voici un extrait de ce message, de toute évidence traduit de l’anglais :

Beaucoup de commentaires ont *suggéré que le service postal n’avait plus d’importance pour les Canadiens.

Je retrouve facilement l’original anglais du message sur le Web :

Recently there’s been a lot of commentary suggesting postal service no longer matters to Canadians.

Le principal problème de l’énoncé français, comme je l’indique en gras, concerne le verbe suggérer. Le traducteur de Postes Canada l’utilise ici dans un sens qu’il n’a tout simplement pas en français, qui est celui de « laisser à penser », « sembler indiquer ».

En français, le verbe suggérer a bien le sens de « susciter l’idée ou l’image de quelque chose » ou de « faire penser à quelque chose », qui peut sembler assez proche du sens évoqué ci-dessus. Mais ce sens n’existe que pour le verbe employé avec un complément d’objet direct qui est un groupe nominal. Le verbe suggérer ne peut pas avoir ce sens lorsqu’il est employé avec une proposition infinitive (suggérer [à quelqu’un] de faire quelque chose) ou, comme ici, avec une proposition conjonctive introduite par que.

Quand il est employé avec une proposition infinitive ou conjonctive, le verbe suggérer, en français, a toujours comme sujet un nom de personne, a toujours (sous forme sous-entendue ou explicite) un complément d’objet indirect qui est une personne (à quelqu’un) et a toujours le sens de « donner à quelqu’un l’idée de faire quelque chose », « conseiller à quelqu’un de faire quelque chose », etc.

Or ce n’est bien entendu pas le cas ici. Ici, le sujet est un nom de chose (commentaires) et non de personne et surtout, le verbe est employé sans complément indirect. En outre, la proposition conjonctive ne décrit pas quelque chose qu’on conseille à quelqu’un de faire, mais un état de fait, un constat.

Que faudrait-il écrire alors ici ? Eh bien, tout simplement, par exemple, laisser à penser ou sembler indiquer :

Beaucoup de commentaires faits récemment semblent indiquer que le service postal n’a plus d’importance pour les Canadiens.

(Je change aussi le temps des verbes, qui n’est pas approprié ici.)

Il ne s’agit pas d’un cas isolé. Je rencontre régulièrement dans mes travaux de traduction des originaux anglais relevant du domaine de la recherche universitaire ou des médias qui contiennent des structures du type :

Recent studies suggest that…

ou encore :

Research suggests that…

On rencontre bien trop souvent au Canada de mauvaises traductions dans lesquelles cette tournure est rendue par quelque chose comme :

La recherche *suggère que…

alors qu’il faudrait tout simplement dire quelque chose comme :

D’après les recherches, …

ou bien :

Les dernières recherches semblent indiquer que…

Mais j’irai encore plus loin. Il y a aussi des cas où l’anglais utilise to suggest avec un complément d’objet direct qui est un groupe nominal, mais où ce groupe nominal est en fait l’équivalent de quelque chose qui serait plus naturellement exprimé à l’aide d’une proposition conjonctive en français.

Je donnerai comme exemple cette page de Fisheries and Oceans Canada sur les moules, dont le titre est :

Research suggests new benefit of IMTA in pathogen depletion by mussels

Et voici ce que dit la version française de la page :

Les recherches suggèrent un nouvel avantage de l’AMTI dans la déplétion de pathogènes par les moules

Même avec un complément d’objet direct qui est un groupe nominal, pour moi la traduction n’est pas vraiment correcte. En effet, ce que l’anglais veut vraiment dire ici, c’est quelque chose comme :

Research suggests that IMTA may bring new benefit in pathogen depletion by mussels

Ce qu’indiquent les recherches, c’est un fait, une possibilité qui s’exprime plus naturellement sous la forme d’une proposition conjonctive en français. L’emploi d’un groupe nominal plutôt qu’une proposition conjonctive en anglais relève surtout d’un souci de concision, puisqu’il s’agit du titre d’un article, dans lequel l’auteur cherche à réduire au minimum le nombre de mots, en supprimant aussi par ailleurs les articles, comme le fait si naturellement l’anglais.

On retombe donc sur le même emploi de to suggest que celui qui est évoqué plus haut, ce qui veut dire que, ici encore, le verbe français suggérer n’est pas vraiment approprié. Le traducteur fait d’ailleurs clairement la faute plus loin dans le texte, où l’on trouve bel et bien la tournure suggest that, qui ne peut pas être rendue, comme le fait l’auteur, par *suggèrent que.

Pour le titre, même si l’anglais n’utilise pas de proposition conjonctive, on dira donc plutôt :

D’après les recherches, l’AMTI pourrait contribuer à la déplétion de pathogènes grâce aux moules

(Je ne m’attarde pas ici sur l’emploi du mot déplétion, qui me semble suspect. C’est un autre problème.)

Voir aussi:

contribuer (to contribute)

Les deux verbes ont un sens comparable, mais ne se construisent pas de la même façon, ce qui oblige le français à s’écarter d’une traduction littérale de l’anglais.

Le verbe français contribuer et le verbe anglais to contribute ont dans une large mesure le même sens. Mais il existe des différences notables entre l’anglais et le français, en particulier dans la façon dont le verbe se construit.

La première différence concerne le complément du verbe. En anglais comme en français, le verbe peut être utilisé comme un verbe transitif indirect. En anglais, il se construit avec la préposition to. En français, il se construit avec la préposition à. Ainsi :

He contributed to his own downfall.

devient en français :

Il a contribué à sa propre chute.

Mais l’anglais est beaucoup plus souple que le français en ce qui concerne le type de complément d’objet indirect que le verbe accepte. En anglais, on peut « contribuer » à toutes sortes de choses, alors qu’en français, on contribue avant tout à un processus.

Ainsi, quand l’anglais dit :

He’ll be instrumental in managing the day to day financial responsibilities as well as contributing to the long term strategic objectives for the company.

il est impossible de dire en français :

Il jouera un rôle essentiel dans la gestion des responsabilités financières au quotidien et contribuera également *aux objectifs stratégiques à long terme de la société.

Pourquoi ? Parce qu’un objectif n’est pas un processus. En français, on peut contribuer à des actions appliquées à un objectif, mais pas à un objectif lui-même. Si on y réfléchit bien, c’est la même chose en anglais. Mais pour une raison ou une autre, en anglais moderne, les gens ont tendance à prendre un raccourci et à ne pas exprimer le processus concerné.

En français, il faut donc expliciter ce qui est implicite en anglais. La phrase ci-dessus donnera donc quelque chose comme :

Il jouera un rôle essentiel dans la gestion des responsabilités financières au quotidien et contribuera également à la réalisation des objectifs stratégiques à long terme de la société.

Bien entendu, rien n’interdit de penser que l’anglais sous-entendait plus que cela et impliquait également que la personne en question participerait à la définition de ces objectifs. On pourra donc aussi dire quelque chose comme :

Il jouera un rôle essentiel dans la gestion des responsabilités financières au quotidien et contribuera également à la définition et à la réalisation des objectifs stratégiques à long terme de la société.

On a ici une certaine liberté, puisque l’original anglais ne prend pas la peine d’expliciter le ou les processus auxquels la personne contribuera. Mais l’essentiel est que le complément de contribuer en français soit un groupe nominal décrivant un processus.

Dans le premier exemple donné plus haut, chute est bel et bien un processus. Il existe certes quelques exemples en français de tournures où le français autorise un raccourci plus ou moins comparable à celui que l’anglais autorise. On pourra ainsi dire :

L’argent ne fait pas le bonheur, mais il y contribue.

On peut donc contribuer au bonheur. Le bonheur n’est peut-être pas un processus à proprement parler, mais ce qui est sous-entendu ici, c’est que l’argent contribue à faire le bonheur, à susciter le bonheur de la personne. Il y a donc là encore un processus.

Mais ce genre de raccourci est beaucoup plus rare en français et dans la plupart des cas, il sera impératif que le complément décrive un processus.

Parfois, le processus sous-entendu en anglais est vraiment vague, comme dans la phrase ci-dessous :

He is able to contribute to society.

Là encore, il est impossible de traduire littéralement :

Il est en mesure de *contribuer à la société.

La raison est que la société n’est pas un processus. On pourrait alors dire quelque chose comme :

Il est en mesure de contribuer au fonctionnement de la société.

Mais c’est un peu maladroit. On préférera dans ces cas-là utiliser une autre façon de contourner le problème, qui est de remplacer le verbe contribuer par l’expression apporter une contribution :

Il est en mesure d’apporter une contribution à la société.

Comme, dans cette tournure, la société devient le C.O.I. du verbe apporter et n’est plus directement le complément de contribuer, qui a été remplacé par le substantif contribution, le problème de l’explicitation du processus implicite ne se pose plus.

L’autre différence entre l’anglais to contribute et le français contribuer est plus évidente : le verbe anglais peut également se construire avec un complément d’objet direct. En anglais, on peut en effet « contribuer quelque chose à quelque chose », ce quelque chose étant la contribution qu’on apporte à l’autre chose (souvent une somme d’argent). Cette structure est inacceptable en français. Le verbe contribuer ne se construit jamais avec un C.O.D.

La question suivante, apparaissant sur un forum québécois, est donc inacceptable :

Est-ce que je peux *contribuer plus que ce que donne l’employeur ?

L’emploi de contribuer avec un C.O.D. est malheureusement une erreur assez répandue au Canada francophone.