Médias sociaux (social media)

Raisons pour lesquelles je recommande d’éviter « médias sociaux » en français.

Avec l’avènement de Facebook, de Twitter, d’Instagram, etc. dans les années 2000, il s’est avéré nécessaire de disposer en français d’un terme pour les désigner collectivement. Comme les Anglais avaient déjà inventé social media et que le français avait déjà media(s) (ou média[s]), les gens se sont dit, de toute évidence, que la solution allait de soi et qu’on pouvait dire médias sociaux en français.

J’aimerais expliquer ici pourquoi, à mon avis, c’est une erreur et c’est un calque abusif de l’anglais.

L’explication est à chercher du côté de l’étymologie même du mot media.

Le mot anglais media est le pluriel de medium, lui-même directement emprunté au latin (comme un certain nombre d’autres mots anglais). Il faut bien comprendre, pour commencer, que, en anglais, medium a le sens de « support » — pour la communication, pour l’expression artistique, pour l’enregistrement, etc. C’est ce sens-là qui a donné, au pluriel, media au sens de « supports pour la communication » et enfin, par glissement, « supports pour la communication de masse » : journaux, magazines, télévision, etc. (Il est alors en fait l’abréviation de mass-media.)

Je mets en relief « de masse » parce que c’est pour la question qui nous préoccupe ici un élément essentiel. En effet, en français, le mot medium n’existe pas au singulier au sens de « support ». Le mot médium (avec un accent aigu) existe certes en français, mais dans des sens différents (étendue de la voix en musique, liquide servant à détremper les couleurs en peinture ou personne réputée douée pour la communication avec les esprits).

Le Robert mentionne certes medium (avec ou sans accent), mais pas au sens de « support », seulement comme synonyme de media au sens français du terme et encore, en précisant bien qu’il est rare dans ce sens.

Or, dans le sens qui nous intéresse ici, media, en anglais, comme le précise bien le Robert et comme je l’ai indiqué ci-dessus, est en fait l’abréviation de mass-media, c’est-à-dire « supports pour la communication de masse ». Autrement dit, le mot français media, avec ou sans s et avec ou sans accent aigu, inclut l’idée d’une communication à grande échelle. Il décrit les supports de communication qui touchent le plus grand nombre — c’est-à-dire, comme je l’ai dit, les journaux, les magazines, la télévision, etc.

La question qui se pose maintenant est celle de savoir si, quand l’anglais choisit de désigner les sites comme Facebook, Twitter, Instagram, etc. sous l’appellation social media, il utilise media au simple sens de « support de communication » ou au sens plus précis de support pour la « communication de masse ».

À mon avis, il l’utilise au simple sens de « support de communication ». La définition de social media en anglais est en effet « websites and applications that enable users to create and share content or to participate in social networking ». Ce sont des supports de communication « sociaux » parce qu’ils facilitent la création par les individus eux-mêmes de communautés, de réseaux de relations.

Ce ne sont pas forcément des « supports de communication de masse ». Bien entendu, Twitter, Facebook, Instagram, etc. peuvent bel et bien être utilisés par certains utilisateurs comme supports pour la communication de masse. C’est le cas pour les artistes qui souhaitent communiquer directement avec tous leurs nombreux admirateurs, pour les hommes politiques qui souhaitent convaincre les électeurs, pour les gouvernements qui souhaitent communiquer avec leurs citoyens, pour les médias traditionnels qui souhaitent toucher leur auditoire sur Internet, etc.

Mais Twitter, Facebook, Instagram, etc. sont aussi et surtout utilisés par des millions de gens comme des outils de communication avec un nombre beaucoup plus limité de personnes et ils ne sont plus, alors, des « supports pour la communication de masse ». Ils sont simplement des supports de communication. Ils facilitent la communication avec un groupe, mais ce groupe n’est pas nécessairement « massif », bien au contraire.

Ce que cela implique, pour moi, c’est qu’on ne peut alors pas vraiment dire médias sociaux en français, parce que médias tout seul a déjà en français le sens de « supports pour la communication de masse » et que l’ajout de sociaux n’efface pas cette nuance et rend en réalité la formule incongrue. Si Facebook, Twitter, Instagram, etc. sont des médias en français, alors cela veut dire qu’ils font partie de la même catégorie que les journaux, les magazines, la télévision, etc. Or, comme je l’ai dit, ils peuvent faire partie de cette catégorie quand ils sont utilisés par certaines catégories d’utilisateurs pour la communication de masse, mais c’est un cas particulier et non quelque chose qui les définit.

Quelle solution alors en français ? Pour moi, elle est simple : le meilleur terme pour social media en français est réseaux sociaux. Cela concorde parfaitement avec la définition de social media en anglais (« tools to participate in social networking ») et, d’ailleurs, social network est également utilisé dans ce sens en anglais. (Voir le film The Social Network de David Fincher sur Mark Zuckerberg, créateur de Facebook.)

L’emploi de réseaux sociaux a en outre l’avantage d’éviter toutes les complications liées à l’emploi du pluriel latin en -a et à l’hésitation sur le singulier et le pluriel en français. On peut simplement dire que Facebook est « un réseau social », alors que dire que Facebook est « un média social » me paraît beaucoup moins naturel en français.

Bien entendu, tout cela est mon avis personnel. Il est probable que médias sociaux est déjà irrémédiablement entré dans le vocabulaire et qu’il n’est plus possible de revenir en arrière. Mais je constate aussi que, quand on compare les statistiques pour « médias sociaux » aux statistiques pour « réseaux sociaux » à l’aide du Révélateur linguistique, le terme réseaux sociaux semble avoir un avantage certain. Et, au singulier (« média social » et « réseau social »), la différence est encore plus tranchée.

Ma recommandation est donc, en l’état actuel, de privilégier réseau social et réseaux sociaux en français pour désigner individuellement ou collectivement Facebook, Twitter, Instagram et les autres.

if you have any questions

L’équivalent français de « any » dans un contexte positif n’est pas toujours « quelconque » si l’on veut utiliser la formule consacrée. Elle n’est même pas toujours nécessaire.

La production d’une bonne traduction exige non seulement du traducteur qu’il évite de faire des fautes, mais également qu’il respecte les idiomatismes de la langue et exprime les choses de la façon la plus naturelle ou la plus courante.

On trouve souvent, dans des communications, la formule :

If you have any questions, feel free to call…

Voici un exemple en anglais sur le site Web Canoë Santé.

Si le traducteur cherche à coller de trop près à l’original anglais, il rendra l’anglais any en utilisant l’adjectif quelconque en français :

Si vous avez une question quelconque, n’hésitez pas à appeler…

Ce n’est bien entendu pas faux et l’emploi du singulier question au lieu du pluriel questions est conforme aux exigences de la grammaire française. (Quand on a plusieurs questions, on en a nécessairement au moins une.)

Cela dit, à mon avis, cette formule française — utilisée dans la version française du site Web cité ci-dessus — calque de trop près l’anglais. Dans ce contexte, en français, la formule consacrée en français est la suivante :

Si vous avez la moindre question, n’hésitez pas à appeler…

Le sens est en gros le même. La seule différence est que le français souligne le fait qu’on peut poser n’importe quelle question, y compris la plus insignifiante.

Il s’agit du pendant positif de l’utilisation de moindre en combinaison avec la négation dans des tournures comme pas la moindre idée, pas la moindre preuve, pas le moindre sou, pas la moindre envie, etc.

L’équivalent anglais de moindre selon les dictionnaires est le superlatif slightest, mais bien entendu l’emploi de cet adjectif dans un tel contexte serait plutôt incongru. Il est à réserver aux cas où l’on tient vraiment mettre l’accent sur la disponibilité de l’interlocuteur et sur le fait que rien n’a trop peu d’importance pour mériter qu’on fasse appel à lui.

Cette nuance de sens, si elle est toujours présente dans moindre en français, est quelque peu atténuée par le fait que l’emploi de moindre dans un tel contexte constitue aujourd’hui une formule plus ou moins figée, où le véritable sens des mots n’est plus pleinement invoqué.

François Lavallée note qu’il est également possible de ne pas se soucier du tout de rendre any en français et de le considérer comme un « déterminant neutre » à peu près vide de sens. Dans ce cas, on pourra dire tout simplement :

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à appeler…

D’ailleurs, si l’on utilise Google à des fins purement statistiques, on constate que cette formule semble être nettement plus répandue que la formule avec moindre. C’est peut-être une question de niveau de langue. Il est possible de considérer que l’emploi de moindre relève d’un registre légèrement plus soutenu. Or, au Canada francophone, dans le contexte de la traduction en milieu minoritaire en particulier, on ne peut pas nier qu’il existe, chez les traducteurs, la peur d’être mal compris par leur auditoire francophone, qui ne maîtrise pas nécessairement tous les registres de la langue française. Alors, pour ne pas prendre de risque, on évite parfois les mots un peu moins courants…

Dans cette autre formule, on note aussi, par ailleurs, le retour du pluriel (des questions). Dans les tournures négatives avec any en anglais, on utilise systématiquement le pluriel (par exemple : I don’t have any questions). En français, dans la même situation, on utilise soit aucun(e), qui impose le singulier (je n’ai aucune question), soit la négation simple et de, qui, pour les noms comptables, peut prendre soit le singulier soit le pluriel (je n’ai pas de question ou je n’ai pas de questions). (Voir aussi à ce sujet mon article sur aucun.)

En dehors du contexte négatif, la grammaire française est souple. Ici, en l’occurrence, il serait incongru de dire si vous avez une question, car, même si le fait d’avoir une question n’exclut pas a priori — d’un point de vue purement logique — la possibilité qu’on en ait plusieurs, une telle formule laisse à penser qu’on ne souhaite pas que vous posiez plus d’une question. Le contexte hypothétique (avec si) a, à certains égards, comme le contexte interrogatif, certains points communs avec le contexte négatif. (Voir par exemple l’emploi de jamais dans un sens positif.) Plusieurs choses sont indéterminées, y compris, comme ici, le nombre éventuel de questions qu’on aurait à poser. Dans ce cas, il est préférable d’utiliser le pluriel.

(La formule avec moindre aborde, comme on l’a vu, les choses sous un angle différent, qui impose le singulier.)

Je dirais donc que, dans les expressions comme if you have any questions, le déterminant any employé en dehors du contexte de la négation est un faux ami qu’il faut éviter de systématiquement rendre par le mot français recommandé par les dictionnaires, à savoir quelconque. Il existe d’autres formules plus consacrées et plus idiomatiques en français, comme la formule avec moindre, ou bien on peut simplement considérer qu’il n’est pas nécessaire de traduire le mot.

A(n)… is…

Faute de syntaxe courante chez les traducteurs au Canada, qui ont tendance à trop se focaliser sur les problèmes de lexique.

J’ai déjà, dans un article antérieur, évoqué les problèmes posés par les phrases anglaises utilisant la structure another… is… Dans le même ordre d’idées, j’aimerais évoquer aujourd’hui ceux posés par les phrases utilisant la structure a(n)… is…

Comme toujours, la meilleure façon de procéder est de commencer par un exemple :

The team members decide that a function of the team is to review caseloads.

Les traducteurs en herbe qui se focalisent trop sur le lexique et oublient de tenir compte des différences de syntaxe risquent d’être tentés de proposer une traduction comme la suivante :

Les membres de l’équipe décident qu’*une fonction de l’équipe est d’examiner les dossiers.

C’est pour moi une grosse erreur, parce que ce n’est tout simplement pas ce qui se dit naturellement en français. L’article indéfini français un(e) n’appelle pas les mêmes structures syntaxiques que son équivalent anglais a(n). Comme souvent, la grammaire anglaise est pleine de sous-entendus et, dans ce cas-ci, ce qui est sous-entendu est que l’équipe a plusieurs fonctions et que celle qu’on évoque ici n’en est qu’une parmi d’autres.

Le français a lui-même ses propres sous-entendus et ses propres tournures elliptiques, mais celle-ci n’en fait pas partie. Le français a en quelque sorte horreur du vide et préfère souvent expliciter l’implicite, même si cela allonge le texte.

Dans ce cas-ci, cela signifie qu’il faut dire explicitement, d’une manière ou d’une autre, que l’équipe a plusieurs fonctions et que celle qu’on évoque n’en est qu’une parmi d’autres :

Les membres de l’équipe décident que l’une des fonctions de l’équipe est d’examiner les dossiers.

La différence est subtile, mais cruciale. Le français dit deux choses : en utilisant l’article défini les (sous sa forme contractée avec la préposition de, dans des), il indique clairement que l’équipe a un ensemble plural de fonctions et, en utilisant la tournure (l’)un(e) de, il indique que la fonction évoquée dans cette phrase n’est qu’un élément particulier de cet ensemble.

Au Canada, je vois bien trop souvent des traductions dans lesquelles le traducteur s’est contenté de calquer la structure anglaise, sans expliciter le caractère plural de l’ensemble dont l’élément fait partie en remplaçant a(n)… par (l’)un(e) des

tel que (such as)

Il est clair pour moi que les Canadiens francophones font un usage abusif de l’expression « tel que ». Et je crains fort que ce soit sous l’influence de l’anglais, à cause de l’ubiquité de l’expression « such as » dans cette langue et de la fausse impression que « tel que » en est systématiquement l’équivalent en français.

Il est clair pour moi que les Canadiens francophones font un usage abusif de l’expression tel que. Et je crains fort que ce soit sous l’influence de l’anglais, à cause de l’omniprésence de l’expression such as dans cette langue et de la fausse impression que tel que en est systématiquement l’équivalent en français.

Prenons un exemple parmi des centaines :

Help on accessing alternative formats, such as Portable Document Format (PDF), Microsoft Word and PowerPoint (PPT) files, can be obtained in the alternate format help section.

En français, cela donne :

Si vous avez besoin d’aide pour accéder aux formats de rechange, tels que Portable Document Format (PDF), Microsoft Word et PowerPoint (PPT), visitez la section d’aide sur les formats de rechange.

Je passe, comme d’habitude, sur les autres problèmes de traduction que pose cette phrase (formats de rechange, absence de déterminant, accéder, etc.). Ce qui me dérange ici, c’est l’automatisme consistant à utiliser tel que en français dès qu’on voit such as en anglais. Ce n’est pas parce que l’anglais utilise une tournure en deux mots qu’on est obligé de faire la même chose en français.

Il va sans dire que (du moment qu’il est bien accordé) l’emploi de tel que n’est pas faux ici. Mais est-il vraiment nécessaire ? Je me trompe peut-être, mais il me semble que, en anglais, l’emploi de such as est surtout répandu pour deux principales raisons. D’une part, la préposition like a un caractère très commun, surtout de nos jours, qui fait que son emploi relève souvent d’un registre de langue inférieur, pour ne pas dire familier. Je pense donc que les anglophones utilisent souvent such as, en particulier dans la langue écrite, pour donner à leur texte un caractère plus recherché ou soigné.

L’autre raison — celle qui est, en tout cas, avancée par certains grammairiens — est qu’il y aurait une nuance de sens, à savoir que like impliquerait une comparaison, alors que such as impliquerait la notion d’inclusion (de ce qui suit la préposition dans une catégorie, un ensemble). À ce titre, such as se rapproche de including, que j’ai eu l’occasion d’évoquer dans un autre article.

Cette deuxième raison est assez discutable et relève sans doute d’un purisme excessif. C’est peut-être simplement une façon artificielle de justifier l’emploi de such as par des motifs grammaticaux, au lieu d’admettre qu’il s’agit simplement d’une question de registre de langue.

Quoi qu’il en soit, il me semble évident que la préposition française comme ne souffre pas en français du même problème que like en anglais. Si vous utilisez comme dans la langue écrite, il ne viendrait à l’idée de personne de vous accuser de ne pas écrire dans une langue suffisamment soignée.

Du coup, l’effet de l’emploi de tel que à la place de comme est inverse. Au lieu de donner à votre style une teneur plus soignée, il le rend plutôt ampoulé. En effet, sachant que comme est tout à fait acceptable, qu’est-ce que vous avez à gagner à utiliser tel que ? Au mieux, vous arriverez à faire croire à votre interlocuteur ou lecteur que vous êtes capable d’utiliser un bon français (alors que cela ne le prouve pas vraiment).

Au pire, si vous utilisez tel que alors que vous ne maîtrisez pas les règles d’accord et si vous pensez à tort qu’il s’accorde avec ce qui suit plutôt qu’avec ce qui précède, vous risquez de vous humilier en faisant une faute de grammaire élémentaire que l’emploi de comme (qui est évidemment invariable) vous aurait permis d’éviter.

Par exemple, comme le soulignent les « Clefs de la rédaction » du Portail linguistique du Canada, dans une expression comme les fruits acides tels que l’orange, la fraise et la pomme, tel s’accorde en genre avec fruits (masculin) et non avec les exemples de fruits qui suivent (qui sont tous, en l’occurrence, des substantifs féminins).

(Le même article indique que la règle est à priori différente pour tel employé sans que, même s’il y a beaucoup d’hésitation. Pour moi, tel sans que à la place de comme est encore plus prétentieux et est à réserver au domaine littéraire.)

L’autre problème qui se pose avec tel que est celui de l’emploi concomitant d’une virgule. Les grammairiens anglais se posent la même question avec such as en anglais, et leur réponse est que la virgule peut être obligatoire ou facultative, selon que ce que such as introduit est essentiel au sens de la phrase ou non.

La règle est à priori la même en français. Mais j’irais plus loin. Prenons l’énoncé suivant, qui décrit quelque chose qu’on s’attend à ce que les élèves d’un cours donné soient capables de faire :

demonstrate an understanding of the significance of cultural resources such as theatres, museums and galleries

L’anglais n’utilise pas de virgule. Ce qui suit semble donc essentiel au sens de l’énoncé. (Autrement dit, il est indispensable de préciser ce qu’on veut dire par cultural resources.) Qu’est-ce que cela donne en français ? Si on calque de trop près l’anglais, cela donne quelque chose comme :

montrer qu’on comprend l’importance de ressources culturelles telles que les théâtres, les musées et les galeries d’art

Mais en réalité, il s’agit là d’une traduction trop facile. L’énoncé anglais fait, comme souvent, deux choses d’un seul coup. Il décrit l’attente et il fournit en même temps une définition de ce que désigne l’expression cultural resources. C’est un raccourci qui exigerait, à priori, deux phrases séparées en français (une pour la définition et une pour l’attente).

Heureusement, le français a quand même lui aussi une certaine souplesse et permet de construire une phrase complexe au lieu de faire deux phrases séparées. Pour rendre correctement l’énoncé anglais, je privilégierais donc quelque chose comme :

montrer qu’on comprend l’importance des ressources culturelles que sont les théâtres, les musées et les galeries d’art

Cet énoncé a l’avantage d’indiquer à la fois ce qu’on entend par ressources culturelles et l’attente concernant ces ressources culturelles (à savoir que l’élève doit montrer qu’il en comprend l’importance).

On remarquera ici que ma solution élimine entièrement la nécessité de choisir un équivalent français pour la tournure anglaise such as. Elle montre bien que le recours systématique au français tel que est une solution de facilité, un calque qui ne correspond pas nécessairement à ce qui se dit naturellement en français.

Par ailleurs, il convient de mentionner ici le problème de la tournure tel que + participe passé. C’est un problème distinct, que je pourrais traiter dans un article séparé. Mais je peux aussi vous renvoyer à ce que dit à ce sujet le Portail linguistique du Canada. Cette fois, c’est la structure anglaise as + participe passé qu’on a tendance à calquer abusivement en français. Il y a bien certains contextes dans lesquels le calque est acceptable (encore que ce soit discutable), mais, comme souvent, ces contextes sont exclusivement ceux où il y a concordance entre la grammaire et le sens, c’est-à-dire ceux où tel a bel et bien un antécédent explicite dans la phrase, qui est un nom ou un pronom.

croire (to believe)

Le verbe « croire » est un verbe dont il faut se méfier, surtout quand on est tenté de l’utiliser en français pour rendre des tournures comme « to believe that… », « to feel that… »

Le domaine des croyances et des convictions est délicat à aborder. Non seulement les gens sont attachés à leurs convictions, mais de plus, pour le verbe croire lui-même, les nuances de sens et la diversité des constructions possibles font qu’il est parfois difficile de… convaincre.

Aujourd’hui, je suis tombé sur le site suivant : www.demarque.com. Il s’agit du site d’une entreprise québécoise qui assure la diffusion et la distribution de « contenus numériques ». (Je suis tombé dessus parce que ce site offre désormais en abonnement les dictionnaires Le Robert, à des prix malheureusement assez prohibitifs.)

Et, pour moi, les problèmes de langue commencent dès le sous-titre à la page d’accueil :

Nous croyons qu’il est important d’offrir aux producteurs de contenus numériques des outils de grande qualité pour vendre et diffuser leurs oeuvres.

Où est le problème, direz-vous ? Cette phrase semble utiliser le verbe croire dans le premier sens que lui donne le Grand Robert, justement, à savoir : « Tenir pour véritable, donner une adhésion de principe à… (sans avoir de preuve, d’évidence formelle) »

Certes. Mais, si vous avez une certaine connaissance de l’anglais et si vous connaissez la situation du français en Amérique du Nord, vous reconnaîtrez immédiatement ici un calque direct de l’anglais. Il est courant, en effet, chez les anglophones, d’exprimer la philosophie de son organisme en utilisant des énoncés commençant par we believe that…, we feel that…

En est-il de même en français ? Pour moi, la réponse est clairement non. Plus que le sens du verbe croire en français, c’est son usage qui est en question ici. Il y a en effet quelque chose de légèrement impudique à se présenter en utilisant une telle formule. Pourquoi ? Parce qu’on a le sentiment que le locuteur veut nous faire part de ses croyances les plus intimes, les plus personnelles. Or ce n’est pas vraiment de cela qu’il s’agit ici. Il s’agit de l’idée qui sous-tend les activités de l’entreprise, du créneau qu’elle pense avoir déniché (ou créé). L’acte de foi, l’entreprise l’a commis en choisissant ce créneau, en s’y consacrant dans l’objectif d’engendrer suffisamment d’activités pour pouvoir dégager un bénéfice et prospérer.

Est-il vraiment approprié pour une entreprise de formuler ainsi sa philosophie ? En anglais, peut-être, mais en français, j’aurais tendance à dire que non, que c’est maladroit et signe que le locuteur est trop influencé par l’anglais. Le français exige à mon avis une plus grande pudeur. On peut ainsi éviter le verbe croire en utilisant plutôt le concept de conviction :

Nous sommes convaincus qu’il est important d’offrir aux producteurs de contenus numériques des outils de grande qualité pour vendre et diffuser leurs oeuvres.

Mais c’est peut-être encore trop impudique. Pourquoi ne pas dire tout simplement :

Pour nous, il est important d’offrir aux producteurs de contenus numériques des outils de grande qualité pour vendre et diffuser leurs oeuvres.

Je ne sais pas si le texte du site de De Marque a été rédigé en anglais puis traduit en français ou si c’est l’inverse. Mais quoi qu’il en soit, le texte français est pour moi trop proche de l’anglais, trop influencé par l’anglais, ce qui en fait soit une traduction maladroite soit un signe que son auteur est trop influencé par l’anglais même si le texte n’est pas une traduction.

Vous me direz : « Où sont vos preuves ? » Comme on l’a vu ci-dessus, la consultation des dictionnaires n’est pas nécessairement concluante. C’est plutôt le genre de problème auquel une connaissance intime de la langue rend sensible. Je ne peux que vous demander de me… croire. Le verbe croire est un verbe dont il faut se méfier, surtout quand on est tenté de l’utiliser en français pour rendre des tournures comme to believe that…, to feel that…

(Pour les anglophones, il y a aussi un faux ami en sens inverse, dans la mesure où croire que a aussi en français un sens « dilué » qui ne se rend pas par to believe en anglais. Exemple : Je crois que je ferais mieux de lui donner un coup de fil. En anglais, on dira : I think I’d better give him a call.)

Participe ou substantif ? [2]

J’ai déjà expliqué, dans un article antérieur, qu’il fallait se méfier des structures de type participe + substantif en français. Dans cet article antérieur, je fournissais comme exemple principal une structure avec un participe passé. Pour illustrer davantage le caractère répandu du phénomène, j’aimerais évoquer ici un exemple très courant de structure avec un participe présent.

J’ai déjà expliqué, dans un article antérieur, qu’il fallait se méfier des structures de type participe + substantif en français qui sont calquées sur l’anglais. Alors que l’anglais tolère aisément un décalage entre l’élément central sur le plan grammatical et l’élément central sur le plan sémantique, tel n’est pas le cas en français, et la structure participe + substantif se rend généralement plutôt à l’aide d’une expression du type substantif + complément du nom.

Dans cet article antérieur, je fournissais comme exemple principal une structure avec un participe passé. Pour illustrer davantage le caractère répandu du phénomène, j’aimerais évoquer ici un exemple très courant de structure avec un participe présent.

Il s’agit de l’expression anglaise changing needs et de la façon dont elle est rendue en français. Lorsqu’on fait une recherche dans les différents sites Web bilingues du gouvernement du Canada, on trouve pour commencer des exemples où le traducteur n’est pas tombé dans le piège du calque et s’est bien efforcé de rendre l’expression en changeant la structure.

Mais il n’est pas nécessaire de pousser très loin la recherche pour trouver un exemple problématique :

Parliament is always evolving to meet the changing needs of Canadians.

Pour cette page, le traducteur est bel et bien tombé dans le piège :

Le Parlement évolue constamment pour répondre aux *besoins changeants des Canadiens.

Quel est le problème ici ? Il est tout simplement que l’évolution évoquée se fait non pas pour répondre aux besoins, mais pour tenir compte de l’évolution des besoins. Autrement dit, l’élément central sur le plan sémantique n’est pas needs, mais changing, et cela signifie qu’il faut changer la structure grammaticale en français pour faire de la notion exprimée par le participe présent l’élément central de la proposition :

Le Parlement évolue constamment pour répondre à l’évolution des besoins des Canadiens.

Si on est dérangé par l’emploi du verbe répondre avec le complément l’évolution, il ne faut pas hésiter à le remplacer lui aussi :

Le Parlement évolue constamment pour tenir compte de l’évolution des besoins des Canadiens.

Même situation sur cet autre site du gouvernement :

The Mint continues to adapt to the changing needs of the marketplace.

La version française de la page dit :

La Monnaie royale continuera de s’adapter aux *besoins changeants du marché.

Ce n’est pas aux besoins que la Monnaie royale s’adapte, mais à l’évolution de ces besoins, au fait même que ces besoins changent. On dira donc plutôt :

La Monnaie royale continuera de s’adapter à l’évolution des besoins du marché.

Je pourrais continuer avec d’autres exemples. Mais je ne pense pas que ce soit nécessaire. Je pourrais aussi faire des recherches sur d’autres expressions courantes du type participe présent + substantif, avec des participes comme increasing, decreasing, widening, expanding, etc.

Dans tous ces exemples, cependant, le principe resterait strictement le même. Le français tolère bien moins que l’anglais le décalage entre grammaire et sens. Je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est lié à d’autres aspects fondamentaux de la langue, comme l’intonation et l’accentuation. Le français est une langue plus « logique », plus rigide que l’anglais — ce qui a, bien entendu, à la fois des avantages et des inconvénients. Mais lorsqu’on veut traduire, il est indispensable de tenir compte de telles différences fondamentales et de respecter l’« esprit » de la langue de destination, en résistant à la tentation du calque grammatical.

intéressé (interested)

Il n’y a rien du point de vue logique qui empêche en théorie l’existence de « intéressé à + infinitive », mais c’est une question d’usage. Dans la pratique, on utilise d’autres tournures et il me semble évident que la persistance de la structure « être intéressé *à faire quelque chose » au Canada francophone est liée de près à l’influence excessive de l’anglais sur le plan grammatical.

J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer le cas du substantif intérêt, qui est à mon avis un faux ami partiel. Mais comme je l’indiquais dans mon article de janvier, la famille de mots composée du substantif intérêt, du verbe intéresser et de tous leurs dérivés est caractérisée à la fois par une grande polysémie et une pluralité de formes — et il en va de même pour interest en anglais — de sorte que, si les notions que le mot évoque se retrouvent dans les deux langues, il y a plusieurs constructions qui peuvent prêter à confusion et susciter l’apparition de calques fautifs dans le passage d’une langue à l’autre.

Le cas qui… m’intéresse aujourd’hui est celui du participe passé adjectival, soit interested en anglais et intéressé en français. En anglais, ce participe passé adjectival se construit avec la préposition in, suivie d’un groupe nominal ou d’une proposition en –ing.

Prenons un exemple avec groupe nominal :

I am not interested in a career in the movies.

Il me semble qu’il ne viendrait à l’idée de personne de rendre cela à l’aide de la préposition à en français :

Je ne suis pas intéressé *à une carrière au cinéma.

En français, on dira plutôt :

Je ne suis pas intéressé par une carrière au cinéma.

ou encore :

Je ne m’intéresse pas à une carrière au cinéma.

Deux structures différentes, qui veulent en gros dire la même chose. Mais le seul cas où la préposition à apparaît est celui de la forme pronominale du verbe, c’est-à-dire s’intéresser.

On pourra aussi dire :

Cela ne m’intéresse pas de faire carrière au cinéma.

Mais évidemment, de ce cas-ci, on modifie le sujet, qui n’est plus un groupe nominal, mais une proposition infinitive. Et la préposition de n’est pas vraiment utilisée avec intéresser. Elle est simplement le résultat de l’application de la tournure impersonnelle avec cela à la proposition faire carrière au cinéma ne m’intéresse pas et sert à introduire l’infinitive en position de complément.

Enfin, remarquons qu’on peut aussi éviter tout simplement de recourir à la famille lexicale intérêt/intéresser et dire quelque chose comme :

Je ne souhaite pas faire carrière au cinéma.

Tout ceci pour dire que, pour la structure avec groupe nominal, la situation est donc relativement claire.

La question qui se pose alors est la suivante : pourquoi la structure intéressé à + infinitif est-elle si répandue au Canada francophone (avec le sens courant d’intéressé), alors qu’elle est inusitée en français moderne ?

Voici un exemple en anglais, tiré comme d’habitude des sites Web du gouvernement du Canada :

I’m not interested in quitting.

Et voici son équivalent français, tel qu’on le trouve sur la page française correspondante :

Je ne suis pas intéressé *à cesser de fumer.

Pour moi, cette structure est à éviter. Pourquoi ? Parce que, de même qu’on n’utilise pas à avec intéressé avec un groupe nominal, on ne l’utilise pas avec une proposition infinitive.

C’est en effet la combinaison du participe adjectival intéressé et de la préposition qui détermine son sens. Ainsi, intéressé dans signifie autre chose (« avoir un intérêt financier dans une entreprise, un projet, etc. »). On peut certes intéresser quelqu’un à quelque chose en français moderne, mais c’est au sens de « faire participer, associer quelqu’un au profit d’une affaire » (par exemple, intéresser les travailleurs aux bénéfices de l’entreprise).

Dans le sens général d’intéresser, en revanche, c’est-à-dire dans le sens « être de quelque intérêt, de quelque importance, de quelque conséquence pour quelqu’un », on ne retrouve pas la préposition à, parce que l’objet de l’intérêt est le sujet de la proposition (par exemple, cette entreprise intéresse le repreneur). Du coup, avec le participe passé adjectival, on a, comme on l’a vu ci-dessus, une structure passive avec par : le repreneur est intéressé par cette entreprise.

Le hic, c’est que la préposition par ne se prête pas vraiment à une construction avec infinitive :

Je ne suis pas intéressé *par cesser de fumer.

Du coup, chez les francophones trop influencés par l’anglais, la tentation est grande d’utiliser une préposition qui semble se prêter mieux à la construction avec infinitive et qui permet de calquer l’original anglais, c’est-à-dire la préposition à.

Dans ce cas comme dans le cas du groupe nominal, cependant, la solution est en fait d’utiliser une des autres tournures, à savoir :

Cela ne m’intéresse pas de cesser de fumer.

On s’écarte du calque trop systématique de la structure grammaticale de l’original anglais, et on a quelque chose qui se dit bien plus naturellement en français moderne.

Vous trouverez certes, si vous faites des recherches, des gens qui cherchent à défendre la structure intéressé à + infinitif — alors même qu’ils avouent ne pas l’aimer, d’ailleurs ! — mais cette défense est à mon avis maladroite, parce qu’elle repose, comme c’est souvent le cas au Canada, sur un recours à l’histoire de la langue française (ce qui est toujours risqué) pour excuser l’anglicisme, sous prétexte qu’on aurait ici la survie d’une forme classique oubliée ailleurs. (Cela reste à prouver.)

À part quelques exemples littéraires isolés, l’utilisation de cette structure dans des cas où l’on ne soupçonne pas l’influence de l’anglais — comme l’exemple donné dans l’article de la structure [e]lles ne sont plus intéressées *à retrouver leur famille, « entendu[e] à TF1 », chaîne de télévision française — relève à mon avis d’un phénomène lié à l’oralité et au fait qu’on peut parfois être piégé par son propre choix de mots et en quelque sorte « obligé » de terminer sa phrase en faisant avec. À partir du moment où l’on choisit d’utiliser la structure X est intéressé, si l’on veut absolument terminer la phrase avec une infinitive au lieu d’un groupe nominal, on n’a pas grand choix : soit on reprend sa phrase avec une tournure différente, soit on triche.

Tout ceci ne change rien au fait qu’il me semble impossible de nier que, si la tournure est si répandue aujourd’hui au Canada francophone, c’est d’abord et avant tout sous l’influence de l’anglais. Et cela en fait donc, en ce qui me concerne, un faux ami qu’il faut éviter.

Pour conclure, il me faut quand même aussi noter le sens 7 donné au verbe intéresser par le Robert, qui est un autre sens de la structure intéresser quelqu’un à quelque chose (avec un sujet nom de personne) : c’est le sens de « faire prendre intérêt, goût ». On parlera, par exemple, d’un enseignant qui s’efforce d’intéresser ses élèves à la matière qu’il enseigne. C’est certes un sens très voisin de celui qui nous concerne, même s’il suppose la présence explicite d’un agent qui suscite l’intérêt. Il n’en reste pas moins que rien n’indique que cette structure soit compatible avec l’emploi d’une construction infinitive. Au contraire, je pense que le locuteur francophone qui souhaite utiliser cette structure fera tout son possible pour convertir l’infinitive en un groupe nominal. Au lieu de dire, par exemple, que l’enseignant s’efforce d’intéresser ses élèves *à explorer l’œuvre de Marcel Proust, il dira : l’enseignant s’efforce d’intéresser ses élèves à l’exploration de l’œuvre de Marcel Proust.

Par ailleurs, les élèves que l’enseignant ne parvient pas à intéresser à la matière ne diront pas je ne suis pas intéressé *à la matière, mais je ne suis pas intéressé par la matière ou la matière ne m’intéresse pas.

On retombe donc sur ce que je dis plus haut. En français moderne, il existe certes un certain nombre de structures bâties à partir des mots de la famille lexicale intérêt/intéresser, mais la structure être intéressé *à faire quelque chose n’en fait pas partie. Il n’y a rien du point de vue logique qui empêche en théorie son existence, mais c’est une question d’usage. Dans la pratique, on utilise les diverses tournures correctes évoquées plus haut et il me semble évident que la persistance de la structure être intéressé *à faire quelque chose au Canada francophone est liée de près à l’influence excessive de l’anglais sur le plan grammatical.

Verbe ou substantif ?

Un exemple de différence entre verbe et substantif qui justifie le rejet d’un calque de l’anglais.

Comme on a déjà eu l’occasion de le voir à plusieurs occasions, le problème des faux amis entre l’anglais et le français ne se limite pas au lexique. Ce qui est parfois trompeur, c’est la structure même de la phrase. Il faut résister à la tentation du calque, parfois parce que le résultat n’est pas idiomatique, parfois parce que le résultat, sans être faux, n’est pas ce qui se dit le plus naturellement dans la langue concernée.

Voici un exemple selon moi typique, qui concerne la différence entre verbe et substantif. En anglais, on rencontrera une tournure comme la suivante :

Internal medicine is a field which truly fascinates me.

On pourrait être tenté de calquer d’assez près la structure anglaise, en respectant simplement la place normale de l’adverbe en français, qui tombe, sauf exception, après le verbe :

La médecine interne est un domaine qui me fascine véritablement.

Le résultat n’est pas faux. Mais il ne correspond pas, selon moi, à ce qui se dit naturellement en français, en particulier dans le contexte, comme ici, d’une lettre de motivation, où il y a un souci de rédiger son texte dans une langue assez soignée.

Pourquoi une telle structure n’est-elle pas naturelle en français ? C’est, d’après moi, une question d’intonation et d’accent. L’anglais peut facilement mettre l’accent sur le verbe conjugué fascinates dans la phrase ci-dessus.

Il n’est pas possible d’en faire de même en français, où la rigidité des règles d’intonation et d’accentuation fait que l’accent tombe toujours sur le dernier élément du groupe rythmique ou de la proposition. Or, dans cette phrase, le concept de fascination est plus important que l’adverbe (véritablement) qualifiant cette fascination et il s’agit davantage d’un état que d’une action.

Le français aura donc plus naturellement tendance à utiliser le substantif au lieu du verbe et à utiliser une tournure comme :

La médecine interne est un domaine qui exerce sur moi une véritable fascination.

C’est certes un peu plus long (comme souvent en français), mais cela respecte davantage l’ordre naturel des mots et l’importance respective que donne la syntaxe aux différents éléments de la phrase. La fascination est désormais exprimée à l’aide d’un substantif, et l’adverbe devient un adjectif, qui, dans ce cas particulier, se place avant le substantif.

La différence est peut-être subtile aux yeux de certains, mais elle est selon moi assez importante pour mériter d’être donnée en exemple.

spécifique

Ne pas calquer l’emploi de l’adjectif français sur celui de l’équivalent anglais.

L’adjectif anglais specific et l’adjectif français spécifique sont en gros synonymes du point de vue purement sémantique. En revanche, il y a une différence de taille entre les deux sur le plan grammatical, qui en fait de faux amis.

Voici un exemple typique tiré du titre d’une page du gouvernement fédéral du Canada :

Marriage Overseas: Information Specific to Morocco

Et voici le titre de la page française équivalente :

Mariage à l’étranger: Renseignements *spécifiques au Maroc

Cette structure est inacceptable. À la différence de l’anglais specific, le français spécifique ne peut se construire avec un complément. Il a le même sens que l’adjectif anglais, mais ne peut s’employer que sous la forme d’une épithète simple.

Si on veut ajouter à l’adjectif un complément indiquant l’étendue de la spécificité, il est indispensable d’utiliser l’adjectif propre, qui est dans ce cas-ci synonyme et qui peut bel et bien, quant à lui, se construire avec un complément introduit par la préposition à :

Mariage à l’étranger – Renseignements propres au Maroc

On peut aussi éviter de calquer de trop près l’anglais et se contenter d’une structure plus simple qui exprime la même idée :

Mariage à l’étranger – Renseignements pour le Maroc

La structure n’indique pas explicitement que les renseignements sont propres au Maroc, mais c’est évident.

Adjectif ou substantif ?

Pour moi, il est évident que l’émergence même de l’adjectif « sécuritaire » dans la francophonie nord-américaine au sens de l’adjectif anglais « safe » est liée à la paresse grammaticale des locuteurs bilingues et en particulier des traducteurs qui se contentent de calquer la structure grammaticale anglaise et qui alors, du coup, se sentent forcés d’inventer un adjectif qui n’existe pas en français pour rendre l’adjectif anglais.

On a déjà vu, dans des articles antérieurs, que la fonction grammaticale d’adjectif épithète pouvait elle-même être une fausse amie et que, quand l’anglais utilise un participe (présent ou passé) exprimant une action, la tournure équivalente en français, si on veut s’exprimer dans une langue naturelle, peut exiger l’emploi d’un substantif exprimant la même action.

Voici maintenant un autre exemple illustrant le même phénomène, mais pour un adjectif qui n’est pas la forme participiale d’un verbe d’action :

Communication is essential to maintaining a safe worksite.

Les traducteurs ont trop souvent tendance à calquer de trop près la structure anglaise et à vouloir donc rendre ici l’adjectif épithète safe par un adjectif épithète en français. Du coup, on trouve trop souvent, en particulier au Canada, des tournures comme :

La communication est essentielle au maintien d’un lieu de travail *sécuritaire.

Le problème ici est double : il est à la fois grammatical et lexical. Grammatical, parce que la façon de rendre cette phrase dans un français naturel peut exiger un changement de fonction grammaticale pour l’élément central sur le plan sémantique. Et lexical, parce que l’adjectif sécuritaire en français n’a tout simplement pas le sens ni de safe ni de secure.

En effet, en français standard, sécuritaire est exclusivement utilisé pour décrire quelque chose qui relève de la sécurité publique et surtout une politique, une position ou un discours mettant un accent excessif sur les aspects relevant de la sécurité, au détriment des libertés individuelles. Cela n’a rien à voir le sens courant des adjectifs anglais.

Pour résoudre ce problème, on fait d’une pierre deux coups, en utilisant en français le substantif sécurité là où l’anglais utilise l’épithèse safe :

La communication est essentielle au maintien de la sécurité dans le lieu de travail.

Le fait de remplacer l’épithète par un substantif permet d’éviter le problème lexical de l’équivalent adjectival de safe en français et il permet en même temps de remettre l’élément central sur le plan sémantique dans une position plus centrale sur le plan grammatical.

Il y a bien entendu d’autres tournures possibles, qui s’écartent encore davantage de l’original anglais :

Si on veut maintenir la sécurité dans le lieu de travail, il est essentiel d’assurer une bonne communication.

Ou encore :

Pour maintenir la sécurité dans le lieu de travail, il faut assurer une bonne communication.

Mais quelle que soit la tournure retenue, on voit que la notion de sécurité est plus aisément exprimée à l’aide du substantif et non d’un adjectif.

Il existe bien en français un adjectif, sûr, qui peut dans certains cas être considéré comme l’équivalent adjectival de safe. Le problème est que, en raison de la polysémie de sûr et des homonymes (l’adjectif sur, la préposition sur), l’adjectif est assez peu usité dans ce sens, sauf dans des emplois assez spécifiques (un placement sûr, un lieu sûr, etc.). C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles les Québécois ont cru bon (à tort) d’inventer un emploi plus général pour l’adjectif sécuritaire.

On aurait donc pu dire aussi, pour rendre la phrase anglaise ci-dessus :

La communication est essentielle au maintien d’un lieu de travail sûr.

Ce n’est pas totalement faux, mais c’est à mon avis bancal en français, en raison du décalage entre le point central sur le plan grammatical (un lieu) et le point central sur le plan sémantique (sûr). Et il ne me surprendrait pas d’apprendre qu’une des autres raisons pour lesquelles les Québécois utilisent sécuritaire est que sûr est un adjectif monosyllabique et donc en quelque sorte « trop court » pour dire vraiment ce qu’on veut dire. (On pourrait aussi dire sans danger ou sans risque, ce qui serait plus long, mais cela ne résoudrait pas le problème du décalage non plus.)

Pour moi, il est évident que l’émergence même de l’adjectif sécuritaire dans la francophonie nord-américaine au sens de l’adjectif anglais safe (ou secure, la nuance de sens étant généralement trop subtile pour pouvoir être rendue en français) est liée à la paresse grammaticale des locuteurs bilingues et en particulier des traducteurs qui se contentent de calquer la structure grammaticale anglaise et qui se sont alors, du coup, sentis forcés d’inventer un adjectif qui n’existe pas en français (quelque chose qui dise « garantissant la sécurité » mieux que l’adjectif sûr ne le fait) pour rendre l’adjectif anglais.

Et c’est tout simplement inacceptable si on veut s’exprimer dans un français naturel débarrassé de toute influence de l’anglais.

Je suis absolument certain que, chaque fois qu’on rencontre une phrase avec l’adjectif sécuritaire dans la francophonie canadienne, il est possible de dire la même chose dans un français correct en utilisant le substantif sécurité à la place (ou avec l’adjectif sûr quand la structure grammaticale n’est pas en cause).

Il s’agit tout simplement d’être discipliné et de savoir se libérer systématiquement du carcan de la grammaire anglaise quand on cherche à s’exprimer en français correct dans le contexte d’une société dominée par la langue anglaise.