compare and contrast

Les expressions « comparer et distinguer », « comparer et mettre en opposition », etc. ne sont pas idiomatiques et sont à rejeter.

L’expression compare and contrast est fréquemment utilisée en anglais et constitue un faux ami si on essaye de la traduire littéralement. À cet égard, l’examen des diverses tentatives faites par les traducteurs, en particulier ceux qui œuvrent pour le gouvernement fédéral du Canada, est assez instructif.

Tout d’abord, il faut noter ce qui est à la source du problème et complique la situation : c’est que le verbe to contrast n’a pas d’équivalent direct en français. Les dictionnaires bilingues ne sont pas d’un grand secours. Le lexicographe sera naturellement tenté de trouver un équivalent français aussi proche que possible, à la fois lexicalement et grammaticalement, du verbe transitif anglais et proposera donc des choses comme les formes verbales transitives opposer ou mettre en opposition. Mais conviennent-elles vraiment ?

À mon avis, la réponse est non. Voici un premier exemple tiré d’un site du gouvernement fédéral du Canada :

Describe, compare and contrast in detail two events, jobs or procedures.

Et voici ce que contient la version française du site :

Décrire, comparer et mettre en opposition de façon détaillée deux événements, emplois ou procédures.

Ce n’est évidemment pas complètement faux, mais y a-t-il un seul locuteur français pour trouver naturelle une telle structure en français ? Le simple fait de vouloir à tout prix choisir des verbes transitifs directs, pour pouvoir les coordonner tous à la file au début de la phrase avant d’indiquer le complément d’objet direct, est généralement signe de faiblesse dans la traduction, parce que la coordination est rarement aussi facile en français, du fait que les éléments qu’on veut coordonner sont souvent hétérogènes sur le plan grammatical, comme on a déjà eu l’occasion de l’évoquer dans d’autres articles.

Comme comparer et mettre en opposition n’est pas une tournure naturelle en français, les traducteurs un peu plus exigeants essayent de trouver autre chose. Voici un autre exemple, de l’Agence de la santé publique du Canada cette fois :

Compare and contrast innate and adaptive immunity.

Et voici son équivalent français :

Comparer et distinguer l’immunité innée et l’immunité adaptative.

Ce n’est pas vraiment mieux !

Et un autre, toujours de la même source :

How do quantitative and qualitative evidence compare and contrast?

En français, ça donne :

Quel est le classement de ces deux méthodes de recherche (quantitative et qualitative), l’une par rapport à l’autre, en ce qui concerne les meilleures preuves d’efficacité ?

Ouille ouille ouille ! Ça se gâte.

D’autres traducteurs finissent par renoncer :

Compare and contrast conventional and alternative energy sources with respect to criteria such as availability, renewability, cost and environmental impact;

En français, on trouve :

Comparer les sources d’énergie conventionnelles et de remplacement à la lumière de critères tels que la disponibilité, la possibilité de renouvellement, le coût et l’impact sur l’environnement.

Autrement dit, la deuxième moitié de l’expression est passée à la trappe !

C’est une attitude qui se défend. Après tout, une vraie comparaison devrait englober la « mise en opposition » des choses qu’on compare. C’est une situation un peu comparable à celle du fameux and/or que tant de personnes persistent à vouloir utiliser en anglais (et qui se voit de plus en plus en français du même coup, sous la forme et/ou), alors que, par définition, la conjonction or en anglais (ou en français) n’est pas exclusive et englobe la possibilité que les deux éléments coordonnés soient vrais (ou existent) en même temps.

Cela dit, il existe à mon avis une tournure française qui correspond assez bien au compare and contrast anglais et à laquelle aucun des traducteurs cités ne semble avoir songé… C’est tout simplement la formule les points communs et les différences. Elle dit bien exactement ce que compare and contrast veut dire, à savoir qu’on veut déterminer à la fois en quoi les choses comparées sont semblables et en quoi elles sont différentes.

Le seul hic est que cette formule n’est pas un verbe. Alors oui, il faut oser tourner les choses un peu autrement… Dans les différents exemples ci-dessus, cela pourrait ainsi donner, pour le premier :

Décrire de façon détaillée deux événements, emplois ou procédures, en en soulignant les points communs et les différences.

Pour le deuxième :

Indiquer les points communs et les différences entre l’immunité innée et l’immunité adaptative.

Pour le troisième :

Quels sont les points communs et les différences entre les deux méthodes de recherche (quantitative et qualitative) ?

Et pour le dernier :

Mettre en évidence les points communs et les différences entre les sources d’énergie conventionnelles et les sources d’énergie de substitution à la lumière de critères tels que la disponibilité, la possibilité de renouvellement, le coût et l’impact sur l’environnement.

Il me semble que l’expérience est concluante. Dans tous ces cas où l’anglais utilise compare and contrast, le français s’accommode très bien d’une structure tournant autour de la formule les points communs et les différences. Je ne crois donc pas trop m’avancer en déclarant que cette formule est bel et bien l’équivalent français de l’expression anglaise. Elle n’est peut-être pas aussi idiomatique et figée et n’est donc pas vraiment une expression française à proprement parler, mais elle fait parfaitement l’affaire dans tous les exemples mentionnés ci-dessus.

Coordination et adjectifs [1]

Impossible d’utiliser un seul adjectif pour qualifier deux substantifs de nombre différent ou de coordonner deux adjectifs de nombre différent en français.

On a déjà vu les problèmes liés à la coordination lorsque celle-ci est combinée à l’utilisation de prépositions.

Je m’intéresse aujourd’hui à un problème analogue, mais concernant cette fois les adjectifs. Je prends comme exemple l’extrait suivant d’une page du gouvernement du Canada :

Every child has to learn how to fit in with the group while still holding on to their own values and identity.

La page française équivalente donne la traduction suivante :

Chaque enfant doit apprendre à s’intégrer au groupe tout en conservant ses propres valeurs et son identité.

Ce n’est pas faux, mais je crois qu’il est évident que c’est inexact. Dans l’original anglais, l’adjectif own qualifie à la fois values et identity. (Je ne m’attarde pas ici sur le fait qu’il y a une certaine redondance, puisque le déterminant possessif exprime déjà cette même idée d’appartenance.)

Le problème est que cette coordination associe un terme au pluriel à un terme au singulier. Or, en anglais, l’adjectif ne s’accorde pas en nombre avec le substantif, de sorte qu’il n’y a aucune difficulté à n’utiliser qu’une fois l’adjectif en sous-entendant qu’il s’applique aux deux substantifs coordonnés.

Il n’en va pas de même en français. L’adjectif s’accorde en genre et en nombre avec le substantif. Comme l’adjectif propre, équivalent de l’anglais own, est épicène, le seul problème ici est celui de l’accord en nombre. Du moment que l’on convient que l’adjectif s’applique ici aux deux substantifs, peut-on utiliser le même raccourci qu’en anglais ?

Autrement dit, peut-on écrire la phrase suivante ?

Chaque enfant doit apprendre à s’intégrer au groupe tout en conservant ses propres valeurs et identité.

Pour moi, la réponse est clairement non. Et je crois que le traducteur de la page ci-dessus est d’accord avec moi. Sinon, il n’aurait pas hésité à calquer l’anglais au plus près. Mais cela signifie que, pour éviter cette formule tout en maintenant l’application de l’adjectif aux deux substantifs, on n’a d’autre choix en français que de répéter le déterminant et l’adjectif.

Autrement dit, la seule traduction vraiment acceptable pour moi est la suivante :

Chaque enfant doit apprendre à s’intégrer au groupe tout en conservant ses propres valeurs et sa propre identité.

C’est évidemment plus lourd que l’anglais, mais c’est la seule manière de respecter l’original anglais tout en s’exprimant dans une syntaxe naturelle en français.

Pourquoi ne peut-on pas écrire simplement « ses propres valeurs et identité » ? Parce que, en français, la règle générale est qu’on ne peut pas coordonner des éléments hétérogènes. On l’a déjà pour les constructions avec des prépositions différentes. On retrouve le même phénomène ici avec des substantifs dont le nombre est différent.

Le même problème se pose quand on coordonne deux adjectifs de nombre différent. L’un des cas les plus fréquents ici au Canada est celui de la tournure suivante :

the federal and provincial governments

Au Canada, il y a un seul gouvernement fédéral, mais plusieurs provinces et donc plusieurs gouvernements provinciaux (à moins qu’on ne parle que d’une province spécifique). Combien de fois ne trouve-t-on pas, sur les sites Web du gouvernement fédéral et dans d’autres publications au Canada, l’horrible formule :

*les gouvernements fédéral et provinciaux

La recherche de cette expression exacte avec Google sur les sites du gouvernement fédéral donne… environ 136 000 résultats !

C’est pour moi une horreur, d’autant que l’adjectif au singulier vient immédiatement après le substantif au pluriel.

Il est selon moi indispensable de faire la répétition :

le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux

Évidemment, cette règle qui veut qu’on ne coordonne pas des éléments hétérogènes est rarement exprimée clairement et haut et fort dans les grammaires et par les enseignants. Ce n’est pas à proprement parler une règle grammaticale. C’est plutôt quelque chose qu’on apprend par la pratique, à force de lire et d’écouter des textes français exprimés dans une langue naturelle. Le français aime ce qui s’accorde, au sens propre (accord en genre et en nombre) comme au sens figuré (fait d’aller ensemble, de former un ensemble homogène).

C’est aussi un des phénomènes qui expliquent pourquoi les textes français sont toujours plus longs (avec un plus grand nombre de mots) que leurs équivalents anglais. La grammaire anglaise autorise toutes sortes de raccourcis, d’ellipses que le français ne tolère pas. Malheureusement, il arrive trop souvent que les traducteurs et les locuteurs français, sous l’influence de l’anglais, essayent de coordonner des choses qui ne se coordonnent pas, ce qui produit inévitablement des tournures bancales qui ne sont pas naturelles en français.

On retrouvera encore d’autres manifestations de cette aversion pour l’hétérogénéité dans d’autres situations, que j’aborderai dans des articles ultérieurs.

Coordination et prépositions [1]

L’anglais autorise des coordinations qui sont impossibles en français. Il faut donc trouver une autre solution.

Le passage de l’anglais au français pose souvent des problèmes liés à la coordination et à l’utilisation de prépositions.

Le cas qui m’intéresse aujourd’hui est celui de la coordination de verbes qui sont tous transitifs directs en anglais, mais dont les équivalents français ne sont pas tous transitifs directs.

Voici un exemple typique :

What will change is that you’ll soon enter, access and manage all of this information on TIENET.

Les trois verbes anglais utilisés ici (to enter, to access et to manage) sont tous trois transitifs, de sorte qu’il est facile de les coordonner et d’éviter de répéter le complément d’objet direct (all this information).

Malheureusement, parmi ces trois verbes, deux ont un équivalent français qui est lui aussi transitif (to enter = saisir et to manage = gérer), mais l’équivalent français du troisième (to access) est un verbe transitif indirect : accéder à + quelque chose.

Que faire alors pour reproduire la coordination en français ? Il est impossible de calquer directement la syntaxe anglaise et d’écrire :

Ce qui va changer, c’est que vous allez bientôt *saisir, accéder à et gérer toutes ces informations sur TIENET.

La règle générale en français dans le domaine de la coordination est en effet qu’il est impossible de coordonner des éléments hétérogènes. Lorsqu’on veut coordonner plusieurs éléments dans une phrase en français, il faut que ces éléments soient homogènes et se construisent de façon identique sur le plan grammatical. Comme accéder est transitif indirect et exige la préposition à et que saisir et gérer sont transitifs directs, la coordination telle qu’elle se présente ci-dessus est impossible. (On ne peut pas séparer la préposition de ce qui la suit.)

Il existe plusieurs solutions au problème, qui sont plus ou moins élégantes et naturelles en français.

La première consiste à tricher en changeant l’ordre des éléments coordonnés de façon à ce que l’élément qui exige une préposition (accéder ici) se retrouve à la fin de la liste et que sa préposition ne soit donc plus séparée du complément :

Ce qui va changer, c’est que vous allez bientôt *saisir, gérer et accéder à toutes ces informations sur TIENET.

Pour moi, cependant, cette solution n’est pas acceptable, parce que, en français, cette structure implique que les trois verbes coordonnés se construisent tous avec la préposition à, ce qui est évidemment faux.

La deuxième solution consiste à respecter strictement la règle qui veut qu’on ne coordonne que des éléments compatibles et à répéter donc le complément deux fois :

Ce qui va changer, c’est que vous allez bientôt saisir et gérer toutes ces informations et accéder à ces informations sur TIENET.

Ce n’est pas faux, mais c’est malheureusement très lourd et maladroit et cela force aussi à changer l’ordre de la coordination, ce qui n’est pas toujours souhaitable.

La solution que je privilégierais ici est de remplacer le verbe transitif indirect accéder à par un verbe transitif à peu près synonyme. Dans ce cas particulier, je dirais quelque chose comme :

Ce qui va changer, c’est que vous allez bientôt saisir, consulter et gérer toutes ces informations sur TIENET.

Le verbe consulter est ici, pour moi, à peu près synonyme d’accéder à. Je note d’ailleurs que l’anglais à tendance à utiliser le verbe to access plus fréquemment que le français utiliser accéder. Mon impression est que accéder est plus souvent utilisé au sens propre en français (celui d’un accès physique à un lieu), alors que to access est très souvent utilisé en anglais dans un sens figuré. (Les informations ne sont pas un lieu auquel on accède physiquement.)

Comme souvent, il faut donc ici oser s’écarte quelque peu d’une traduction littérale pour produire quelque chose qui est à la fois plus naturel et moins lourd en français.

Mais il faut bien aussi reconnaître que la solution proposée ici est propre à l’exemple particulier fourni. Il n’y a pas de solution universelle qu’on puisse appliquer dans tous les cas. Il est fort possible, par exemple, de rencontrer en anglais une phrase coordonnant des éléments hétéroclites pour lesquels il est impossible de trouver une série d’éléments homogènes correspondants en français. Après tout, il existe de nombreux verbes qui sont transitifs directs dans une langue et transitifs indirects dans l’autre. Ils n’ont pas tous des synonymes qui relèvent de la même catégorie grammaticale en français.

Dans ce cas, on retombe sur la solution précédente, qui oblige à faire des répétitions et à alourdir le texte. Il convient, cependant, d’éviter cette lourdeur dans la mesure du possible.