soumission (submission)

En dehors du domaine du droit administratif, « soumission » est un anglicisme à éviter.

Au sens premier du terme (« disposition à se soumettre, à obéir à quelqu’un »), il y a bien équivalence entre l’anglais submission et le français soumission — quoique l’anglais ait aussi tendance à utiliser submissiveness, qui semble indiquer plus clairement que le terme décrit une qualité ou caractéristique (abstraite) et non un objet (concret).

C’est précisément du côté concret des choses que la situation se gâte. En anglais (to submit) comme en français (soumettre), on peut utiliser le verbe pour indiquer l’acte de « présenter, proposer quelque chose à l’examen, au jugement ou au choix de quelqu’un ». Il semble donc naturel d’utiliser le substantif pour décrire la chose (l’objet) qu’on propose à quelqu’un d’examiner. En anglais, on trouvera donc submission dans ce sens :

Submissions Received by the Task Force
Submission to the Access to Information Review Task Force
SUMMARY OF SUBMISSION (as prepared by the Task Force)
The NGO Working Group on the Export Development Corporation (EDC) demands the EDC be regulated under the Access To Information Act, indicates it would like to see the Act reinforced and a limiting of necessary exemptions. In particular, the Group’s submission supports including institutions that receive federal funding, under the ATI Act. A number of recommendations are made by the Group relating to coverage of the Act, exemptions, Third Party information, public interest override, repeal of s. 24, and mandate and powers of the Commissioner.
Full Submission […]

Et malheureusement, sous l’influence de l’anglais, on trouve aussi soumission dans ce sens. Mais si l’on examine attentivement les définitions des dictionnaires, on constate que le substantif n’est pas utilisé dans ce sens dans la langue courante. Il sert principalement à décrire soit l’acte de se soumettre soit l’aptitude à se soumettre, en tant que personne, à l’autorité ou au pouvoir d’autrui.

Que faut-il dire alors en français ? L’hésitation du traducteur de l’extrait ci-dessus est révélatrice. Voici ce que dit la page française équivalente :

Observations reçues par le Groupe d’étude
*Soumission au Groupe d’étude de l’accès à l’information
RÉSUMÉ DE LA PRÉSENTATION (tel que préparé par le Groupe d’étude de l’accès à l’information)
Le Groupe de travail des ONG sur la Société pour l’expansion des exportations (SEE), qui exige que la SEE soit réglementée par les dispositions de la Loi sur l’accès à l’information, indique qu’il souhaiterait que la Loi soit renforcée et que les exemptions nécessaires soient limitées. Les auteurs de la *soumission du Groupe donnent plus particulièrement leur appui à la proposition d’assujettir les institutions recevant des subventions fédérales à la Loi sur l’accès à l’information. Le Groupe formule également un certain nombre d’autres recommandations relatives au champ d’application de la Loi, aux exemptions, aux renseignements de tiers, à une clause dérogatoire d’intérêt public, à l’abrogation de l’article 24 ainsi qu’au mandat et aux pouvoirs du Commissaire,
*Soumission complète […]

C’est assez remarquable. En l’espace de quelques paragraphes, il a réussi à proposer trois traductions différentes (observation, soumission et présentation) pour le même terme décrivant la même chose !

S’il avait fait preuve d’un peu plus de sérieux, il aurait pu fixer son choix sur un terme comme présentation ou proposition. En effet, contrairement à soumettre, présenter et proposer se prêtent bel et bien à la substantivation. Autrement dit, en français, on ne peut pas soumettre une *soumission, mais on peut bel et bien présenter une présentation et proposer une proposition. Il aurait donc été bien plus naturel d’écrire ici quelque chose comme :

Propositions reçues par le Groupe d’étude
Proposition au Groupe d’étude de l’accès à l’information
RÉSUMÉ DE LA Proposition (tel que préparé par le Groupe d’étude de l’accès à l’information)
Le Groupe de travail des ONG sur la Société pour l’expansion des exportations (SEE), qui exige que la SEE soit réglementée par les dispositions de la Loi sur l’accès à l’information, indique qu’il souhaiterait que la Loi soit renforcée et que les exemptions nécessaires soient limitées. Les auteurs de la proposition du Groupe donnent plus particulièrement leur appui à la proposition d’assujettir les institutions recevant des subventions fédérales à la Loi sur l’accès à l’information. Le Groupe formule également un certain nombre d’autres recommandations relatives au champ d’application de la Loi, aux exemptions, aux renseignements de tiers, à une clause dérogatoire d’intérêt public, à l’abrogation de l’article 24 ainsi qu’au mandat et aux pouvoirs du Commissaire,
Proposition complète […]

Comme, si l’on consulte le reste de la page, on constate que cette proposition contient en réalité une série de recommandations, on aurait également pu utiliser ici recommandations (au pluriel).

Je reconnais, cependant, qu’il est quelque peu arbitraire d’accepter la substantivation (pour décrire l’objet concret) pour des verbes comme présenter, proposer et recommander et de la refuser pour soumettre. C’est là une illustration du côté arbitraire de la langue. Elle n’est pas toujours parfaitement logique.

Cela signifie que, à terme, il est possible que, par analogie, soumission au sens concret de « chose soumise à l’examen de quelqu’un » finisse par être accepté. Il y a d’ailleurs déjà un domaine (le droit administratif) où cet usage semble être reconnu et accepté (soumission ayant le sens concret d’« acte écrit par lequel un concurrent à un marché par adjudication fait connaître ses conditions et s’engage à respecter les clauses du cahier des charges »).

Cependant, il est impossible de nier que, en l’état actuel des choses, cet emploi se fait principalement, dans les domaines autres que le droit administratif, sous l’influence de l’anglais et est donc un anglicisme relevant de la catégorie des faux amis.

Je reconnais également, par ailleurs, qu’il y a des cas où ni présentation ni proposition ne fonctionnent bien comme équivalent de submission (au sens concret) en français. On a souvent, par exemple, au Canada, des processus de consultation lors desquels on invite le grand public ou un groupe de parties intéressées à soumettre des commentaires et des suggestions sur un sujet d’actualité ou une question de politique publique. Ce type de commentaire ou de suggestion, qui prend généralement la forme d’un texte écrit envoyé par la poste ou par voie électronique, ne peut pas être décrit comme étant une proposition, à moins qu’il contienne effectivement une argumentation proposant de faire quelque chose. Il ne peut pas vraiment non plus être décrit comme étant une présentation. Ce dernier terme décrit en effet plutôt un processus d’exposition en public qu’un document écrit présentant des arguments.

Ce genre de situation explique que les traducteurs et autres francophones influencés par l’anglais soient parfois tentés d’utiliser soumission au sens concret. Mais il convient à mon avis de continuer de résister à la tentation, du moins pour le moment. Dans ce cas particulier, on peut tout aussi bien parler simplement d’envoyer par écrit des commentaires ou des suggestions et décrire ce que les gens ont envoyé concrètement à l’aide du même terme. Et, comme le montre l’exemple ci-dessus, il y a encore d’autres possibilités, selon le contexte, comme le terme recommandation, si le document soumis en contient une.

Comme toujours pour les problèmes de langue un peu délicats, où il n’existe pas d’équivalent direct d’un terme dans la langue d’arrivée, tout dépend du contexte.

matériel (material)

Un anglicisme que les pédagogues essayent de nous imposer, mais qui n’est pas justifié par les sens courants du substantif en français.

Dans le milieu universitaire, en particulier au Canada francophone, le substantif français matériel est souvent employé dans un sens qu’il n’a pas dans la langue courante et qu’il est abusif de lui donner même dans le contexte plus pointu d’une discipline universitaire particulière.

En français, le sens courant du substantif est en effet celui d’« ensemble des objets, des instruments, des machines, etc. utilisés dans un service, une exploitation quelconque » (par opposition au substantif personnel, qui fait référence aux ressources humaines). Par extension, il a aussi le sens courant plus général d’« ensemble des objets nécessaires à une activité », notamment sportive (matériel de pêche, matériel de camping, etc.).

Ce qui frappe dans ces sens courants du substantif en français, c’est l’importance du caractère concret, physique de ce dont on parle : des objets, des instruments, des machines, etc. Or c’est précisément sur ce point que le substantif français matériel se distingue de l’anglais material. Il y a certes un certain chevauchement entre la définition du mot français et celle du mot anglais, mais il y a aussi une différence de taille, qui est que le substantif material sert couramment, en anglais, à exprimer quelque chose comme : « faits, informations ou idées utilisées pour créer un livre ou un autre ouvrage ».

Ainsi, on aura en anglais une phrase comme :

There is much good material here for priests to use in sermons.

Il est malheureusement impensable d’utiliser ici le français matériel comme équivalent :

Il y a beaucoup de *matériel ici dont les prêtres pourraient se servir pour leurs sermons.

Au lieu de cela, il faut dire quelque chose comme :

Il y a beaucoup d’idées ici dont les prêtres pourraient se servir pour leurs sermons.

Le « *matériel » dont il est question ici n’a en effet rien de concret, de physique.

Dans mon travail, je rencontre souvent cet anglicisme dans des documents produits par des spécialistes francophones de l’éducation. Ils parlent de *matériel pédagogique pour décrire non seulement des choses comme des blocs, des objets à manipuler en classe, etc. — qui sont bel et bien du matériel — mais aussi et surtout des documents divers, des textes sur lesquels on pourra travailler en classe et qui ont une valeur pédagogique ou dont on peut faire un usage pédagogique (en raison de leur contenu ou de leur forme).

C’est selon moi inacceptable. Si, en anglais, le substantif material peut effectivement, dans le domaine de l’éducation, recouvrir à la fois les articles physiques qui constituent bel et bien en français du matériel et des choses comme des textes, des documents, ce n’est pas le cas pour le substantif matériel en français. En français, matériel ne peut faire référence qu’à des ressources physiques comme celles que j’évoque ci-dessus (blocs, objets, instruments scientifiques, etc.) et non à des documents textuels.

Si on sait que le learning material dont parle un texte anglais consiste exclusivement en des documents textuels, alors on pourra simplement parler de documents en français. Si, en revanche, on n’est pas sûr et il est possible que le terme anglais recouvre à la fois des documents et du matériel, alors il convient d’utiliser un terme plus générique, comme ressources pédagogiques, qui recouvre à la fois les documents textuels et les articles matériels. (Je note aussi au passage l’emploi en français de la forme plurielle, alors que l’anglais peut utiliser le singulier material dans un sens collectif, pour recouvrir une pluralité. L’anglais peut aussi utiliser la forme plurielle materials. En français, matériel est utilisé exclusivement au singulier, mais uniquement pour les objets physiques. Pour toutes les autres sortes de ressources, il faut utiliser des formes plurielles quand il y en a plus d’une, comme ressources ou documents.)

On me rétorquera qu’il existe bel et bien en français un sens du substantif matériel qui semble se rapprocher de celui de l’anglais material. C’est le sens n˚ 4 donné par le Robert, en le qualifiant de « didactique » et de sens relevant du domaine de l’ethnologie ou de la sociologie, où le mot signifie « ensemble des éléments soumis à un traitement (analyse, classement) » et recouvre aussi bien des objets concrets que des documents textuels. On parle par exemple de matériel de propagande pour faire référence à toutes sortes de choses, comme des tracts, des brochures, des affiches, etc. Ce ne sont pas nécessairement ici des choses physiques.

Mais c’est selon moi (et selon le Robert) un sens bien particulier du substantif, réservé à un domaine bien spécifique. Et c’est un sens qui met plutôt l’accent sur le caractère « brut » de ce dont on parle, en évoquant l’idée de données, d’informations de départ pour l’analyse — alors que, dans le sens que les pédagogues francophones donnent fautivement au substantif en français, ce n’est pas de telles données brutes dont il s’agit quand on parle abusivement de *matériel pédagogique, mais bel et bien de documents issus d’un travail de préparation, qui sont tout sauf bruts.

Il faut cesser, quand on utilise les dictionnaires, de profiter de l’excuse qu’un terme a un sens se rapprochant (plus ou moins) de l’anglais dans un domaine pointu et spécialisé pour justifier l’anglicisme dans la langue courante, où il n’a pas lieu d’être et ne peut être défendu. Les abréviations qu’un dictionnaire comme le Robert insère au début du sens d’un mot, avant la définition, sont d’une importance cruciale. Elles circonscrivent son emploi et éliminent la possibilité d’utiliser le mot dans ce sens dans d’autres domaines que celui qui est indiqué.

On me dira, pour finir, que la langue évolue et qu’il peut y avoir des glissements de sens, des généralisations par extension, etc. Cela va de soi et je n’ai jamais dit le contraire. Mais ces glissements se font normalement de façon naturelle et intrinsèque et non sous l’influence exclusive (dans une région géographique ou un domaine spécifique) d’une langue étrangère. Je ne vois rien dans l’évolution normale de la langue française telle qu’elle est utilisée par la majorité des francophones qui justifie l’extension du sens du substantif matériel qu’essayent d’imposer certains pédagogues ou autres spécialistes de l’éducation, sous l’influence évidente de l’anglais.