if you have any questions

L’équivalent français de « any » dans un contexte positif n’est pas toujours « quelconque » si l’on veut utiliser la formule consacrée. Elle n’est même pas toujours nécessaire.

La production d’une bonne traduction exige non seulement du traducteur qu’il évite de faire des fautes, mais également qu’il respecte les idiomatismes de la langue et exprime les choses de la façon la plus naturelle ou la plus courante.

On trouve souvent, dans des communications, la formule :

If you have any questions, feel free to call…

Voici un exemple en anglais sur le site Web Canoë Santé.

Si le traducteur cherche à coller de trop près à l’original anglais, il rendra l’anglais any en utilisant l’adjectif quelconque en français :

Si vous avez une question quelconque, n’hésitez pas à appeler…

Ce n’est bien entendu pas faux et l’emploi du singulier question au lieu du pluriel questions est conforme aux exigences de la grammaire française. (Quand on a plusieurs questions, on en a nécessairement au moins une.)

Cela dit, à mon avis, cette formule française — utilisée dans la version française du site Web cité ci-dessus — calque de trop près l’anglais. Dans ce contexte, en français, la formule consacrée en français est la suivante :

Si vous avez la moindre question, n’hésitez pas à appeler…

Le sens est en gros le même. La seule différence est que le français souligne le fait qu’on peut poser n’importe quelle question, y compris la plus insignifiante.

Il s’agit du pendant positif de l’utilisation de moindre en combinaison avec la négation dans des tournures comme pas la moindre idée, pas la moindre preuve, pas le moindre sou, pas la moindre envie, etc.

L’équivalent anglais de moindre selon les dictionnaires est le superlatif slightest, mais bien entendu l’emploi de cet adjectif dans un tel contexte serait plutôt incongru. Il est à réserver aux cas où l’on tient vraiment mettre l’accent sur la disponibilité de l’interlocuteur et sur le fait que rien n’a trop peu d’importance pour mériter qu’on fasse appel à lui.

Cette nuance de sens, si elle est toujours présente dans moindre en français, est quelque peu atténuée par le fait que l’emploi de moindre dans un tel contexte constitue aujourd’hui une formule plus ou moins figée, où le véritable sens des mots n’est plus pleinement invoqué.

François Lavallée note qu’il est également possible de ne pas se soucier du tout de rendre any en français et de le considérer comme un « déterminant neutre » à peu près vide de sens. Dans ce cas, on pourra dire tout simplement :

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à appeler…

D’ailleurs, si l’on utilise Google à des fins purement statistiques, on constate que cette formule semble être nettement plus répandue que la formule avec moindre. C’est peut-être une question de niveau de langue. Il est possible de considérer que l’emploi de moindre relève d’un registre légèrement plus soutenu. Or, au Canada francophone, dans le contexte de la traduction en milieu minoritaire en particulier, on ne peut pas nier qu’il existe, chez les traducteurs, la peur d’être mal compris par leur auditoire francophone, qui ne maîtrise pas nécessairement tous les registres de la langue française. Alors, pour ne pas prendre de risque, on évite parfois les mots un peu moins courants…

Dans cette autre formule, on note aussi, par ailleurs, le retour du pluriel (des questions). Dans les tournures négatives avec any en anglais, on utilise systématiquement le pluriel (par exemple : I don’t have any questions). En français, dans la même situation, on utilise soit aucun(e), qui impose le singulier (je n’ai aucune question), soit la négation simple et de, qui, pour les noms comptables, peut prendre soit le singulier soit le pluriel (je n’ai pas de question ou je n’ai pas de questions). (Voir aussi à ce sujet mon article sur aucun.)

En dehors du contexte négatif, la grammaire française est souple. Ici, en l’occurrence, il serait incongru de dire si vous avez une question, car, même si le fait d’avoir une question n’exclut pas a priori — d’un point de vue purement logique — la possibilité qu’on en ait plusieurs, une telle formule laisse à penser qu’on ne souhaite pas que vous posiez plus d’une question. Le contexte hypothétique (avec si) a, à certains égards, comme le contexte interrogatif, certains points communs avec le contexte négatif. (Voir par exemple l’emploi de jamais dans un sens positif.) Plusieurs choses sont indéterminées, y compris, comme ici, le nombre éventuel de questions qu’on aurait à poser. Dans ce cas, il est préférable d’utiliser le pluriel.

(La formule avec moindre aborde, comme on l’a vu, les choses sous un angle différent, qui impose le singulier.)

Je dirais donc que, dans les expressions comme if you have any questions, le déterminant any employé en dehors du contexte de la négation est un faux ami qu’il faut éviter de systématiquement rendre par le mot français recommandé par les dictionnaires, à savoir quelconque. Il existe d’autres formules plus consacrées et plus idiomatiques en français, comme la formule avec moindre, ou bien on peut simplement considérer qu’il n’est pas nécessaire de traduire le mot.

comme (as)

Au Canada francophone, on a tendance à utiliser abusivement la préposition « comme » pour rendre la préposition anglaise « as », alors que cela n’est pas toujours approprié.

On a vu dans un autre article que l’anglais such as peut être considéré comme un faux ami quand les Canadiens francophones emploient systématiquement tel que pour le rendre en français, alors que la préposition comme fait parfaitement l’affaire.

J’aimerais ici mentionner un problème inverse, qui est que, toujours au Canada francophone, on a tendance à utiliser abusivement la préposition comme pour rendre la préposition anglaise as, alors que cela n’est pas toujours approprié.

Voici comme d’habitude un exemple tiré des sites bilingues du gouvernement fédéral du Canada :

As a parent I am unable to help my son who so desperately deserves treatment.

Et voici ce que cela donne du côté français :

*Comme mère, je suis incapable d’aider mon fils qui a si désespérément besoin d’un traitement.

Pour moi, c’est une traduction inacceptable. Comme l’indique le Robert & Collins, la préposition comme peut être l’équivalent français de la préposition anglaise as dans des tournures où le sens est « in the capacity of », par exemple dans he works as a waiter, qui donne en français il travaille comme serveur.

Mais elle est inacceptable comme équivalent de la préposition anglaise as dans des tournures où l’on fait référence au statut de la personne ou simplement à ce qu’elle est, à un de ses attributs. Dans ce cas-ci, en français, l’équivalent de la préposition anglaise as est en tant que.

Le Robert & Collins donne justement un exemple comparable à celui qui est cité ci-dessus : as a mother of five children, she is well aware… donne en français en tant que mère de cinq enfants, elle sait très bien…

Ce que le Robert & Collins ne dit pas, c’est que la place même dans la phrase n’est pas non plus forcément la même. Ainsi, dans mon premier exemple, non seulement il faut utiliser en tant que, mais de plus il est judicieux de changer l’ordre de la phrase :

Je suis incapable, en tant que mère, d’aider mon fils qui a tant besoin d’un traitement.

Le changement de l’ordre des éléments est probablement facultatif, mais il me semble préférable et plus naturel de placer la tournure après le sujet et le verbe.

Voici un autre exemple :

As a writer, I prefer to…

L’utilisation de comme en français est ici à proscrire :

*Comme écrivain, je préfère […]

On utilisera en tant que, là encore, de préférence, après le sujet et le verbe :

Je préfère, en tant qu’écrivain, […]

Il faut donc considérer la paire as/comme comme un faux ami. Il y a des cas où comme est le bon équivalent et d’autres où il ne l’est pas. Méfiance !

croire (to believe)

Le verbe « croire » est un verbe dont il faut se méfier, surtout quand on est tenté de l’utiliser en français pour rendre des tournures comme « to believe that… », « to feel that… »

Le domaine des croyances et des convictions est délicat à aborder. Non seulement les gens sont attachés à leurs convictions, mais de plus, pour le verbe croire lui-même, les nuances de sens et la diversité des constructions possibles font qu’il est parfois difficile de… convaincre.

Aujourd’hui, je suis tombé sur le site suivant : www.demarque.com. Il s’agit du site d’une entreprise québécoise qui assure la diffusion et la distribution de « contenus numériques ». (Je suis tombé dessus parce que ce site offre désormais en abonnement les dictionnaires Le Robert, à des prix malheureusement assez prohibitifs.)

Et, pour moi, les problèmes de langue commencent dès le sous-titre à la page d’accueil :

Nous croyons qu’il est important d’offrir aux producteurs de contenus numériques des outils de grande qualité pour vendre et diffuser leurs oeuvres.

Où est le problème, direz-vous ? Cette phrase semble utiliser le verbe croire dans le premier sens que lui donne le Grand Robert, justement, à savoir : « Tenir pour véritable, donner une adhésion de principe à… (sans avoir de preuve, d’évidence formelle) »

Certes. Mais, si vous avez une certaine connaissance de l’anglais et si vous connaissez la situation du français en Amérique du Nord, vous reconnaîtrez immédiatement ici un calque direct de l’anglais. Il est courant, en effet, chez les anglophones, d’exprimer la philosophie de son organisme en utilisant des énoncés commençant par we believe that…, we feel that…

En est-il de même en français ? Pour moi, la réponse est clairement non. Plus que le sens du verbe croire en français, c’est son usage qui est en question ici. Il y a en effet quelque chose de légèrement impudique à se présenter en utilisant une telle formule. Pourquoi ? Parce qu’on a le sentiment que le locuteur veut nous faire part de ses croyances les plus intimes, les plus personnelles. Or ce n’est pas vraiment de cela qu’il s’agit ici. Il s’agit de l’idée qui sous-tend les activités de l’entreprise, du créneau qu’elle pense avoir déniché (ou créé). L’acte de foi, l’entreprise l’a commis en choisissant ce créneau, en s’y consacrant dans l’objectif d’engendrer suffisamment d’activités pour pouvoir dégager un bénéfice et prospérer.

Est-il vraiment approprié pour une entreprise de formuler ainsi sa philosophie ? En anglais, peut-être, mais en français, j’aurais tendance à dire que non, que c’est maladroit et signe que le locuteur est trop influencé par l’anglais. Le français exige à mon avis une plus grande pudeur. On peut ainsi éviter le verbe croire en utilisant plutôt le concept de conviction :

Nous sommes convaincus qu’il est important d’offrir aux producteurs de contenus numériques des outils de grande qualité pour vendre et diffuser leurs oeuvres.

Mais c’est peut-être encore trop impudique. Pourquoi ne pas dire tout simplement :

Pour nous, il est important d’offrir aux producteurs de contenus numériques des outils de grande qualité pour vendre et diffuser leurs oeuvres.

Je ne sais pas si le texte du site de De Marque a été rédigé en anglais puis traduit en français ou si c’est l’inverse. Mais quoi qu’il en soit, le texte français est pour moi trop proche de l’anglais, trop influencé par l’anglais, ce qui en fait soit une traduction maladroite soit un signe que son auteur est trop influencé par l’anglais même si le texte n’est pas une traduction.

Vous me direz : « Où sont vos preuves ? » Comme on l’a vu ci-dessus, la consultation des dictionnaires n’est pas nécessairement concluante. C’est plutôt le genre de problème auquel une connaissance intime de la langue rend sensible. Je ne peux que vous demander de me… croire. Le verbe croire est un verbe dont il faut se méfier, surtout quand on est tenté de l’utiliser en français pour rendre des tournures comme to believe that…, to feel that…

(Pour les anglophones, il y a aussi un faux ami en sens inverse, dans la mesure où croire que a aussi en français un sens « dilué » qui ne se rend pas par to believe en anglais. Exemple : Je crois que je ferais mieux de lui donner un coup de fil. En anglais, on dira : I think I’d better give him a call.)

to observe + interrogative indirecte

Il faut se méfier des interrogatives indirectes, qui constituent un faux ami grammatical entre l’anglais et le français.

Dans mon domaine de spécialisation (l’éducation), il existe une tendance jargonnante particulièrement prononcée. Cette tendance crée en elle-même toutes sortes de problèmes, mais le pire est qu’elle fait que les spécialistes finissent par s’habituer à dire ou à entendre dire des choses qui ne correspondent à aucune réalité linguistique — sauf dans leur petit monde bien particulier, bien entendu.

Aujourd’hui, je m’intéresse à la formule anglaise to observe + interrogative indirecte et à la façon dont elle est rendue en français. Voici un exemple français tiré d’un site canadien sur l’enseignement des mathématiques :

Dans une perspective sommative, nous observerons *si l’élève manifeste les comportements A, B, C et D d’un domaine donné.

Ce site n’est pas bilingue. Mais il me paraît assez évident que, si ce passage n’est pas une traduction, il est à tout le moins rédigé par un francophone qui est plongé dans un milieu où sévit le jargon franglais des sciences de l’éducation et où trop de locuteurs sont influencés, consciemment ou non, par une tournure anglaise comme to observe whether students…

Contrairement au verbe anglais to observe, le verbe français observer ne se construit pas avec une interrogative indirecte. Il est suivi d’un complément d’objet qui est généralement un groupe nominal. La seule « exception » est qu’il peut aussi prendre un complément d’objet ayant la forme d’une subordonnée introduite par ce que. Le Robert donne ainsi comme exemple observer ce que fait quelqu’un (au sens de « examiner en contrôlant, en surveillant », qui est bien le sens qui nous intéresse ici).

Mais cela ne signifie pas, pour moi, que le verbe peut prendre n’importe quelle subordonnée de type interrogative indirecte. La subordonnée introduite par ce que pourrait certes être considérée comme une interrogative indirecte (qu’est-ce que quelqu’un fait ? => ce que quelqu’un fait), mais en réalité elle est formée d’un pronom démonstratif (ce) suivi d’une proposition relative, alors que les autres interrogatives indirectes sont introduites par un adverbe interrogatif (si, quand, pourquoi, comment, etc.) ou par une préposition suivie d’un pronom interrogatif (à qui, pour lequel, etc.).

La tournure ce que s’utilise sans difficulté avec toutes sortes de verbes français avec lesquels il ne viendrait à l’idée de personne d’utiliser une interrogative indirecte. On dira, par exemple, je te donne ce que je t’ai pris. Ce n’est pas une interrogative indirecte (qu’est-ce que je t’ai pris ? => ce que je t’ai pris). C’est simplement une façon condensée de dire « la chose que je t’ai prise ». Le complément du verbe est un groupe nominal avec une proposition relative.

La grammaire anglaise tolère l’emploi d’interrogatives indirectes après un bien plus grand nombre de verbes que la grammaire française. Il faut donc se méfier de ces tournures.

Malheureusement, il est impossible de s’appuyer sur les dictionnaires pour déterminer si tel ou tel verbe français peut se construire avec une interrogative indirecte (sauf si le dictionnaire donne des exemples confirmant cet usage). C’est quelque chose qui s’apprend en gros au cas par cas.

Et, dans le cas d’observer, la réponse est non. Le verbe se construit avec un groupe nominal ou avec une tournure de type ce que — et c’est tout.

Que dire alors dans l’exemple ci-dessus ? Quelque chose comme :

Dans une perspective sommative, nous observerons l’élève pour voir s’il manifeste les comportements A, B, C et D d’un domaine donné.

Autrement dit, on tourne les choses de façon à ce que le verbe observer soit suivi d’un groupe nominal et on ajoute un complément avec un verbe qui peut bel et bien, quant à lui, se construire avec une interrogative indirecte, comme voir dans cet exemple.

De même, quand l’anglais dit quelque chose comme :

Observe how quickly children can recognize the number of dots without counting.

on dira en français non pas :

Observez *à quelle vitesse les enfants reconnaissent le nombre de points sans compter.

mais plutôt :

Observez les enfants pour déterminer à quelle vitesse ils reconnaissent le nombre de points sans compter.

Et ainsi de suite.

La leçon est ici est assez claire : il faut se méfier des interrogatives indirectes, qui constituent un faux ami grammatical entre l’anglais et le français.

agir comme

En dépit de ce que dit le Bureau de la traduction, j’aurais tendance à recommander la méfiance vis-à-vis de l’emploi de « agir comme » en français.

J’ai parfois du mal à comprendre les recommandations du Bureau de la traduction. Selon cet organisme, en effet, la construction agir comme « est tout à fait correcte ». L’unique exemple donné pour justifier cette position est le suivant :

J’agis comme mandataire de M. Laporte.

Certes. Mais la question ne mérite-t-elle pas d’être examinée d’un peu plus près ? Ce n’est pas parce que le Grand Robert, par exemple, donne lui aussi comme exemple j’agis ici comme mandataire de M. X. que la construction se justifie dans toutes sortes de contextes.

La première chose à remarquer est la rubrique sous laquelle l’exemple apparaît dans l’article du Grand Robert. Le sens d’agir donné ici est celui de « se comporter dans l’action (de telle ou telle manière) ». Et on peut dire, effectivement, que, quand Y est mandaté par X, il se comporte dans ses actes comme un mandataire. Ce sur quoi on met l’accent ici, c’est moins la fonction que le comportement.

Il y a toutes sortes de contextes, en revanche, où ce dont il est clairement question, c’est la fonction et en particulier son caractère officiel. Par exemple, quand l’anglais dit :

During in command, he also acted as President of the AFCEA Ottawa Chapter.

il me semble évident que ce qu’il veut dire, c’est non pas que l’individu en question s’est comporté comme un président, mais qu’il a bel et bien été officiellement président de l’organisme concerné pendant la période. Pourtant, voici ce que dit la version française du texte dit :

Pendant son Commandement, il a aussi *agit comme président pour le chapitre Ottawa de l’AFCEA.

Il est clair que cette traduction est bâclée : majuscule superflue à Commandement, faute d’orthographe flagrante dans agit

Ce qui m’intéresse ici, cependant, c’est que la construction agir comme est déplacée et sent l’anglicisme. On dira plutôt :

Pendant son commandement, il a aussi été président du chapitre d’Ottawa de l’AFCEA.

Dans une telle notice biographique, on ne s’intéresse pas vraiment à ce qu’il a fait, mais à ce qu’il a été, aux titres qui lui ont été décernés, aux fonctions qu’il a remplies.

Il y a certes sans doute des contextes où la différence de sens s’estompe et l’on se trouve dans la zone floue qui sépare les deux sens. C’est pour cela que le Bureau de la traduction et la base TERMIUM donnent aussi des équivalents français comme agir à titre de ou agir en qualité de.

Cela n’empêche pas de remarquer que le verbe agir, quelle que soit la construction dont il fait partie, n’est pas vraiment approprié dans tous les cas où l’anglais utilise to act as.

Ce qui est encore plus remarquable, c’est de voir des francophones utiliser agir comme alors même que l’original anglais qu’ils traduisent n’utilise pas to act as. Dans cet autre extrait du site du ministère de la Défense nationale du Canada, on trouve en titre la question :

Who Can Be a Reference?

Et cela devient en français :

Qui peut *agir comme répondant(e) ?

En fait d’action, tout ce que fait le « répondant », c’est fournir des renseignements sur la personne. Difficile de voir, dans un tel contexte, ce qui justifie l’emploi d’une construction comme agir comme.

Toujours dans le domaine militaire, on trouve dans une autre biographie en anglais :

Col Stevens also serves as Director, Health Services Reserves.

Ici encore, pas d’action en anglais, mais un service. En français, pourtant, on a :

Le Col Stevens *agit également comme Directrice – Réserve des services de santé.

Mouais.

Suis-je vraiment le seul à trouver, dans une telle tournure (sans tenir compte des autres problèmes de la phrase), qu’on a l’impression que la personne en question a rempli ces fonctions par intérim ou à titre de remplaçante ?

En dépit de ce que dit le Bureau de la traduction, j’aurais donc tendance à recommander la méfiance vis-à-vis de l’emploi d’agir comme en français.

encourir (to incur)

L’anglais « to incur » et le français « encourir » ont de toute évidence la même origine latine, mais leur évolution a été différente et ils n’ont pas aujourd’hui le même sens, ce qui en fait une paire de faux amis.

L’anglais to incur et le français encourir ont de toute évidence la même origine latine, mais leur évolution a été différente et ils n’ont pas aujourd’hui le même sens, ce qui en fait une paire de faux amis.

Comme l’indique clairement le Robert, en français, encourir, c’est « se mettre dans le cas de subir (quelque chose de fâcheux) » et non « subir ». Quand on encourt une peine, par conséquent, on ne la subit pas, on s’y expose. On finira peut-être par la subir, mais ce n’est pas le sens du verbe encourir.

Il en va de même pour des frais ou des dépenses. Encourir des frais, ce n’est pas avoir à les payer, c’est « se mettre dans le cas » d’avoir à les payer.

Or, si l’anglais to incur a aussi a priori ce même sens, en réalité il est très souvent utilisé pour signifier simplement « subir ». C’est tout particulièrement vrai quand le verbe est conjugué au passé. Par exemple, quand un site de l’Agence du revenu du Canada dit en anglais :

The amount that you can claim depends on when you incurred the loss.

il est clair qu’il s’agit d’une perte d’argent qui a bel et bien été subie et non qu’on s’est simplement exposé à la subir. La traduction française de ce site a donc bien raison de donner comme équivalent :

Le montant que vous pouvez demander dépend de la date où vous avez subi la perte.

Il serait impossible ici, selon moi, de dire la date où vous avez *encouru la perte, en particulier parce qu’il s’agit précisément de la date à laquelle on a perdu l’argent (et non à laquelle on s’est exposé au risque de perte de l’argent).

Ce qui est intéressant ici, c’est que les dictionnaires anglais que je consulte (Oxford, Merriam-Webster) ne semblent pas tenir compte explicitement de ce glissement de sens. Ils ne donnent comme définition que « to become liable or subject to », ce qui semble correspondre à la définition d’encourir en français. Il est vrai qu’ils disent aussi « to bring down upon oneself », ce qui semble décrire une situation déjà plus irréversible. Mais il me semble qu’ils devraient aller plus loin et traiter clairement to incur comme ayant deux sens distincts : un sens propre, qui serait le même que celui d’encourir en français, et un autre sens obtenu par glissement, dans laquelle la chose désagréable ou négative est plus qu’une éventualité à laquelle on s’expose et a bel et bien lieu.

Toujours pour cette même raison, dans le cas de dépenses, là où l’anglais dira expenses incurred, le français ne pourra pas utiliser *encourues et devra dire quelque chose comme dépenses engagées. Il s’agit en effet non pas de dépenses auxquelles on se serait exposé, mais de dépenses qu’on a eu à faire. La distinction paraît peut-être subtile, mais elle est importante, et les bons traducteurs savent éviter d’utiliser encourir en dehors des contextes (souvent littéraires) où le verbe est vraiment approprié.

y compris (including)

La tournure française « y compris » comporte généralement une petite connotation de « contrairement à ce qu’on pourrait croire », qui en fait un faux ami par rapport à l’anglais « including ».

Comme le note F. Lavallée de Magistrad, contrairement à l’anglais including, la tournure française y compris « comporte généralement une petite connotation de “contrairement à ce qu’on pourrait croire” ». On dira, par exemple, que le discours de tel ou tel orateur a touché l’ensemble de l’assistance, y compris les observateurs les plus blasés (dont on pourrait normalement s’attendre à ce qu’ils ne soient pas touchés par le discours).

L’anglais including peut lui aussi avoir à l’occasion cette connotation, mais il est souvent employé dans toutes sortes d’autres contextes, où cette connotation ne se retrouve pas vraiment. En revanche, les contextes où le français y compris n’a pas cette connotation sont plus rares. On peut donc bien dire qu’on a ici une paire de faux amis.

(Il est d’ailleurs assez révélateur de consulter le Grand Robert & Collins et de constater que, dans l’article consacré à including, même si le seul équivalent donné en français est y compris, la plupart des exemples donnés n’utilisent pas cette tournure ! Ceci montre bien combien il faut se méfier des articles des dictionnaires, en particulier des dictionnaires bilingues, qui sont souvent loin d’être suffisamment détaillés. Il est en tout cas impératif de lire tous les exemples.)

L’anglais utilise par exemple presque systématiquement including pour introduire l’énumération partielle ou complète des différents éléments formant un tout.

Quand l’énumération est partielle, pour éviter la connotation ci-dessus, on évitera de rendre including à l’aide d’y compris en français et on utilisera plutôt le relatif dont, l’adverbe notamment ou une autre tournure, comme parmi lesquels/lesquelles, etc. Ainsi, une phrase comme :

This year my students are studying several planets, including Mars, Venus and Earth.

deviendra en français non pas :

Cette année, mes élèves étudient plusieurs planètes, *y compris Mars, Vénus et la Terre.

mais :

Cette année, mes élèves étudient plusieurs planètes, dont Mars, Vénus et la Terre.

ou encore :

Cette année, mes élèves étudient plusieurs planètes, notamment Mars, Vénus et la Terre.

Strictement parlant, en anglais, comme l’explique le Bureau de la traduction du gouvernement fédéral du Canada, « include or including refers to only part of a whole and suggests the list that follows is incomplete ». Mais en réalité, on rencontre très souvent des emplois où il est clair que ce qui suit constitue la liste complète des différents éléments du tout.

Quand l’énumération est complète, l’utilisation d’y compris est totalement hors de question, puisque la connotation évoquée ci-dessus implique entre autres que ce qui suit n’est qu’une partie (la partie inattendue) du tout.

Prenons l’exemple de cet intitulé sur un site de Transports Canada :

Human-powered pleasure craft (including canoes, kayaks, rowboats and rowing shells)

Je ne suis pas un spécialiste de la navigation « à propulsion humaine », mais il me semble que cette énumération fait à peu près le tour de la question. Ce qui est certain, en tout cas, c’est que la présence dans l’énumération des canots et des kayaks n’est pas inattendue !

Pour moi, la version française du site est donc problématique :

Embarcations de plaisance à propulsion humaine (*y compris canots, kayaks, embarcations à avirons et yoles)

Mais comme on ne peut pas utiliser y compris pour introduire une énumération complète, que faut-il dire ou écrire ? Pour moi, rien du tout :

Embarcations de plaisance à propulsion humaine (canots, kayaks, embarcations à avirons et yoles)

Même si l’on considère que la liste n’est pas complète et pourrait aussi inclure des embarcations comme le pédalo, le vélo nautique, etc., l’analyse reste la même : les exemples fournis ne sont pas inattendus et y compris ne va donc pas. Si l’on veut éviter que le lecteur pense que la liste est complète, on peut simplement ajouter un etc. à la fin :

Embarcations de plaisance à propulsion humaine (canots, kayaks, embarcations à avirons, yoles, etc.)

Selon le contexte, la liste (partielle ou complète) est insérée entre parenthèses ou introduite à l’aide d’un deux-points. Cela suffit à indiquer que les éléments énumérés constituent une partie ou l’intégralité de la liste des choses ou des personnes qui relèvent de la catégorie en question. Le seul problème reste alors de déterminer si la liste fournie est complète ou non. Comme l’anglais est (dans la réalité) ambigu, cela peut à l’occasion être problématique, surtout si l’on n’est pas spécialiste du domaine et qu’on ne connaît pas l’intention de l’auteur du texte.

Parfois, pour éviter la connotation d’« inattendu », il faut tout simplement oser tourner la phrase autrement, de façon à ne pas avoir à rendre including en français. C’est pour cela qu’une ressource comme le lexique analogique du Bureau de la traduction fournit pour including toute une liste d’équivalents possibles. Il convient d’explorer cette liste et de s’en inspirer pour rendre de façon naturelle en français ce que les anglophones rendent couramment à l’aide du terme including, sans recourir à y compris, qui risque fort d’être un faux ami.

tous [1]

Les mots grammaticaux peuvent être des faux amis dont il faut se méfier tout particulièrement, parce que les structures syntaxiques dans lesquelles ils apparaissent naturellement ne sont pas nécessairement les mêmes d’une langue à l’autre. C’est le cas de l’adjectif anglais « all » et de son équivalent français « tous ».

De mon point de vue, les « petits mots » grammaticaux qui sont utilisés à tout bout de champ dans la langue font souvent partie des faux amis les plus sournois et exigent une méfiance toute particulière.

Prenons l’exemple de l’adjectif anglais all et de son équivalent français tout ou tous. Il existe plusieurs structures ordinaires dans la langue anglaise utilisant all qu’il vaut mieux éviter de calquer mot pour mot en français.

Voici une question d’apparence très simple :

Are all of the programs offered now making a difference?

On pourrait être tenté de rendre cela en français de la façon suivante :

Est-ce que tous les programmes offerts à l’heure actuelle ont un véritable impact ?

Cette question française ne représente pas une faute de traduction flagrante. Mais pour moi, elle ne correspond pas à ce qui se dirait le plus naturellement en français. Il me semble qu’une structure comme la suivante est plus naturelle en français :

Est-ce que les programmes offerts à l’heure actuelle sont tous des programmes qui ont un véritable impact ?

La difficulté est bien entendu d’expliquer la différence et d’expliquer en quoi la deuxième formule est plus naturelle en français que la première. Pour moi, c’est une fois de plus une question de décalage entre la structure syntaxique et la structure sémantique de la phrase. Ce qui est sous-entendu dans cette question, c’est que les programmes ne sont pas tous des programmes ayant un véritable impact.

Or, en français, précisément, cette négation s’exprime plus naturellement en disant ne sont pas tous qu’en disant tous ne sont pas. On peut bel et bien dire « tous les programmes ne sont pas des programmes ayant un véritable impact » ou « tous les programmes n’ont pas un véritable impact », mais ce n’est pas ce qui se dit le plus naturellement. Ce qui se dit et s’écrit le plus naturellement en français, c’est pas tous, c’est-à-dire une structure avec tous qui vient après la marque de la négation.

Pour la même raison, dans la question ci-dessus, il est plus naturel de s’arranger pour que le mot tous vienne après le verbe au lieu de faire partie du groupe sujet.

C’est une situation qu’on rencontre assez fréquemment dans les traductions de l’anglais au français et il faut, selon moi, résister à la tentation de calquer la structure anglaise en maintenant tout/tous en début de phrase, dans la même position que l’anglais all.

libre (free)

Exemple type de faute introduite par des spécialistes d’un domaine qui s’autoproclament lexicographes alors qu’ils ne maîtrisent pas eux-mêmes la langue et ne se méfient pas suffisamment des anglicismes.

Il y a quelques années, le gouvernement canadien a introduit un nouveau type d’épargne pour les contribuables appelé en anglais « Tax-Free Savings Account ». Comme souvent au Canada, la chose a été conçue en anglais par des anglophones et il a fallu trouver un terme français équivalent pour la population francophone.

Qu’est-ce que les traducteurs du gouvernement fédéral ont pondu ? Le « compte d’épargne libre d’impôt ».

C’est pour moi un anglicisme inacceptable.

L’adjectif libre est effectivement, dans plusieurs cas, l’équivalent français de l’adjectif anglais free. Mais il est très important d’examiner de près les définitions et les utilisations de libre en français.

Or, quand on examine l’article détaillé sur l’adjectif dans un dictionnaire comme le Grand Robert, il apparaît clairement que la structure libre de n’existe, en français, que dans des cas où l’adjectif libre s’applique à des personnes et non à des choses. On peut bien dire, ainsi, en français, que quelqu’un est libre d’entraves, libre de toute pression, etc.

On peut, par extension, appliquer la structure libre de à des choses plus ou moins abstraites qui sont clairement associées à une personne, comme son esprit ou son cœur. On pourra donc aussi dire des choses comme cœur libre de haine ou esprit libre de préjugés.

De même, on pourra utiliser la structure pour des concepts comme la justice, sachant que, là encore, il est question, en réalité, des personnes qui sont l’incarnation de ce concept. On pourra donc dire que la justice est libre de toute pression quand on veut dire en réalité que ce sont les juges qui le sont.

Mais ce qui n’existe tout simplement pas, en français, c’est l’utilisation de la structure libre de dans un sens métaphorique appliqué à des choses, comme l’adjectif free dans tax-free savings account. En anglais, tax-free veut en effet dire « free of taxes ». Mais, de même qu’on ne peut pas dire qu’une route est « *libre d’obstacles » (obstacle-free) ou qu’un yaourt est « *libre de sucre » (sugar-free), on ne peut tout simplement pas dire qu’un compte bancaire est « *libre d’impôt ». Il y a plusieurs façons de dire qu’un compte n’est pas soumis à l’impôt, mais la plus consacrée en français standard serait :

compte d’épargne exonéré d’impôt

Je sais bien qu’une base terminologique de référence comme TERMIUM, utilisée par de si nombreux traducteurs au Canada, donne la structure *libre d’impôt comme correcte, mais, si on vérifie les sources utilisées pour justifier cette mention « correcte », on verra qu’il s’agit de deux sources canadiennes ayant une légitimité relativement limitée sur le plan lexicographique. Ce n’est parce qu’on se fait auteur d’un Dictionnaire de la comptabilité et de la gestion financière qu’on est à l’abri des anglicismes, au contraire. Ce sont bien souvent les spécialistes de disciplines particulières qui s’autoproclament lexicographes et qui prétendent légitimer des expressions que l’usage normal dans la langue courante ne justifie pas.

Pour moi, il s’agit d’un exemple type d’anglicisme qui s’est sournoisement introduit dans le français canadien sous l’impulsion de spécialistes d’un domaine particulier (la comptabilité ou la fiscalité ici) qui ne maîtrisent pas suffisamment eux-mêmes les questions lexicographiques et ne sont pas suffisamment conscients des anglicismes qui pullulent dans leur domaine de spécialisation.