temps (time)

Substantif omniprésent dans la langue, qui présente inévitablement des différences importantes avec son équivalent anglais « time ».

Le substantif français temps est un de ces mots qui, comme le mot chance, que nous avons vu antérieurement, est omniprésent dans la langue, avec une remarquable polysémie, tout comme son équivalent anglais time.

Avec une telle polysémie, tant en anglais qu’en français, il est inévitable qu’il y ait pour les deux mots des emplois communs (c’est-à-dire des cas où le français temps s’emploie de la même façon que l’anglais time) et des emplois différents. Et ce sont ces emplois différents qui font des deux substantifs une paire de faux amis (partiels).

L’une des fautes les plus répandues chez les anglophones qui apprennent le français et chez les francophones trop influencés par l’anglais consiste à utiliser temps au sens de « moment ». Prenons l’exemple anglais suivant :

This is not a good time to discuss this issue.

Il s’agit là d’un emploi parfaitement légitime du mot time en anglais. Malheureusement, il n’en va pas de même pour le français temps :

Ce n’est pas un bon *temps pour discuter de cette question.

L’anglais time est en effet utilisé ici au sens de « point dans le temps ». Et, dans ce sens-là, son équivalent naturel en français n’est pas temps, mais moment :

Ce n’est pas un bon moment pour discuter de cette question.

Avec un mot comme temps, l’utilisation d’un dictionnaire unilingue, même si elle est généralement préférable, montre bien ses limites. Je vous mets au défi, par exemple, de trouver une indication claire et succincte de cette différence dans l’article temps du Grand Robert, de toute évidence parce qu’un dictionnaire unilingue n’a pas l’ambition ni la capacité d’anticiper sur toutes les erreurs qui risquent d’être commises par des locuteurs influencés par une langue étrangère.

Le Robert et Collins, en revanche, donne clairement comme équivalent de time en anglais moment en français, avec toute une liste d’exemples montrant les contextes dans lesquels on privilégie ce mot.

Ce n’est là qu’un aspect particulier des difficultés posées par la paire time/temps. Mais c’est peut-être le plus important et celui qui conduit le plus souvent à des fautes dans la francophonie en Amérique du Nord.

intérêt (interest)

Même les individus qui ne parlent pas eux-mêmes anglais sont indirectement affectés par la propagation rapide des mauvaises traductions et par le fait que tout ce qui paraît sur le Web et qui émane d’organismes de grande envergure est immédiatement frappé d’un sceau d’exactitude et de qualité qui n’est pas nécessairement mérité. Le cas d’« intérêts » est un cas typique.

La polysémie du substantif anglais interest et du substantif français intérêt est telle qu’il faudrait des heures pour examiner toutes les nuances de sens et toutes les différences plus ou moins subtiles entre les emplois en anglais et les emplois en français.

Ce qui m’intéresse plus particulièrement ici, c’est un sens qui se répand de plus en plus en français, sous l’influence de l’anglais, et qui s’applique au substantif intérêts au pluriel : celui de « choses qui intéressent quelqu’un dans sa vie ».

On le trouve, par exemple, dans l’interface française du réseau social Facebook, dans la section « Modifier le profil » :

Interface Facebook - Modifier le profil

Ce sens est un sens qui, selon moi, n’existe pas en français et qui n’apparaît ici dans l’interface française de Facebook que parce que, comme beaucoup de logiciels et beaucoup de sites Web, cette interface est le fruit d’une traduction de mauvaise qualité.

Qu’est-ce qui me permet de dire que ce sens n’existe pas en français et qu’on a ici un faux ami ? C’est la combinaison de ma propre connaissance de la langue française et de l’étude des dictionnaires.

Le substantif intérêt a, comme dit, de nombreux sens en français. Ceux qui m’intéressent ici sont ceux qui semblent se rapprocher du sens anglais de « choses qui intéressent quelqu’un dans sa vie ».

Par exemple, après les sens 1 et 2 qui n’ont rien à voir, le Robert donne, comme sens 3, la définition suivante : « ce qui importe, ce qui convient à quelqu’un. » Cela pourrait sembler se rapprocher du sens anglais. Mais l’examen des nombreux exemples que donne le Robert à la suite de cette définition montre bien qu’il s’agit d’autre chose. Même quand le dictionnaire donne l’exemple connaître ses intérêts, ce dont il est question, ce ne sont pas des choses qui ont de l’intérêt pour la personne, mais des choses qui sont susceptibles de rapporter un bénéfice ou un avantage à la personne.

C’est le sens qu’on retrouve dans une tournure anglaise comme :

It would be in your interest to call her now.

En français, cela donnerait quelque chose comme :

Tu aurais intérêt à l’appeler maintenant.

Mais avoir intérêt à faire quelque chose est une tournure très répandue en français qui a pris un sens figuré atténué. Pour bien indiquer qu’on parle de l’intérêt de la personne au sens propre indiqué ci-dessus, on aurait plutôt tendance à dire quelque chose comme :

Tu aurais tout intérêt à l’appeler maintenant.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que la tournure avoir intérêt à faire quelque chose dans son sens figuré n’a pas d’équivalent en anglais utilisant le substantif interest. L’équivalent anglais serait quelque chose comme :

You’d better call her now.

Cet exemple montre bien, s’il le fallait, que les mots interest et intérêt, même s’ils partagent évidemment la même origine, ont suivi des parcours sémantiques différents en anglais et en français. Ils sont parfois synonymes, mais ils sont aussi souvent des faux amis.

Revenons à interests au sens de « choses qui intéressent quelqu’un dans sa vie ». Après avoir écarté les sens 1, 2 et 3 du Robert, nous pouvons aussi facilement écarter les sens 4 (« recherche d’un avantage personnel ») et 5 (« attention favorable à quelqu’un »).

Mais qu’en est-il du sens 6 (« état de l’esprit qui prend part à ce qu’il trouve digne d’attention ») ? On retrouve ici le champ sémantique des choses qui intéressent l’individu. Mais il est très important de noter ici qu’il s’agit de l’état d’esprit lui-même, et non des choses auxquelles cet état d’esprit s’applique — et d’ailleurs le substantif s’emploie exclusivement au singulier dans ce sens. (Il est difficile d’avoir plusieurs états d’esprit identiques en même temps.) C’est donc un sens abstrait qui ne correspond pas au sens concret de l’anglais.

Il en va de même pour le sens 7, qui est celui de « qualité de ce que retient l’attention », de ce qui intéresse. Là encore, on ne peut pas passer par métonymie du sens abstrait que le mot a en français à un sens concret (celui de « chose qui retient l’attention ») qu’il n’a pas en français. La métonymie est bien entendu un phénomène lexical qui existe aussi bien en français qu’en anglais, mais c’est un phénomène qui ne s’applique pas à tous les substantifs indifféremment ! C’est un phénomène qui s’inscrit dans l’évolution diachronique de la langue et qui doit avoir eu lieu à une époque ou à une autre pour justifier le passage de l’abstrait au concret ou de la qualité à la chose à laquelle cette qualité s’applique.

Or ce phénomène n’a pour l’instant pas eu lieu en français pour le substantif intérêt. Le substantif décrit bel et bien l’état d’esprit de la personne qui s’intéresse à quelque chose, mais non les choses auxquelles cette personne s’intéresse.

Et c’est pour cela que, selon moi, l’interface française de Facebook et toutes les traductions de l’anglais au français qui rendent interests (au sens de « choses qui intéressent quelqu’un dans sa vie ») par intérêts sont de mauvaises traductions.

Voici un exemple de mauvaise traduction typique tirée d’un site Web du gouvernement du Canada. En anglais, la page dit :

Persons suspected of organized crime involvement do not tend to display their illicit activities on their social media profiles, but instead use social media to keep connected to their friends, families, and to share their interests

Et voici ce que dit la page française correspondante :

Les personnes soupçonnées d’être impliquées dans le crime organisé n’ont pas tendance à mentionner leurs activités illicites dans leurs profils sur les médias sociaux. Elles se servent plutôt des médias sociaux pour rester en contact avec leurs amis et leur famille et pour échanger sur leurs *intérêts

Bien sûr, il y a plus d’un problème dans cette traduction, puisque échanger sur ne vaut guère mieux que partager, autre faux ami typique qu’on a déjà évoqué ici.

Pour ce qui nous intéresse ici aujourd’hui, la faute est d’avoir rendu interests par intérêts. Au lieu de cela, il faudrait dire quelque chose comme :

Elles se servent plutôt des réseaux sociaux pour rester en contact avec leurs amis et leur famille et pour discuter des choses qui les intéressent.

On peut aussi, selon le contexte, utiliser des expressions comme champs d’intérêt ou centres d’intérêt pour rendre en français l’anglais interests. Mais on ne peut pas, dans l’état actuel des choses, utiliser intérêts tout court.

Bien entendu, il est fort possible que, sous l’influence de l’anglais et des réseaux sociaux, le phénomène de métonymie que je décris ci-dessus soit justement en train d’avoir lieu sous nos yeux. Peut-être que, d’ici quelques décennies, ce nouveau sens du substantif intérêts sera véritablement entré dans l’usage et admis.

J’ai d’ailleurs vu l’autre jour un reportage au journal télévisé de France 2 dans lequel le journaliste interviewait de jeunes étudiants issus des classes défavorisées qui fréquentaient des classes préparatoires aux grandes écoles grâce à des bourses. Je me souviens très bien d’avoir entendu un des jeunes étudiants interrogés parler justement de ses « intérêts » au sens du mot anglais interests.

Puisqu’il s’agissait d’un jeune Français qui vivait et faisait ses études à Paris et qui n’avait donc pas de raison d’être indûment influencé par l’anglais dans sa vie quotidienne, comme les jeunes francophones peuvent l’être au Canada, j’en conclus que c’est sans doute l’influence des réseaux sociaux et de mauvaises traductions comme celle de l’interface de Facebook qui explique qu’il ait utilisé ici ce mot dans son sens anglais.

Même s’il ne parle pas lui-même anglais, il est indirectement affecté par la propagation rapide de ces mauvaises traductions et par le fait que tout ce qui paraît sur le Web et qui émane d’organismes de grande envergure est immédiatement frappé d’un sceau d’exactitude et de qualité qui n’est pas nécessairement mérité. (J’en veux pour preuve les innombrables traductions de mauvaise qualité sur les sites Web du gouvernement fédéral du Canada.)

copie (copy)

Au sens d’« exemplaire », le substantif « copie » n’est pas acceptable en français.

Les substantifs copy et copie peuvent sembler synonymes, mais ne le sont pas. En anglais, le mot copy a, dans certains cas, perdu le sens de « copie d’un original » et signifie simplement « exemplaire ».

Ainsi :

This store has several copies of his latest novel.

deviendra en français non pas :

Ce magasin a plusieurs *copies de son dernier roman.

mais :

Ce magasin a plusieurs exemplaires de son dernier roman.

Quand on achète un roman, on n’achète pas de « copie » qui serait produite par duplication à partir d’un modèle unique. On achète un exemplaire du tirage du livre. Bien entendu, tous les exemplaires sont (normalement) identiques, mais il n’y en a pas un qui serait le modèle suivi pour tous les autres et ils n’ont pas été produits à proprement parler par duplication. (Paradoxalement, le sens d’exemplaire était à l’origine justement celui de « modèle, patron, archétype, prototype ».)

En français, on n’utilise copie que pour désigner quelque chose qui est clairement le fruit d’un processus de duplication. Par exemple, si je fais des photocopies d’un texte pour mes élèves, ce que je vais distribuer à mes élèves, ce sont des copies de ce texte, et non des exemplaires du texte. (Une fois de plus, paradoxalement, en imprimerie, le mot copie sert aussi à désigner l’écrit à partir duquel on compose le document imprimé, donc en quelque sorte le modèle…)

Il y a bien entendu d’autres sens du mot copy en anglais et du mot copie en français. Et il peut aussi y avoir des cas particuliers dans lesquels la frontière entre copie et exemplaire est un peu floue, entre autres dans le domaine de plus en plus important du numérique.

Mais il n’en reste pas moins que la paire copy/copie est bel et bien une paire de faux amis dont il faut se méfier.