to learn how to

Fausse équivalence entre « to learn » et « apprendre », et problème de calque avec « comment ».

Dans la continuité de ce que j’écrivais la semaine dernière au sujet de la fausse équivalence entre l’anglais how et le français comment, voici un cas particulier qui montre que deux mots peuvent être des faux amis non pas sur le plan sémantique, mais sur le plan grammatical, dans la façon dont ils se construisent et s’emploient dans la phrase.

L’anglais to learn et le français apprendre peuvent paraître équivalents et le sont à bien des égards. Mais le verbe anglais est très souvent utilisé avec how, dans une structure du type to learn how to do something.

Or on trouve trop souvent dans la bouche ou sous la plume de francophones au Canada une tendance à calquer directement cette structure en employant comment en français. Voici un exemple tiré d’un site Web du gouvernement du Canada sur la sécurité au travail pour les jeunes travailleurs. En anglais, le texte dit :

You can learn how to work safely and better know your rights by reviewing Alberta’s New and Young Workers Web pages.

Et voici ce que dit la page française équivalente :

Vous pouvez *apprendre comment travailler de façon sécuritaire et mieux connaître vos droits en examinant les pages Web New and Young Workers (anglais seulement) du gouvernement de l’Alberta.

Je passe sur les autres aspects problématiques de cette traduction (en particulier l’adjectif sécuritaire) et je m’intéresse ici à la structure du verbe.

Est-il vraiment acceptable ici de construire le verbe apprendre avec comment ? Selon moi, la réponse est non. Là où l’anglais dit to learn how to something, le français dit normalement tout simplement apprendre à faire quelque chose. (C’est d’ailleurs une faute courante chez les francophones qui apprennent l’anglais de dire to learn to do something, sans le how.)

Vous me direz que les règles grammaticales ne sont en l’occurrence pas aussi strictes, même en français, et que, le verbe apprendre était un verbe transitif direct et la proposition infinitive comment travailler… formant une proposition complète, on devrait pouvoir l’utiliser dans la fonction de complément d’objet direct du verbe. Du point de vue de la grammaire générative, c’est peut-être vrai. Mais la réalité est qu’il existe déjà en français une structure reliant le verbe apprendre à une proposition infinitive, et cette structure utilise la préposition à et non comment. À moins de prétendre qu’il y ait une différence de sens entre apprendre à faire quelque chose et apprendre comment faire quelque chose, je ne vois pas comment on peut justifier ce calque de l’anglais au lieu de la structure normale en français.

Cela étant dit, dans l’exemple ci-dessus, je ne suis pas certain que la tournure avec à soit le bon choix non plus :

Vous pouvez apprendre à travailler de façon sécuritaire…

La structure n’est pas fausse, mais est-ce vraiment ce que l’anglais veut dire ? À mon avis, il y a une différence entre to learn how to do something au sens de « apprendre la technique / la méthode / le procédé / la marche à suivre pour faire quelque chose » et to learn how to do something au sens de « apprendre les conditions à respecter si l’on veut faire quelque chose ». En effet, dans l’exemple ci-dessus, ce que le jeune doit apprendre, c’est non pas à travailler, mais à respecter les conditions nécessaires pour que son travail se déroule dans des conditions sûres, sans danger.

Autrement dit, je pense que l’anglais utilise to learn how to work safely comme une sorte de raccourci pour dire quelque chose comme « to learn how to be safe when you are working ». Ce n’est pas le travail lui-même que le jeune doit apprendre, mais les consignes de sécurité s’appliquant à ce travail. Comme souvent en anglais, bien qu’il soit l’élément central du point de vue grammatical, le verbe (to work ici) n’est pas l’élément central du point de vue sémantique.

Or le français ne se prête pas aussi bien à ce genre de raccourci et il convient, à mon avis, d’expliciter les choses en replaçant l’élément central sur le plan sémantique en position centrale sur le plan grammatical.

Pour moi, il est donc plus naturel de dire en français quelque chose comme :

Vous pouvez apprendre ce qu’il faut faire pour travailler en toute sécurité…

On peut même carrément s’écarter davantage de l’original anglais et renoncer à utiliser le verbe apprendre :

Vous pouvez vous informer sur les consignes de sécurité dans le travail…

Cette tournure se prêterait d’ailleurs mieux à la coordination avec la deuxième moitié de la phrase :

Vous pouvez vous informer sur les consignes de sécurité dans le travail et sur vos droits en consultant les pages…

Ma conclusion est ici que, comme souvent, il faut se méfier des calques grammaticaux et oser changer de tournure ou même carrément de vocabulaire pour vraiment arriver à exprimer l’idée dans un français qui soit aussi naturel que possible — ce que le traducteur de cette page du gouvernement du Canada semble avoir été incapable de faire.

variété (variety)

« Une variété de » n’existe pas en français au sens que la tournure a en anglais.

Il existe une règle assez universelle en français, que j’ai déjà évoquée dans un premier article sur le singulier et le pluriel et selon laquelle il y a un grand nombre de substantifs en français qui s’emploient aussi bien au pluriel qu’au singulier, mais dont le sens au singulier est plus abstrait alors que le sens au pluriel fait référence à des choses plus concrètes.

Cette règle s’applique en particulier au mot variété et fait que son emploi au singulier dans un sens concret en français est un anglicisme, utilisé sous l’influence de l’équivalent anglais variety (qui partage la même origine étymologique, bien entendu).

On trouve ainsi souvent, en anglais, des tournures comme la suivante :

A variety of publications that present the latest labour market information are available.

Les francophones influencés par l’anglais, en particulier au Canada, ont trop souvent tendance à rendre la tournure en produisant un calque en français :

Il existe *une variété de publications présentant les toutes dernières informations sur le marché du travail.

Malheureusement, ceci n’est pas un emploi acceptable du mot variété en français. En français, le mot variété au singulier a avant tout un sens abstrait et désigne spécifiquement la « qualité de ce qui est varié ».

Or, dans la tournure anglaise ci-dessus, variety n’a pas ce sens abstrait. Il désigne au contraire un ensemble concret d’éléments (de publications, en l’occurrence) qui se caractérise par… sa variété, c’est-à-dire par le fait que les publications sont variées.

Pour rendre cela en français, il faut utiliser d’autres termes qui ont ce sens concret. Il peut s’agir de termes employés soit au singulier soit au pluriel. On pourra, par exemple, dire :

Il existe une gamme de publications présentant les toutes dernières informations sur le marché du travail.

Ou encore :

Il existe tout un éventail de publications présentant les toutes dernières informations sur le marché du travail.

On pourra aussi utiliser le mot sorte au pluriel dans la tournure suivante :

Il existe toutes sortes de publications présentant les toutes dernières informations sur le marché du travail.

Il est à noter qu’il existe bien des contextes dans lesquels le mot variété a un sens concret même au singulier. Mais ce sont des contextes différents. On pense entre autres à la biologie et à l’emploi du terme pour désigner la subdivision d’une espèce animale ou végétale. On pourra, par exemple, faire un croisement entre deux variétés différentes de pommes pour produire une nouvelle variété, un hybride.

Par extension, on peut également utiliser le mot dans le contexte de classifications autres que celle des espèces animales et végétales. On parlera, par exemple, des différentes variétés de nuages, de pierres précieuses, etc.

Mais il faut bien noter que, dans cette acception, le mot variété au singulier désigne un seul élément et que ce sont les différences entre variétés qui font justement la… variété (au sens abstrait) des éléments. La variété au singulier ne désigne pas une gamme de choses différentes, au contraire ! Elle désigne justement une catégorie particulière dans la classification, qui varie par rapport aux autres mais qui ne présente pas de variété en elle-même (pas du point de vue de la classification, en tout cas).

Il existe encore d’autres sens du terme variété en français (par exemple pour désigner un certain type de musique populaire), mais ces deux principaux sens sont l’essentiel et ils montrent clairement qu’il est impossible d’utiliser la tournure une variété de… en français au sens qu’a en anglais la tournure a variety of…

Je note aussi que le Multidictionnaire de Marie-Éva de Villers, qui prétend « refléter plus fidèlement le bon usage actuel du français au Québec et dans l’ensemble de la francophonie », donne comme deuxième sens de variété « ensemble diversifié », avec comme exemple ils vendent une variété de produits et comme synonyme… diversité. Tout cela est selon moi hautement contestable. On pourra certes dire quelque chose comme il y a une grande variété de produits dans ce magasin, mais ici encore, c’est à la qualité abstraite qu’on fait référence, c’est-à-dire au fait que les produits offerts dans le magasin sont très variés, et non à la gamme des produits offerte (la gamme ayant elle-même la qualité d’être très variée). Mais on ne peut pas vendre une qualité ou une propriété. On vend des produits qui ont cette propriété, mais pas la propriété elle-même. On ne peut donc pas, à mon avis, dire « vendre une variété de produits » sans faire un anglicisme.

Bien entendu, il est possible que, à terme, cet usage du terme français variété calqué sur l’anglais variety s’impose. Mais on n’en est pas là. Pour le moment, variété reste un faux ami dont il faut se méfier !

comment (how)

Article sur la fausse correspondence entre l’anglais « how » et le français « comment », avec plusieurs exemples pour illustrer les cas où le français utilise plus naturellement des tournures sans faire appel à l’adverbe interrogatif.

L’adverbe interrogatif how est vraiment utilisé à toutes les sauces en anglais et parfois dans des structures qui ne sont tout simplement pas naturelles en français. Prenons l’exemple suivant :

How do people behave in a professional learning community?

Étant donné la correspondance apparente entre l’adverbe interrogatif comment en français et l’adverbe interrogatif how en anglais, on risque de penser que la traduction d’une telle phrase en français va de soi :

Comment les gens se comportent-ils dans une communauté d’apprentissage professionnel ?

Une telle question n’est pas fausse en soi, mais elle n’est pas, selon moi, naturelle en français comme elle l’est en anglais. Pourquoi ? La réponse n’est pas évidente. Elle est peut-être liée à une préférence plus générale en français pour les formes nominales quand l’anglais privilégie les formes verbales.

Ainsi, dans le cas de la question ci-dessus, la formulation la plus naturelle en français est selon moi la suivante :

Quel est le comportement des gens dans une communauté d’apprentissage professionnel ?

Vous noterez que j’ai mis en gras non seulement le pronom interrogatif quel, mais également le substantif comportement. Pourquoi ? Parce que l’un ne va pas sans l’autre. C’est seulement en exprimant le concept de « comportement » — exprimé par un verbe en anglais (to behave) — par un nom en français (comportement) qu’on parvient à s’affranchir du recours à l’adverbe comment et qu’on obtient une structure plus naturelle en français.

Loin de moi l’idée que how ne se traduirait jamais par comment en français, bien entendu. Il suffit de mentionner l’exemple qu’on enseigne toujours aux débutants qui apprennent l’anglais :

How do you do?

La formule française correspondante est bien entendu :

Comment allez-vous ?

Mais je donnerai tout de suite un autre exemple, apparemment tout aussi simple, pour illustrer une nouvelle fois la différence possible entre les deux mots :

How are you feeling?

On pourrait penser qu’à une telle question correspond naturellement en français la question suivante :

Comment vous sentez-vous ?

Et ce n’est pas faux. Mais il est aussi tout à fait possible de dire, en français :

Que ressentez-vous ?

Ici, l’adverbe interrogatif en anglais ne débouche pas sur un pronom interrogatif et un substantif en français, mais sur un pronom interrogatif et un verbe.

Y a-t-il une différence de sens entre les deux questions en français ? C’est peut-être une question de contexte. La première est peut-être quelque chose qu’on entendra plus couramment comme formule de politesse, tandis que la seconde est peut-être plutôt une question qu’un médecin poserait à un malade, ou un examinateur au sujet d’un test — c’est-à-dire qu’on poserait quand on veut vraiment savoir ce que la personne ressent (au lieu de faire semblant de s’y intéresser, par politesse). Ou bien la première s’intéresse plutôt à des choses comme la douleur physique ou morale, tandis que la deuxième s’intéresse plutôt à des émotions, comme ce qu’on ressent lors de la contemplation d’un œuvre d’art.

Quoi qu’il en soit, ce que j’essaye de dire ici, c’est qu’il faut se méfier de l’anglais how et ne pas se précipiter systématiquement sur le français comment pour l’utiliser comme équivalent. Il y a des cas où l’équivalence existe bien. Il y en a d’autres où elle est moins évidente. Il y en a d’autres encore où elle n’est pas naturelle. Et il y en a d’autres enfin où elle est carrément trompeuse et où comment est à mon avis inacceptable en français.

Voici un autre exemple :

How does this explain your problem?

Il est inacceptable, à mon avis, de dire en français :

*Comment cela explique-t-il ton problème ?

Au lieu de cela, il faut dire :

En quoi cela explique-t-il ton problème ?

Pourquoi ? Parce que la question ne porte pas sur la « manière » d’expliquer, mais sur l’explication elle-même. C’est une nuance de sens un peu subtile, parce que, d’un certain point de vue, toute explication est une manière d’expliquer. Mais pour moi, la phrase en rouge n’est pas naturelle en français et est un calque trop évident de l’anglais.

Je dirai donc que, à certains égards, how et comment constituent une paire de faux amis et qu’il faut prendre l’habitude de s’en méfier et faire preuve d’une certaine vigilance dans l’emploi de comment en français.

Et je donnerai un dernier exemple pour terminer :

How did you empower your own employees?

Là encore, la traduction avec comment peut paraître évidente :

*Comment avez-vous renforcé les moyens d’action de vos propres employés ?

Mais pour moi elle n’est pas naturelle et la question qu’il faudrait vraiment poser est la suivante :

Qu’avez-vous fait pour renforcer les moyens d’action de vos propres employés ?

J’aurai l’occasion de revenir sur how et comment à plusieurs reprises sur ce site consacré aux faux amis, en particulier quand j’aborderai l’interrogative indirecte.

Superlatif et complément circonstanciel

Article sur des différences entre anglais et français qui affectent la syntaxe même de la phrase et qui me conduisent à recommander de ne pas toujours utiliser un superlatif en français quand l’anglais utilise un superlatif. Tout dépend des circonstances.

Comme je l’explique dans mon manifeste, quand on parle de faux amis, on pense souvent et surtout aux faux amis lexicaux, qui sont relativement évidents et relativement faciles à expliquer.

Mais je tiens aussi, sur ce site, à évoquer d’autres aspects moins évidents de cette « fausse amitié » qui lie l’anglais et le français, qui n’en sont pas moins importants. Ces aspects sont plus difficiles à expliquer, mais ils méritent qu’on s’y attarde, parce qu’ils tendent à avoir un impact plus sournois et partant plus dangereux sur le français tel qu’on le parle et l’écrit dans les régions du monde comme le Canada, où bon nombre de textes de référence sont en réalité des traductions de textes anglais et non des textes qui ont été rédigés en français par des locuteurs dont le français est la langue maternelle.

Voici un exemple que je rencontre aujourd’hui dans mon travail et qui me servira à illustrer mon propos :

Teacher learning is most effective when linked to student learning that is embedded in the daily life of schools.

Le problème qui m’intéresse dans cette phrase aujourd’hui est celui de la façon dont on va rendre une structure comme « is most XXX when » en français. Je crois qu’il est intuitivement clair, même pour ceux qui ne sont pas traducteurs, qu’il est impossible de traduire cette structure littéralement. On ne dira donc pas :

L’apprentissage de l’enseignant *est le plus efficace quand il est lié à celui de l’élève et intégré dans la vie scolaire au quotidien.

Le caractère fautif d’une telle phrase n’est pas évident, mais on sent bien qu’il y a quelque chose qui cloche. Qu’est-ce qui cloche ? De mon point de vue, c’est le fait que le superlatif, en français, ne s’emploie pas exactement comme le superlatif en anglais. Si on veut utiliser un complément circonstanciel de temps pour expliciter les circonstances qui rendent le superlatif supérieur à tous les autres, il faut, à mon avis, que ce complément circonstanciel vienne avant le superlatif. Autrement dit, on pourra rendre la phrase ci-dessus acceptable en lui appliquant une structure de mise en relief :

C’est quand il est lié à celui de l’élève et intégré dans la vie scolaire au quotidien que l’apprentissage de l’enseignant est le plus efficace.

Si on tient à expliciter les conditions qui rendent le superlatif supérieur à tous les autres après le superlatif lui-même, alors on ne peut pas utiliser un complément circonstanciel et il faut, à mon avis, utiliser une structure du type suivant :

L’apprentissage de l’enseignant le plus efficace est un apprentissage qui est lié à celui de l’élève et qui est intégré dans la vie scolaire au quotidien.

Vous aurez remarqué, cependant, que je laisse cette structure en rouge. Pourquoi ? Pour moi, elle n’est pas fausse, mais ce n’est pas ce qui se dirait le plus naturellement en français pour exprimer ce que l’anglais cherche à exprimer.

Car, au fond, que cherche à dire l’anglais ? Est-ce nécessairement par un superlatif qu’il faut rendre en français ce qui l’anglais exprime à l’aide d’un superlatif ? Je ne suis pas convaincu que ce soit indispensable, même si l’exemple en bleu ci-dessus, avec la mise en relief, est pour moi correct.

Il me semble que ce que l’anglais cherche surtout ici à exprimer, c’est un lien de causalité entre deux choses, à savoir d’une part le fait que l’apprentissage de l’enseignant est lié à celui de l’élève et est intégré dans la vie scolaire au quotidien et d’autre part le fait que cet apprentissage est vraiment efficace. Autrement dit, pour rendre cette phrase en français, ce qui me vient le plus naturellement à l’esprit, c’est en fait l’emploi d’un complément circonstanciel exprimant ce lien de causalité, c’est-à-dire en l’occurrence un complément de but :

Pour être vraiment efficace, il faut que l’apprentissage de l’enseignant soit lié à celui de l’élève et soit intégré dans la vie scolaire au quotidien.

C’est ici la combinaison du complément de but (pour…) et de la structure impersonnelle exprimant la nécessité (il faut que…) qui rend le mieux, à mon avis, ce que l’anglais cherche à exprimer. Le superlatif devient ici redondant et je constate que le souci d’exprimer les choses le plus naturellement possible en français me conduit à m’écarter de la traduction littérale.

C’est une leçon importante pour les traducteurs et tous ceux qui cherchent à éviter de se laisser trop influencer par une langue autre que la leur : parfois, même si une structure (ici, le superlatif) semble être la même dans les deux langues, cela ne veut pas dire que c’est la meilleure solution pour rendre l’idée que la phrase d’origine exprimait. Il faut oser s’écarter de la traduction littérale, de l’emploi systématique des mêmes structures, de la même syntaxe, même si elle semble fonctionner de manière identique dans les deux langues.

Vous me direz qu’on est loin ici de la notion de « faux ami ». Mais est-ce vraiment le cas ? Je ne suis pas convaincu. Pour moi, le faux ami ici n’est pas un mot du lexique, mais le superlatif lui-même. Pour rendre ce que le superlatif servait à exprimer en anglais, j’ai fini par utiliser une structure qui, grammaticalement parlant, n’a rien à voir avec le superlatif en français, même si bien entendu elle s’en rapproche sur le plan du sens (ce qui fait justement que je peux l’utiliser à cette fin !).

C’est de cela que je veux parler quand je parle de faux amis syntaxiques. Ce n’est pas parce deux langues ont toutes deux un outil qui s’appelle le superlatif que ce qu’on exprime à l’aide d’un superlatif dans l’une s’exprimera nécessairement et de façon naturelle à l’aide d’un superlatif dans l’autre. Et ce n’est pas parce qu’une langue exprime une circonstance à l’aide d’un complément circonstanciel de temps que l’autre n’exprimera pas plus naturellement cette même circonstance à l’aide d’un lien de causalité.

finalement (finally)

Un faux ami classique dans la formulation des énumérations, même si certains utiliseront sans doute le vieux français comme excuse pour justifier cet anglicisme en français moderne.

Le cas de l’adverbe finalement est à bien des égards typique. Il partage avec l’anglais finally la même origine latine et on pourrait penser que les deux mots partagent aussi le même sens. Mais la réalité est que les choses sont plus complexes.

Les ouvrages de référence ne nous sont pas d’une grande aide. Le Grand Robert, en particulier, n’offre que deux sens formulés de façon très succincte et largement insuffisante. Et l’exploration d’ouvrages sur l’histoire de la langue française, comme le Trésor de la langue française, montre que finalement avait sans doute par le passé le sens que lui donnent à tort aujourd’hui certains locuteurs francophones sous l’influence de l’anglais, de sorte qu’on s’expose, en soulevant la question de son emploi en français moderne, aux arguments classiques de ceux qui se servent abusivement de l’histoire de la langue pour excuser des emplois qui sont de toute évidence des anglicismes dans la langue d’aujourd’hui.

Le problème fondamental est qu’il y a, en français, deux adverbes exprimant l’idée de finalité et partageant la même racine : finalement et enfin. Mais ces deux adverbes présentent, en français moderne, des différences de sens et d’emploi qu’on ne peut ignorer.

Pour illustrer ces différences, je donne souvent l’exemple authentique d’une phrase prononcée par ma femme anglophone il y a de cela près de deux décennies maintenant, lorsqu’elle a rencontré pour la première fois ses beaux-parents (français) après avoir entendu parler d’eux et correspondu avec eux pendant une période de plusieurs mois. Je ne me souviens plus de la phrase exacte, mais c’était quelque chose du genre :

Eh bien, je suis contente de vous rencontrer *finalement.

Sur le coup, pour ne pas l’embarrasser, je n’ai rien dit, mais j’ai bien vu le regard un peu surpris et le léger malaise de mes parents lorsqu’ils ont entendu cette phrase, ne sachant pas vraiment comment y réagir. Et en fin de soirée, après qu’ils sont allés se coucher, je n’ai pas pu m’empêcher de revenir sur cette phrase pour expliquer à ma femme que, en disant cela, elle avait involontairement conduit mes parents à penser qu’elle n’avait pas, à l’origine, envie de les rencontrer et qu’elle n’avait changé d’avis qu’après les avoir rencontrés.

Car il se trouve que l’adverbe finalement a en français, une certaine nuance de sens négative. Il exprime non seulement l’idée d’aboutissement chronologique d’un processus, mais aussi — et surtout — l’idée que le résultat du processus s’est avéré être quelque peu contraire à ce qu’on attendait. En disant cela, ma femme a involontairement laissé mes parents penser qu’elle s’attendait à ne pas les aimer et qu’elle avait été surprise, au bout du compte, de constater que, contrairement à ses attentes, elle les aimait bien.

En réalité, ce que ma femme voulait exprimer, c’était bien entendu seulement l’idée qu’elle était contente que la longue attente soit terminée. Or en français moderne, cette idée d’ordre surtout temporel ne s’exprime pas à l’aide de l’adverbe finalement, mais à l’aide de l’adverbe enfin. Ce qu’elle aurait dû dire, c’est quelque chose comme :

Je suis contente de vous avoir enfin rencontrés.

Il s’agit d’une nuance de sens subtile, mais essentielle. La preuve en est que, après que je lui ai expliqué le problème, ma femme n’a pas dormi de la nuit et s’est empressée, dès que mes parents se sont levés le lendemain matin, de leur expliquer ce qui s’était passé et l’origine de son erreur et du malentendu.

Plus généralement, cependant, le principal problème posé par finalement en français moderne est lié à un contexte beaucoup plus terre-à-terre, qui est celui des adverbes utilisés quand on veut faire une énumération. Quand on veut numéroter de façon explicite les différents éléments d’une liste, on utilise en anglais soit firstly, secondly, thirdly, etc., jusqu’à lastly, soit, plus couramment, first, second, third, etc. jusqu’à last, en utilisant les adjectifs dans une fonction adverbiale :

First, dice three potatoes. Second, add the bouillon. Last, simmer for half an hour.

Si on ne veut pas nécessairement numéroter les éléments de façon explicite, on utilise plutôt first, then, et… finally :

First, dice three potatoes. Then add the bouillon. Finally, simmer for half an hour.

Qu’en est-il en français ? Il existe également deux façons d’énumérer. La première, comme l’anglais, utilise les adjectifs ordinaux sous forme adverbiale :

Premièrement, couper en dés trois pommes de terre. Deuxièmement, ajouter le bouillon. Dernièrement, faire mijoter pendant une demi-heure.

Mais on peut aussi énumérer sans numérotation, en commençant par d’abord ou tout d’abord et en continuant avec ensuite et puis. Pour terminer l’énumération, cependant, en français moderne, on n’utilise pas finalement :

Tout d’abord, couper en dés trois pommes de terre. Ensuite, ajouter le bouillon. *Finalement, faire mijoter pendant une demi-heure.

Cet emploi de finalement est fautif. L’énumération, qui concerne l’ordre temporel des étapes et n’appelle aucune nuance de sens négative, doit se terminer non pas par finalement, mais par enfin :

Tout d’abord, couper en dés trois pommes de terre. Ensuite, ajouter le bouillon. Enfin, faire mijoter pendant une demi-heure.

Or, au Canada français en particulier, on entend bien trop souvent les locuteurs francophones utiliser finalement dans cette position.

Bien entendu, comme je l’ai laissé entendre plus haut, si on explore un peu l’histoire de la langue, on arrive assez facilement à trouver des exemples prouvant que finalement a été utilisé par le passé en français dans ce sens temporel, sans nuance de sens négative. Le Trésor de la langue française cite ainsi un extrait du Nez d’un notaire, d’un certain Edmond About (1862) :

Il s’adressa d’abord à la raison, puis à la conscience, et finalement au cœur de son malade.

Mais cet emploi n’existe plus vraiment en français moderne et je crois que, en toute conscience, aucun locuteur canadien moderne ne peut sérieusement prétendre que l’emploi de finalement dans ce sens en français au Canada illustre la préservation d’un emploi du mot au Canada qui se serait perdu ailleurs dans la francophonie. Il me paraît évident que la plupart des locuteurs canadiens qui utilisent finalement dans le contexte d’une énumération en français au Canada le font sous l’influence de l’anglais et que, à ce titre, finalement est bel et bien un faux ami, comme ma femme a pu le constater à son plus grand désarroi le jour où elle a enfin rencontré mes parents pour la première fois.

initier (to initiate)

Emploi largement inutile et injustifié du verbe dans son sens anglais (ou latin), qui n’existe pas en français moderne.

D’où est-ce qu’il sort, celui-là ?

Tout d’un coup, depuis quelques années, on entend toutes sortes de personnes — les présentateurs de journaux télévisés, par exemple — parler de ministres qui « initient » des enquêtes, d’organismes qui « initient » des projets, etc.

Le français initier et l’anglais to initiate ont bel et bien en commun le sens propre d’admission à la connaissance de rites ou de cultes secrets ou religieux et à la participation à ces rites ou cultes.

Ils ont aussi en commun le sens figuré d’enseignement des rudiments d’un savoir, même si, en anglais, on utilise surtout to initiate pour les savoirs quelque peu obscurs ou difficiles, alors que, en français, on peut initier plus généralement quelqu’un à toutes sortes de savoirs, même s’ils ne sont pas particulièrement obscurs ni difficiles.

Et bien entendu, les deux mots viennent de la même racine latine, c’est-à-dire le verbe initiare qui signifiait proprement « commencer ».

Mais le sens très général que le verbe a aussi en anglais, qui est celui du verbe latin, à savoir « commencer », « entamer », « lancer » quelque chose (une initiative, un programme, une enquête, etc.) n’existe pas en français moderne. Ou plutôt, alors que ce sens figure en première place dans les dictionnaires anglais pour le verbe to initiate, en français, il est rélégué en fin d’article, et affublé du label « anglicisme ». Ainsi :

The department initiated an assessment program in 1997.

sera rendu non pas par :

Le ministère a *initié un programme d’évaluation en 1997.

mais par :

Le ministère a lancé un programme d’évaluation en 1997.

Le Grand Robert évoque l’« influence de l’anglais » et mentionne que le sens, en français, serait de « prendre l’initiative de quelque chose ». Mais il précise aussi clairement en note que de tels emplois sont « sans rapport avec le sémantisme du verbe français ». Et ce n’est sans doute pas un hasard si tous les exemples qu’il donne sont tirés de revues scientifiques.

Il me semble qu’il y a suffisamment de verbes français exprimant l’idée de commencement (commencer, débuter, lancer, entamer, déclencher, etc.) pour qu’on n’ait vraiment pas besoin d’en importer un autre, qui est de toute évidence un anglicisme. La seule raison que je voie est une certaine passivité face à l’influence de l’anglais et ce trait bien courant consistant à utiliser des mots anglais ou anglicisés pour essayer de se donner un air plus savant ou plus moderne.

Apposition [1]

Problème qui illustre une différence entre l’anglais et le français dans la façon de voir les hiérarchies et d’y faire référence.

Il est fréquent, en anglais, lorsqu’on mentionne un objet ou une personne faisant partie d’une hiérarchie ou d’une structure, d’aller du général au particulier, en mettant les éléments successifs en apposition.

Par exemple, on rencontrera une tournure comme :

Mrs. X, Department of Education, Evaluation Committee, says that…

Dans cette tournure, on indique que Mrs. X fait partie du comité d’évaluation, lequel fait à son tour partie du ministère de l’Éducation.

Un tel ordre des choses n’est pas naturel en français :

Mme X, *Ministère de l’Éducation, Comité d’évaluation, dit que…

On privilégie en français l’ordre allant du particulier au général, c’est-à-dire :

Mme X, Comité d’évaluation, Ministère de l’Éducation, dit que…

Mais en réalité, même cette façon de présenter les choses n’est pas idéale, d’une part parce que l’usage de l’apposition n’est de loin pas aussi répandu en français qu’il l’est en anglais (en particulier dans le corps d’un texte) et d’autre part parce qu’une telle présentation soulève des questions propres au français relatives à l’emploi de la majuscule. (L’anglais étant atteint de majusculite aiguë, il ne souffre pas de ce genre de problème.)

On préférera donc écrire les choses de façon plus claire et moins abrupte, en évitant le caractère brutal et froid de l’apposition et en explicitant les liens d’appartenance avec la préposition de :

Mme X, du comité d’évaluation du ministère de l’Éducation, dit que…

On notera que cette explicitation des liens sous une forme syntaxique explicite oblige à respecter les usages concernant l’emploi de la majuscule dans le corps du texte. (Pour les ministères, au Canada du moins, l’usage est de mettre la minuscule à ministère et la majuscule au substantif définissant le portefeuille. Pour le comité d’évaluation, j’ai supposé qu’il s’agissait d’un comité interne dont le nom n’était pas officiel et ne prenait pas de majuscule. L’usage pourra bien entendu varier selon le contexte.)

Les mêmes remarques sur l’apposition s’appliquent à toutes sortes de contextes et pas seulement celui des positions des personnes dans des hiérarchies. Par exemple, dans le domaine informatique, on rencontrera en anglais une tournure comme :

This site uses DSpace, Version 1.2.3.

Là encore, l’anglais va du général au particulier et utilise l’apposition. En français, on pourrait être tenté d’écrire quelque chose comme :

Ce site utilise *DSpace, version 1.2.3.

Mais une telle présentation n’est pas naturelle en français, où l’on préférera l’ordre inverse et l’explicitation des liens :

Ce site utilise la version 1.2.3 de DSpace.

Il convient donc de se méfier des appositions en français et d’éviter d’en user à tour de bras, comme l’anglais le fait semble-t-il si naturellement, et aussi de respecter l’ordre hiérarchique plus naturel en français allant du particulier au général.

défi (challenge)

Les difficultés à surmonter peuvent représenter des défis à relever, mais on ne peut pas tout mélanger.

Il se trouve sans doute des Québécois pour se moquer des « Français de France » et en particulier des sportifs professionnels français (et francophones) qui parlent du fait qu’ils ont besoin d’un « nouveau challenge » quand ils décident de changer d’équipe.

Il est effectivement assez ridicule d’utiliser un tel mot emprunté à l’anglais et à la prononciation francisée au lieu du mot français défi, qui veut dire exactement la même chose. Mais ce sont des sportifs professionnels dont on parle, qui ne brillent généralement pas par leur maîtrise de la langue et ne sont pas considérés comme des modèles sur ce plan.

Pendant ce temps, il y a un problème beaucoup plus sournois et beaucoup plus grave qui affecte le mot défi dans la bouche des francophones et en particulier des Québécois eux-mêmes. Ce problème vient du fait que le mot challenge a, en anglais, deux sens principaux bien distincts.

Le premier sens est effectivement celui de « défi » et, dans ce sens-là, on rendra effectivement challenge par défi en français. Ainsi, une phrase comme :

The government’s first challenge is to get the economy going.

sera rendue par :

Le premier défi qu’aura à relever le gouvernement est la relance économique.

(L’exemple est tiré du Grand Robert & Collins.)

On notera, dans cet exemple, l’emploi en français du verbe relever, qu’on trouve effectivement souvent avec défi. En français, un défi, c’est un objectif que je me fixe ou qu’autrui fixe pour moi et que je vais m’efforcer d’atteindre, en relevant le défi.

Le mot challenge a cependant aussi, en anglais, un autre sens, qui est celui de « difficulté », de « problème ». Ce problème ne constitue pas nécessairement un défi. Il peut s’agir simplement d’un obstacle à surmonter.

The student will have to overcome several challenges in the learning process.

Ici, on ne peut pas dire :

L’élève devra surmonter plusieurs *défis dans son apprentissage.

On devra, au contraire, dire :

L’élève devra surmonter plusieurs difficultés dans son apprentissage.

L’enseignant peut, certes, lui fixer un défi, qui sera celui de surmonter ces difficultés. Mais ce que l’élève surmontera, ce seront les difficultés et non le défi. Le défi consistera précisément à surmonter ces difficultés.

Cette nuance de sens se comprend mieux quand on pense à l’adjectif anglais challenging. Cet adjectif anglais n’a tout simplement pas d’équivalent français formé à partir de la base défi. On ne peut pas dire que a challenging task est une tâche *défiante !

L’adjectif français correspondant à challenging est généralement difficile.

Je ne dis pas, bien entendu, qu’il n’y a pas de lien sémantique entre défi et difficulté. Au contraire, c’est précisément ce que je viens d’expliquer ci-dessus. Mais ce lien sémantique ne rend pas les deux mots synonymes. La différence entre les deux mots se situe en particulier dans la façon dont on va les employer dans la phrase, dans les verbes auxquels ils vont se combiner. On rencontre une difficulté, on la surmonte, mais on relève un défi.

Au lieu de difficulté, on utilisera aussi dans certains cas problème. Là encore, tout est dans le verbe avec lequel on emploie le nom. On rencontre un problème, un problème se pose et on le résout, mais on ne « résout » pas un défi. Un défi est quelque chose qu’on relève, un idéal qu’on essaye d’atteindre, pour lequel on essaye de dépasser ses limites.

On pourrait à la limite aussi « rencontrer » un défi en français, mais seulement, à mon avis, si ce défi était explicitement fixé en tant que tel par quelqu’un d’autre. Or s’il est explicitement fixé par quelqu’un, il est peu probable qu’on le « rencontre », qu’on s’y « heurte » par accident, de façon inattendue.

Dans le sens plus général de « difficulté », en français soigné, challenge doit donc être rendu par difficulté ou problème et non par défi. Pendant ce temps, les sportifs francophones peuvent continuer de parler de leur besoin d’un « nouveau challenge » en français et les Québécois puristes peuvent continuer de se moquer d’eux. C’est un problème bien moins grave et bien plus superficiel.

to have no idea

Problème concernant l’expression utilisée seule, mais aussi avec un complément prenant la forme d’une interrogative indirecte.

Dans le domaine des faux amis anglais-français qui sont des expressions et non des mots pris isolément, on trouve l’expression to have no idea. Il existe bien en français une expression utilisant la formule aucune idée, mais cette expression diffère de façon significative de l’expression anglaise sur le plan grammatical et syntaxique.

Pour commencer, prenons l’expression utilisée isolément. Mettons que quelqu’un vous pose une question, vous demande par exemple où se trouvent les clefs de la voiture. En anglais, vous pouvez répondre :

I have no idea.

En français, cependant, vous ne pouvez pas répondre :

Je *n’ai aucune idée.

Pourquoi ? Parce que, en français, l’expression se construit systématiquement avec un complément introduit par la préposition de. Si vous ne voulez pas répéter le complément, il faut donc au minimum utiliser le pronom en :

Je n’en ai aucune idée.

Les choses se compliquent lorsque le complément est explicité et exprimé sous la forme d’une interrogative indirecte :

I have no idea where the keys are.

Il n’est pas vraiment possible, en français (même si cela s’entend dans la langue familière), d’utiliser une tournure comme :

Je *n’ai aucune idée où se trouvent les clefs.

Et encore moins :

Je *n’ai aucune idée de où se trouvent les clefs.

La contraction n’arrange rien. La tournure suivante reste fautive :

Je *n’ai aucune idée d’où se trouvent les clefs.

Pourquoi ? C’est un problème qui relève d’une différence fondamentale entre l’anglais et le français pour ce qui est de l’emploi de l’interrogative indirecte. La grammaire anglaise est beaucoup plus flexible que le français et permet des interrogatives indirectes dans toutes sortes de contextes syntaxiques.

Par exemple, on peut dire quelque chose comme :

You have to make a decision about how you are going to get there.

Impossible en français de dire quelque chose comme :

Il faut que tu prennes une décision *sur comment tu vas t’y rendre.

Autrement dit, on ne peut pas combiner une interrogative indirecte avec une préposition qui ne peut introduire qu’un syntagme nominal. En français, on est obligé de tourner la phrase autrement, par exemple en rétablissant le verbe au lieu du nom d’action :

Il faut que tu décides comment tu vas t’y rendre.

Le retour au verbe, lequel peut se construire avec une interrogative indirecte, permet d’éviter le problème. On peut aussi remplacer l’interrogative indirecte par un syntagme nominal :

Il faut que tu prennes une décision sur la façon dont tu vas t’y rendre.

Le remplacement de l’adverbe interrogatif par un nom permet d’introduire une proposition relative et le tour est joué.

Pour revenir à to have no idea, comme l’équivalent français se construit avec la préposition de, il faut là aussi tourner les choses autrement. La solution est de remplacer l’adverbe interrogatif par un nom :

Je n’ai aucune idée de l’endroit où se trouvent les clefs.

Tous les adverbes interrogatifs peuvent ainsi se remplacer par des noms : comment par la façon de, par l’endroit où, pourquoi par la raison pour laquelle, etc. (Il y a évidemment plusieurs synonymes possibles.) Lorsque l’interrogative indirecte utilise un pronom interrogatif, la situation est légèrement différente. Ainsi :

I have no idea which car to choose.

Ici encore, il est évidemment impossible en français de dire :

Je n’ai aucune idée *de quelle voiture choisir.

Il faut alors dire quelque chose comme :

Je n’ai aucune idée de la voiture que je vais choisir.

Ou bien utiliser carrément une autre tournure :

Je ne sais pas quelle voiture choisir.

Pour récapituler, to have no idea tout seul se rend par n’en avoir aucune idée, avec le pronom en obligatoire. Et to have no idea suivi d’une interrogative indirecte introduite par un adverbe interrogatif se rend par une structure où l’adverbe interrogatif est remplacé par un syntagme nominal. Pour have no idea suivi d’une interrogative indirecte introduite par un pronom interrogatif, il faut modifier la structure de la phrase ou bien carrément changer d’expression.

Certains diront peut-être que je pinaille et que l’expression n’avoir aucune idée peut être considérée comme une expression figée à valeur verbale et donc utilisée comme ne pas savoir, directement avec une interrogative indirecte, sans de. À ceux-ci, je répondrai que, pour qu’une expression devienne vraiment figée, il faudrait qu’elle ne puisse plus changer de forme. Or, comme on l’a vu avec le tout premier exemple, quand elle est utilisée seule sans complément explicite, l’expression exige le pronom en, qui vient s’insérer avant le verbe(n’en avoir aucune idée). L’expression n’est donc pas si figée que cela et ne pourra pas vraiment le devenir tant qu’on continuera à exiger ce pronom. Je dirai donc que, en français soigné, il vaut mieux continuer d’éviter l’interrogative indirecte directement après idée.

Nous aurons par ailleurs l’occasion de revenir sur le problème de l’interrogative indirecte, qui est en elle-même une fausse amie, dans le cadre d’autres articles.

étudier (to study)

Emploi intransitif du verbe en français (au sens de « faire ses études ») qui ne correspond pas à l’usage du français moderne, le vieux français servant une nouvelle fois d’excuse.

Les verbes to study et étudier ne sont pas vraiment de faux amis. Ils sont dans une large mesure synonymes et s’emploient en gros de la même manière. Mais il y a une différence entre l’anglais et le français qui, selon moi, mérite d’être notée.

En anglais, on utilise en effet couramment le verbe sous une forme intransitive, pour exprimer l’idée de « faire ses études ». Cet emploi intransitif du verbe dans ce sens existe certes en français, mais le Robert le qualifie de « vieilli » et il est, à mon avis, à éviter en français moderne.

Ainsi, une tournure comme :

Canadian students studying abroad

donnera en français non pas :

les étudiants canadiens qui étudient à l’étranger

mais plutôt :

les étudiants canadiens qui font leurs études à l’étranger

Les lecteurs attentifs auront remarqué que je n’ai pas mis d’astérisque dans la version française en rouge. C’est parce que le tour n’est pas faux. Il n’est tout simplement pas courant en français moderne.

On le trouve cependant régulièrement sous la plume de locuteurs francophones au Canada et c’est à mon avis non pas parce qu’ils auraient gardé en vie une tournure vieillie du français classique, mais sous l’influence de l’anglais moderne, dans lequel cet emploi intransitif du verbe to study est bel et bien vivant et la façon normale d’exprimer le fait de faire ses études.

Il s’agit donc ici d’un faux ami « grammatical », qui ne concerne que la façon dont le verbe se construit et non ce qu’il signifie à proprement parler.

Quand on utilise le verbe étudier sous une forme intransitive en français moderne, cela fait un effet bizarre, comme s’il manquait quelque chose (à savoir le C.O.D. du verbe). Quand j’entends ou je lis une tournure comme « les étudiants canadiens qui étudient à l’étranger », j’ai envie de demander : « Qui étudient quoi ? »

C’est peut-être du pinaillage, mais je n’arrive pas à défendre et à accepter un usage que d’aucuns pourraient prétendre justifier au nom d’un vieux français « authentique » qui se serait miraculeusement préservé au Canada — alors que, dans la plupart des cas, c’est en raison de l’influence de l’anglais qu’on retrouve cet emploi intransitif en français.