it is in one’s interest to

La préposition n’est pas la même en français. Et il est même sans doute préférable d’utiliser une autre tournure.

On a déjà évoqué ici les problèmes suscités par la polysémie des termes de la famille intérêt/intéresser et par la multiplicité de leurs constructions.

Aujourd’hui, je m’intéresse à l’expression anglaise it is in one’s interest to. Ce qui m’y pousse, c’est cet extrait d’un article de la version québécoise du Huffington Post :

Les femmes françaises savent qu’il n’est pas *dans leur intérêt d’aller au conflit direct.

Pour moi, cette tournure n’est pas correcte. (Il y a d’ailleurs un certain nombre de fautes dans cet article et en particulier des anglicismes assez surprenants pour un auteur qui est apparemment un Français expatrié : il écrit consister *de, par exemple. Pourtant, il n’y a pas de raison de penser que le texte soit une traduction.)

Comme l’indique le Robert & Collins, si l’on s’en tient à une approche littérale, l’équivalent français de

it is in your own interest to do so

n’est pas

il est *dans votre intérêt d’agir ainsi

mais

il est de votre intérêt d’agir ainsi

Cela dit, le dictionnaire s’empresse de donner aussi un autre équivalent :

vous avez tout intérêt à agir ainsi

Et il n’a pas tort. La traduction littérale est peut-être correcte, mais elle relève d’un registre tout de même assez soutenu et ne se dit pas vraiment dans la langue courante, contrairement à avoir tout intérêt à, qui présente l’avantage d’utiliser le même substantif, mais dans une structure plus naturelle et familière en français.

La version « correcte » de la phrase de l’article citée ci-dessus serait donc :

Les femmes françaises savent qu’elles ont tout intérêt à ne pas aller au conflit direct.

ou encore :

Les femmes françaises savent qu’elles n’ont aucun intérêt à aller au conflit direct.

On peut aussi signaler, pour finir, que le recours à une expression avec intérêt n’est pas obligatoire. On pourrait aussi très bien dire, par exemple :

Les femmes françaises savent qu’il vaut mieux [pour elles] ne pas aller au conflit direct.

Je dirais même que ce type de tournure se prête mieux à la combinaison avec une négation, comme dans cet exemple.

agir comme

En dépit de ce que dit le Bureau de la traduction, j’aurais tendance à recommander la méfiance vis-à-vis de l’emploi de « agir comme » en français.

J’ai parfois du mal à comprendre les recommandations du Bureau de la traduction. Selon cet organisme, en effet, la construction agir comme « est tout à fait correcte ». L’unique exemple donné pour justifier cette position est le suivant :

J’agis comme mandataire de M. Laporte.

Certes. Mais la question ne mérite-t-elle pas d’être examinée d’un peu plus près ? Ce n’est pas parce que le Grand Robert, par exemple, donne lui aussi comme exemple j’agis ici comme mandataire de M. X. que la construction se justifie dans toutes sortes de contextes.

La première chose à remarquer est la rubrique sous laquelle l’exemple apparaît dans l’article du Grand Robert. Le sens d’agir donné ici est celui de « se comporter dans l’action (de telle ou telle manière) ». Et on peut dire, effectivement, que, quand Y est mandaté par X, il se comporte dans ses actes comme un mandataire. Ce sur quoi on met l’accent ici, c’est moins la fonction que le comportement.

Il y a toutes sortes de contextes, en revanche, où ce dont il est clairement question, c’est la fonction et en particulier son caractère officiel. Par exemple, quand l’anglais dit :

During in command, he also acted as President of the AFCEA Ottawa Chapter.

il me semble évident que ce qu’il veut dire, c’est non pas que l’individu en question s’est comporté comme un président, mais qu’il a bel et bien été officiellement président de l’organisme concerné pendant la période. Pourtant, voici ce que dit la version française du texte dit :

Pendant son Commandement, il a aussi *agit comme président pour le chapitre Ottawa de l’AFCEA.

Il est clair que cette traduction est bâclée : majuscule superflue à Commandement, faute d’orthographe flagrante dans agit

Ce qui m’intéresse ici, cependant, c’est que la construction agir comme est déplacée et sent l’anglicisme. On dira plutôt :

Pendant son commandement, il a aussi été président du chapitre d’Ottawa de l’AFCEA.

Dans une telle notice biographique, on ne s’intéresse pas vraiment à ce qu’il a fait, mais à ce qu’il a été, aux titres qui lui ont été décernés, aux fonctions qu’il a remplies.

Il y a certes sans doute des contextes où la différence de sens s’estompe et l’on se trouve dans la zone floue qui sépare les deux sens. C’est pour cela que le Bureau de la traduction et la base TERMIUM donnent aussi des équivalents français comme agir à titre de ou agir en qualité de.

Cela n’empêche pas de remarquer que le verbe agir, quelle que soit la construction dont il fait partie, n’est pas vraiment approprié dans tous les cas où l’anglais utilise to act as.

Ce qui est encore plus remarquable, c’est de voir des francophones utiliser agir comme alors même que l’original anglais qu’ils traduisent n’utilise pas to act as. Dans cet autre extrait du site du ministère de la Défense nationale du Canada, on trouve en titre la question :

Who Can Be a Reference?

Et cela devient en français :

Qui peut *agir comme répondant(e) ?

En fait d’action, tout ce que fait le « répondant », c’est fournir des renseignements sur la personne. Difficile de voir, dans un tel contexte, ce qui justifie l’emploi d’une construction comme agir comme.

Toujours dans le domaine militaire, on trouve dans une autre biographie en anglais :

Col Stevens also serves as Director, Health Services Reserves.

Ici encore, pas d’action en anglais, mais un service. En français, pourtant, on a :

Le Col Stevens *agit également comme Directrice – Réserve des services de santé.

Mouais.

Suis-je vraiment le seul à trouver, dans une telle tournure (sans tenir compte des autres problèmes de la phrase), qu’on a l’impression que la personne en question a rempli ces fonctions par intérim ou à titre de remplaçante ?

En dépit de ce que dit le Bureau de la traduction, j’aurais donc tendance à recommander la méfiance vis-à-vis de l’emploi d’agir comme en français.