conservation

Quand il s’agit d’encourager les gens à limiter leur consommation d’eau, peut-on vraiment parler de mesures de conservation de l’eau ?

C’est apparemment ce que pensent les traducteurs du gouvernement fédéral du Canada. Le chapitre 7 d’une publication intitulée The Environmentally Responsible Construction and Renovation Handbook, par exemple, est intitulé en anglais :

Chapter 7 – Implementing Water Conservation

Vous n’aurez pas de mal à deviner ce que dit la version française :

Chapitre 7 – Mise en oeuvre de mesures de *conservation de l’eau

Or si, en anglais, le substantif conservation a bel et bien, entre autres, le sens de « prévention du gaspillage d’une ressource » (dans des expressions comme energy conservation, water conservation, etc.), ce n’est pas le cas en français.

On ne parlera jamais, par exemple, de conservation de l’énergie, mais d’économies d’énergie. De même, l’expression *conservation de l’eau est pour moi fautive. En français, la notion de conservation suppose le maintien de quelque chose en l’état. Si l’on voulait l’utiliser dans le contexte des économies d’eau, cela ne pourrait se faire (théoriquement) qu’en faisant explicitement référence à ce qu’on maintient en l’état, à savoir non pas l’eau qu’on utilise, mais les réserves (cours d’eau, nappes phréatiques, etc.) où l’on puise cette eau.

On pourrait donc (théoriquement) parler de la conservation de la nappe phréatique. Mais, en l’occurrence, il est bien rare qu’on sache ou qu’on veuille indiquer d’où vient l’eau qu’on consomme. Elle peut provenir de différentes sources (cours d’eau, plans d’eau, nappes phréatiques, etc.). Quand l’anglais parle de water conservation, ce dont il est question, en français, c’est de réduction de la consommation d’eau, d’élimination du gaspillage d’eau. Il s’agit donc d’économiser l’eau (après l’avoir extraite de ses sources) et non de la *conserver.

Ce qui conduit peut-être certains traducteurs à hésiter à utiliser économies/économiser ici, c’est le fait que le sens premier de ces mots concerne le domaine pécuniaire. Mais on peut, dans un sens figuré, économiser en français toutes sortes de choses autres que l’argent : l’énergie, l’électricité, le temps, la place, ses forces, etc. L’eau n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres.

L’autre problème est que économies se construit, dans ce sens, principalement au pluriel. Au singulier, économie a bien, entre autres, le sens de « gestion où l’on évite toute dépense inutile », mais c’est, comme souvent en français, un sens plutôt abstrait (comme dans vivre avec économie, par exemple), alors que, au pluriel, le substantif a un sens plus concret et fait référence aux manifestations de cette économie.

On peut bien, comme l’indique le Grand Robert, réaliser, par exemple (au singulier), une économie de matières premières, mais cela fait référence à une mesure ponctuelle de réduction de la consommation. Quand on veut parler de façon plus générale d’un comportement consistant à réduire de façon systématique sa consommation dans différentes circonstances, il faut alors parler d’économies au pluriel.

En outre, le substantif pluriel se construit avec un complément du nom sans article défini. On parlera donc, non pas d’économies *de l’eau, mais d’économies d’eau.

Tout ceci fait que, dans l’exemple donné ci-dessus, le titre correct du chapitre de l’ouvrage aurait été :

Chapitre 7 – Mise en œuvre de mesures d’économies d’eau

Sans être faux, le double pluriel s’avère cependant quelque peu maladroit et il est sans doute préférable d’utiliser ici une tournure verbale :

Chapitre 7 – Mise en œuvre de mesures pour économiser l’eau

(Avec le verbe, on utilise bel et bien l’article défini.)

On évitera, de même, d’utiliser le verbe conserver dans le sens d’« économiser », sauf si le complément du verbe fait clairement et explicitement à la ressource (avant extraction) qu’on ne veut pas entamer. Et même quand le complément fait référence à la ressource, il est souvent préférable de parler de protection ou de préservation de la ressource. Le substantif conservation et le verbe conserver ont en effet un sens différent en français (conservation des aliments, conservation des œuvres d’art, des monuments, conservation de l’énergie et des forces en sciences physiques, etc.).

Dans le cas qui nous concerne ici, conservation est bel et bien un faux ami et est à éviter en français. Malheureusement, il est très répandu chez les francophones au Canada. (Je ne vous étonnerai pas en vous disant que le ministère des Ressources naturelles du Canada publiait naguère un cahier d’activités pour les enfants intitulé… Conserve l’énergie !)

Singulier ou pluriel ? (2)

Un autre exemple (selon moi) d’influence sournoise de l’anglais sur le français au Canada, avec l’utilisation du singulier « l’intimidation » au lieu du pluriel « les intimidations » pour rendre « bullying ».

Je viens d’avoir un débat intéressant avec mes collègues de travail sur le terme anglais bullying et son équivalent en français. Il n’existe pas de traduction française qui se soit imposée de façon universelle pour ce terme. Apparemment, en France, on aurait tendance à parler de harcèlement scolaire, alors que, au Canada français, on parlerait plutôt d’intimidation. (Le problème de harcèlement scolaire est qu’il limite d’emblée le concept au contexte scolaire, ce qui n’est pas le cas du terme anglais.)

Notre débat aujourd’hui ne portait pas sur le choix du terme. Nous sommes tous d’accord pour utiliser intimidation. Il portait sur la question de savoir s’il fallait utiliser le substantif au singulier ou au pluriel, c’est-à-dire dire et écrire l’intimidation ou les intimidations.

Mon propre point de vue est que l’emploi du terme au singulier pour parler de ce que les anglais appellent bullying n’est pas vraiment idiomatique en français. Comme pour bon nombre d’autres termes en français, le singulier sert à évoquer un concept de façon abstraite, tandis que le pluriel sert à désigner les manifestations concrètes du phénomène.

Or, dans le cas du bullying, il est tout particulièrement important de tenir compte à la fois de la diversité des manifestations du phénomène et du caractère souvent répétitif des comportements qui relèvent de cette forme de harcèlement. Et dès qu’on sort du cadre purement scolaire, on constate que le terme est plus souvent, dans la langue courante, utilisé au pluriel. Voici par exemple le titre d’un article du quotidien Le Monde qui fait partie (aujourd’hui) des 10 premiers résultats quand on fait une recherche sur « intimidations » dans Google :

Sarkozy appelle Moscou à cesser les intimidations contre la Géorgie

Il ne viendrait à l’idée de personne d’utiliser, dans ce titre, intimidation au singulier :

Sarkozy appelle Moscou à cesser *l’intimidation contre la Géorgie

Pourquoi ? Parce que cet article ne fait pas référence au concept d’intimidation dans l’abstrait, mais aux manifestations du phénomène dans le cadre des relations entre la Russie et la Géorgie.

Or, selon moi, le même raisonnement s’applique dans la majeure partie des cas où l’anglais emploie bullying au singulier. Et, toujours selon moi, la tendance à privilégier le singulier en français au Canada pour intimidation n’a rien d’idiomatique et est le résultat de l’influence sournoise de l’anglais, où ce concept est toujours exprimé au singulier.

C’est là que je suis en désaccord avec mes collègues. Pour eux, il faut dire la lutte contre l’intimidation, tout comme on dirait la lutte contre le harcèlement sexuel ou la lutte contre le tabagisme. Pour moi, il faudrait dire la lutte contre les intimidations.

(J’y vois aussi, comme facteur secondaire, l’influence des dictionnaires et des bases de données terminologiques, dans lesquels les termes figurent évidemment au singulier et les articles n’indiquent pas s’il est plus idiomatique d’utiliser le singulier ou le pluriel. Mais c’est aussi une influence de l’anglais, par l’intermédiaire des dictionnaires et bases bilingues, qui encouragent leurs utilisateurs à sauter sur des solutions sans les explorer dans le contexte unilingue de la langue dont elles relèvent.)

Mes collègues défendent l’emploi du singulier en disant que c’est ce qu’on dit au Canada. Et je ne peux pas leur donner tort. Dans la vaste majorité des cas, au Canada français, on utilise le singulier. Voici un exemple anglais tiré d’un site du gouvernement du Canada :

Bullying prevention in schools: Executive summary

Et voici l’équivalent français :

Programmes de lutte contre l’intimidation en milieu scolaire : résumé

Pour moi, il faudrait dire :

Programmes de lutte contre les intimidations en milieu scolaire : résumé

parce que ce contre quoi on lutte, ce n’est pas un concept abstrait, ce sont ses manifestations concrètes et multiples dans toute leur diversité.

Évidemment, il est possible de défendre l’emploi du singulier en évoquant la comparaison avec harcèlement. Mais la différence est que harcèlement ne s’utilise pas au pluriel pour désigner des manifestations concrètes du phénomène. On ne dit pas la lutte contre *les harcèlements. On dit, si on veut insister sur la multiplicité et la variété des manifestations du harcèlement, quelque chose comme la lutte contre toutes les formes de harcèlement.

Avec intimidation, en revanche, le pluriel est naturel en français, comme le montre l’exemple de l’article du Monde ci-dessus. Cela ne veut pas dire pour autant que le substantif intimidation soit un nom vraiment comptable. Ainsi, on ne dira pas :

Il y a eu *trois intimidations à l’école cette semaine.

On dira :

Il y a eu trois cas d’intimidation à l’école cette semaine.

On pourrait donc dire que, en français, il y a différents degrés d’abstraction et que le passage du singulier au pluriel, dans le cas d’intimidation, est un passage d’un degré supérieur à un degré inférieur d’abstraction, sans pour autant aller jusqu’au niveau le plus concret possible.

Il n’en reste pas moins que, en français, c’est le pluriel intimidations qui est le plus naturel pour rendre bullying, et qu’il est difficile de ne pas voir l’emploi du singulier l’intimidation au Canada français comme étant le résultat de l’influence sournoise de l’anglais, dans lequel ce concept est toujours exprimé au singulier.

Dans le débat d’aujourd’hui, j’ai dû me plier à l’avis de ma patronne et utiliser moi aussi le singulier, pour que nos documents soient conformes à l’usage des autres organismes du Canada avec qui nous œuvrons en partenariat. Mais je ne peux pas m’empêcher d’y voir le résultat de la pression d’une majorité qui ne résiste pas suffisamment à l’influence de l’anglais. (Au Canada, en tant qu’individu né et éduqué en France, je suis moi-même minoritaire dans la minorité, même si je suis depuis de nombreuses années citoyen canadien.)

Bien entendu, en disant que, selon moi, l’emploi du singulier est influencé par l’anglais, je dis quelque chose que, d’une part, je ne peux pas prouver irréfutablement et qui, d’autre part, est relativement difficile à expliquer, comme le montre la longueur du présent article. Mais c’est ainsi que la sournoiserie de l’influence de l’anglais se manifeste : sous l’influence de l’anglais, les Canadiens français se mettent à dire et écrire des choses qui ne se disent pas vraiment en français standard, qui ne sont pas naturelles en français standard, mais ces usages se répandent et, tôt ou tard, ils deviennent officiels, ils deviennent la norme et il est impossible de s’en défaire, malgré tous les efforts qu’on peut faire pour expliquer pourquoi ils sont douteux.

D’aucuns diront que c’est l’évolution naturelle de la langue. Le hic est que, quand cette évolution se limite à une sphère particulière (ici, le Canada français), elle ne se distingue pas vraiment de l’assimilation, si ce n’est qu’elle est beaucoup plus lente et plus sournoise.

matériel (material)

Un anglicisme que les pédagogues essayent de nous imposer, mais qui n’est pas justifié par les sens courants du substantif en français.

Dans le milieu universitaire, en particulier au Canada francophone, le substantif français matériel est souvent employé dans un sens qu’il n’a pas dans la langue courante et qu’il est abusif de lui donner même dans le contexte plus pointu d’une discipline universitaire particulière.

En français, le sens courant du substantif est en effet celui d’« ensemble des objets, des instruments, des machines, etc. utilisés dans un service, une exploitation quelconque » (par opposition au substantif personnel, qui fait référence aux ressources humaines). Par extension, il a aussi le sens courant plus général d’« ensemble des objets nécessaires à une activité », notamment sportive (matériel de pêche, matériel de camping, etc.).

Ce qui frappe dans ces sens courants du substantif en français, c’est l’importance du caractère concret, physique de ce dont on parle : des objets, des instruments, des machines, etc. Or c’est précisément sur ce point que le substantif français matériel se distingue de l’anglais material. Il y a certes un certain chevauchement entre la définition du mot français et celle du mot anglais, mais il y a aussi une différence de taille, qui est que le substantif material sert couramment, en anglais, à exprimer quelque chose comme : « faits, informations ou idées utilisées pour créer un livre ou un autre ouvrage ».

Ainsi, on aura en anglais une phrase comme :

There is much good material here for priests to use in sermons.

Il est malheureusement impensable d’utiliser ici le français matériel comme équivalent :

Il y a beaucoup de *matériel ici dont les prêtres pourraient se servir pour leurs sermons.

Au lieu de cela, il faut dire quelque chose comme :

Il y a beaucoup d’idées ici dont les prêtres pourraient se servir pour leurs sermons.

Le « *matériel » dont il est question ici n’a en effet rien de concret, de physique.

Dans mon travail, je rencontre souvent cet anglicisme dans des documents produits par des spécialistes francophones de l’éducation. Ils parlent de *matériel pédagogique pour décrire non seulement des choses comme des blocs, des objets à manipuler en classe, etc. — qui sont bel et bien du matériel — mais aussi et surtout des documents divers, des textes sur lesquels on pourra travailler en classe et qui ont une valeur pédagogique ou dont on peut faire un usage pédagogique (en raison de leur contenu ou de leur forme).

C’est selon moi inacceptable. Si, en anglais, le substantif material peut effectivement, dans le domaine de l’éducation, recouvrir à la fois les articles physiques qui constituent bel et bien en français du matériel et des choses comme des textes, des documents, ce n’est pas le cas pour le substantif matériel en français. En français, matériel ne peut faire référence qu’à des ressources physiques comme celles que j’évoque ci-dessus (blocs, objets, instruments scientifiques, etc.) et non à des documents textuels.

Si on sait que le learning material dont parle un texte anglais consiste exclusivement en des documents textuels, alors on pourra simplement parler de documents en français. Si, en revanche, on n’est pas sûr et il est possible que le terme anglais recouvre à la fois des documents et du matériel, alors il convient d’utiliser un terme plus générique, comme ressources pédagogiques, qui recouvre à la fois les documents textuels et les articles matériels. (Je note aussi au passage l’emploi en français de la forme plurielle, alors que l’anglais peut utiliser le singulier material dans un sens collectif, pour recouvrir une pluralité. L’anglais peut aussi utiliser la forme plurielle materials. En français, matériel est utilisé exclusivement au singulier, mais uniquement pour les objets physiques. Pour toutes les autres sortes de ressources, il faut utiliser des formes plurielles quand il y en a plus d’une, comme ressources ou documents.)

On me rétorquera qu’il existe bel et bien en français un sens du substantif matériel qui semble se rapprocher de celui de l’anglais material. C’est le sens n˚ 4 donné par le Robert, en le qualifiant de « didactique » et de sens relevant du domaine de l’ethnologie ou de la sociologie, où le mot signifie « ensemble des éléments soumis à un traitement (analyse, classement) » et recouvre aussi bien des objets concrets que des documents textuels. On parle par exemple de matériel de propagande pour faire référence à toutes sortes de choses, comme des tracts, des brochures, des affiches, etc. Ce ne sont pas nécessairement ici des choses physiques.

Mais c’est selon moi (et selon le Robert) un sens bien particulier du substantif, réservé à un domaine bien spécifique. Et c’est un sens qui met plutôt l’accent sur le caractère « brut » de ce dont on parle, en évoquant l’idée de données, d’informations de départ pour l’analyse — alors que, dans le sens que les pédagogues francophones donnent fautivement au substantif en français, ce n’est pas de telles données brutes dont il s’agit quand on parle abusivement de *matériel pédagogique, mais bel et bien de documents issus d’un travail de préparation, qui sont tout sauf bruts.

Il faut cesser, quand on utilise les dictionnaires, de profiter de l’excuse qu’un terme a un sens se rapprochant (plus ou moins) de l’anglais dans un domaine pointu et spécialisé pour justifier l’anglicisme dans la langue courante, où il n’a pas lieu d’être et ne peut être défendu. Les abréviations qu’un dictionnaire comme le Robert insère au début du sens d’un mot, avant la définition, sont d’une importance cruciale. Elles circonscrivent son emploi et éliminent la possibilité d’utiliser le mot dans ce sens dans d’autres domaines que celui qui est indiqué.

On me dira, pour finir, que la langue évolue et qu’il peut y avoir des glissements de sens, des généralisations par extension, etc. Cela va de soi et je n’ai jamais dit le contraire. Mais ces glissements se font normalement de façon naturelle et intrinsèque et non sous l’influence exclusive (dans une région géographique ou un domaine spécifique) d’une langue étrangère. Je ne vois rien dans l’évolution normale de la langue française telle qu’elle est utilisée par la majorité des francophones qui justifie l’extension du sens du substantif matériel qu’essayent d’imposer certains pédagogues ou autres spécialistes de l’éducation, sous l’influence évidente de l’anglais.

variété (variety)

« Une variété de » n’existe pas en français au sens que la tournure a en anglais.

Il existe une règle assez universelle en français, que j’ai déjà évoquée dans un premier article sur le singulier et le pluriel et selon laquelle il y a un grand nombre de substantifs en français qui s’emploient aussi bien au pluriel qu’au singulier, mais dont le sens au singulier est plus abstrait alors que le sens au pluriel fait référence à des choses plus concrètes.

Cette règle s’applique en particulier au mot variété et fait que son emploi au singulier dans un sens concret en français est un anglicisme, utilisé sous l’influence de l’équivalent anglais variety (qui partage la même origine étymologique, bien entendu).

On trouve ainsi souvent, en anglais, des tournures comme la suivante :

A variety of publications that present the latest labour market information are available.

Les francophones influencés par l’anglais, en particulier au Canada, ont trop souvent tendance à rendre la tournure en produisant un calque en français :

Il existe *une variété de publications présentant les toutes dernières informations sur le marché du travail.

Malheureusement, ceci n’est pas un emploi acceptable du mot variété en français. En français, le mot variété au singulier a avant tout un sens abstrait et désigne spécifiquement la « qualité de ce qui est varié ».

Or, dans la tournure anglaise ci-dessus, variety n’a pas ce sens abstrait. Il désigne au contraire un ensemble concret d’éléments (de publications, en l’occurrence) qui se caractérise par… sa variété, c’est-à-dire par le fait que les publications sont variées.

Pour rendre cela en français, il faut utiliser d’autres termes qui ont ce sens concret. Il peut s’agir de termes employés soit au singulier soit au pluriel. On pourra, par exemple, dire :

Il existe une gamme de publications présentant les toutes dernières informations sur le marché du travail.

Ou encore :

Il existe tout un éventail de publications présentant les toutes dernières informations sur le marché du travail.

On pourra aussi utiliser le mot sorte au pluriel dans la tournure suivante :

Il existe toutes sortes de publications présentant les toutes dernières informations sur le marché du travail.

Il est à noter qu’il existe bien des contextes dans lesquels le mot variété a un sens concret même au singulier. Mais ce sont des contextes différents. On pense entre autres à la biologie et à l’emploi du terme pour désigner la subdivision d’une espèce animale ou végétale. On pourra, par exemple, faire un croisement entre deux variétés différentes de pommes pour produire une nouvelle variété, un hybride.

Par extension, on peut également utiliser le mot dans le contexte de classifications autres que celle des espèces animales et végétales. On parlera, par exemple, des différentes variétés de nuages, de pierres précieuses, etc.

Mais il faut bien noter que, dans cette acception, le mot variété au singulier désigne un seul élément et que ce sont les différences entre variétés qui font justement la… variété (au sens abstrait) des éléments. La variété au singulier ne désigne pas une gamme de choses différentes, au contraire ! Elle désigne justement une catégorie particulière dans la classification, qui varie par rapport aux autres mais qui ne présente pas de variété en elle-même (pas du point de vue de la classification, en tout cas).

Il existe encore d’autres sens du terme variété en français (par exemple pour désigner un certain type de musique populaire), mais ces deux principaux sens sont l’essentiel et ils montrent clairement qu’il est impossible d’utiliser la tournure une variété de… en français au sens qu’a en anglais la tournure a variety of…

Je note aussi que le Multidictionnaire de Marie-Éva de Villers, qui prétend « refléter plus fidèlement le bon usage actuel du français au Québec et dans l’ensemble de la francophonie », donne comme deuxième sens de variété « ensemble diversifié », avec comme exemple ils vendent une variété de produits et comme synonyme… diversité. Tout cela est selon moi hautement contestable. On pourra certes dire quelque chose comme il y a une grande variété de produits dans ce magasin, mais ici encore, c’est à la qualité abstraite qu’on fait référence, c’est-à-dire au fait que les produits offerts dans le magasin sont très variés, et non à la gamme des produits offerte (la gamme ayant elle-même la qualité d’être très variée). Mais on ne peut pas vendre une qualité ou une propriété. On vend des produits qui ont cette propriété, mais pas la propriété elle-même. On ne peut donc pas, à mon avis, dire « vendre une variété de produits » sans faire un anglicisme.

Bien entendu, il est possible que, à terme, cet usage du terme français variété calqué sur l’anglais variety s’impose. Mais on n’en est pas là. Pour le moment, variété reste un faux ami dont il faut se méfier !

Singulier ou pluriel ? [1]

Le mot « information » a un sens différent selon qu’on l’emploie au singulier ou au pluriel et cette différence est propre au français.

Le mot information a à peu près le même sens en anglais et en français. Il n’est donc pas un faux ami sur le plan strictement lexical.

En revanche, il est utilisé sous des formes différentes en anglais et en français. En particulier, il y a de nombreux cas où l’anglais utilise le nom au singulier alors que le français utiliserait le pluriel.

Voici un exemple :

I have some information that I want to share with you.

En guise d’équivalent, au Canada francophone en particulier, on entend bien trop souvent en français une tournure comme celle-ci :

J’ai *de l’information dont je veux vous faire part.

Mais c’est inacceptable. Le substantif information ne peut pas être utilisé ainsi comme un nom non comptable (non dénombrable) en français. Soit on l’utilise au singulier avec l’article indéfini (une information) — mais alors cela implique qu’on a une seule information à présenter — soit on l’utilise au pluriel avec l’article indéfini pour rendre l’idée d’une quantité indéfinie :

J’ai des informations dont je veux vous faire part.

Il est bel et bien possible d’utiliser information au singulier en français dans différents contextes. Il peut arriver, après tout, qu’on n’ait qu’une information à présenter.

Il est également possible de faire référence au secteur journalistique qui s’occupe de l’actualité comme étant le secteur de l’information. On dira alors qu’un présentateur de journal télévisé, par exemple, travaille dans l’information. C’est un sens plus abstrait du terme : l’information est la notion générale ; les informations sont les manifestations concrètes de cette notion, les exemples de la notion définissant le secteur dans lequel on travaille.

On utilise aussi information au singulier dans des expressions comme élément d’information, réunion d’information, etc. et en particulier dans les fameuses technologies de l’information et de la communication (les TIC). Là encore, il est question d’information dans un sens plus abstrait, mais qui en outre ne se limite pas aux informations qui font l’actualité et concerne tous les types d’information, quels qu’ils soient.

Dans tous ces exemples, le caractère abstrait d’information au singulier n’en fait pas vraiment un substantif non comptable. Dans tous les cas où l’anglais traite information comme un substantif singulier non comptable, le français utilise le pluriel :

There is a lot of information in this document.
Il y a beaucoup d’*information dans ce document.
Il y a beaucoup d’informations dans ce document.

Ce phénomène ne se limite pas au substantif information. Le terme communication se comporte de façon semblable. (L’anglais hésite d’ailleurs beaucoup plus entre singulier et pluriel pour communication que pour information.) Mais le cas d’information est particulièrement frappant et suscite de nombreuses utilisations impropres au Canada francophone.