matériel (material)

Un anglicisme que les pédagogues essayent de nous imposer, mais qui n’est pas justifié par les sens courants du substantif en français.

Dans le milieu universitaire, en particulier au Canada francophone, le substantif français matériel est souvent employé dans un sens qu’il n’a pas dans la langue courante et qu’il est abusif de lui donner même dans le contexte plus pointu d’une discipline universitaire particulière.

En français, le sens courant du substantif est en effet celui d’« ensemble des objets, des instruments, des machines, etc. utilisés dans un service, une exploitation quelconque » (par opposition au substantif personnel, qui fait référence aux ressources humaines). Par extension, il a aussi le sens courant plus général d’« ensemble des objets nécessaires à une activité », notamment sportive (matériel de pêche, matériel de camping, etc.).

Ce qui frappe dans ces sens courants du substantif en français, c’est l’importance du caractère concret, physique de ce dont on parle : des objets, des instruments, des machines, etc. Or c’est précisément sur ce point que le substantif français matériel se distingue de l’anglais material. Il y a certes un certain chevauchement entre la définition du mot français et celle du mot anglais, mais il y a aussi une différence de taille, qui est que le substantif material sert couramment, en anglais, à exprimer quelque chose comme : « faits, informations ou idées utilisées pour créer un livre ou un autre ouvrage ».

Ainsi, on aura en anglais une phrase comme :

There is much good material here for priests to use in sermons.

Il est malheureusement impensable d’utiliser ici le français matériel comme équivalent :

Il y a beaucoup de *matériel ici dont les prêtres pourraient se servir pour leurs sermons.

Au lieu de cela, il faut dire quelque chose comme :

Il y a beaucoup d’idées ici dont les prêtres pourraient se servir pour leurs sermons.

Le « *matériel » dont il est question ici n’a en effet rien de concret, de physique.

Dans mon travail, je rencontre souvent cet anglicisme dans des documents produits par des spécialistes francophones de l’éducation. Ils parlent de *matériel pédagogique pour décrire non seulement des choses comme des blocs, des objets à manipuler en classe, etc. — qui sont bel et bien du matériel — mais aussi et surtout des documents divers, des textes sur lesquels on pourra travailler en classe et qui ont une valeur pédagogique ou dont on peut faire un usage pédagogique (en raison de leur contenu ou de leur forme).

C’est selon moi inacceptable. Si, en anglais, le substantif material peut effectivement, dans le domaine de l’éducation, recouvrir à la fois les articles physiques qui constituent bel et bien en français du matériel et des choses comme des textes, des documents, ce n’est pas le cas pour le substantif matériel en français. En français, matériel ne peut faire référence qu’à des ressources physiques comme celles que j’évoque ci-dessus (blocs, objets, instruments scientifiques, etc.) et non à des documents textuels.

Si on sait que le learning material dont parle un texte anglais consiste exclusivement en des documents textuels, alors on pourra simplement parler de documents en français. Si, en revanche, on n’est pas sûr et il est possible que le terme anglais recouvre à la fois des documents et du matériel, alors il convient d’utiliser un terme plus générique, comme ressources pédagogiques, qui recouvre à la fois les documents textuels et les articles matériels. (Je note aussi au passage l’emploi en français de la forme plurielle, alors que l’anglais peut utiliser le singulier material dans un sens collectif, pour recouvrir une pluralité. L’anglais peut aussi utiliser la forme plurielle materials. En français, matériel est utilisé exclusivement au singulier, mais uniquement pour les objets physiques. Pour toutes les autres sortes de ressources, il faut utiliser des formes plurielles quand il y en a plus d’une, comme ressources ou documents.)

On me rétorquera qu’il existe bel et bien en français un sens du substantif matériel qui semble se rapprocher de celui de l’anglais material. C’est le sens n˚ 4 donné par le Robert, en le qualifiant de « didactique » et de sens relevant du domaine de l’ethnologie ou de la sociologie, où le mot signifie « ensemble des éléments soumis à un traitement (analyse, classement) » et recouvre aussi bien des objets concrets que des documents textuels. On parle par exemple de matériel de propagande pour faire référence à toutes sortes de choses, comme des tracts, des brochures, des affiches, etc. Ce ne sont pas nécessairement ici des choses physiques.

Mais c’est selon moi (et selon le Robert) un sens bien particulier du substantif, réservé à un domaine bien spécifique. Et c’est un sens qui met plutôt l’accent sur le caractère « brut » de ce dont on parle, en évoquant l’idée de données, d’informations de départ pour l’analyse — alors que, dans le sens que les pédagogues francophones donnent fautivement au substantif en français, ce n’est pas de telles données brutes dont il s’agit quand on parle abusivement de *matériel pédagogique, mais bel et bien de documents issus d’un travail de préparation, qui sont tout sauf bruts.

Il faut cesser, quand on utilise les dictionnaires, de profiter de l’excuse qu’un terme a un sens se rapprochant (plus ou moins) de l’anglais dans un domaine pointu et spécialisé pour justifier l’anglicisme dans la langue courante, où il n’a pas lieu d’être et ne peut être défendu. Les abréviations qu’un dictionnaire comme le Robert insère au début du sens d’un mot, avant la définition, sont d’une importance cruciale. Elles circonscrivent son emploi et éliminent la possibilité d’utiliser le mot dans ce sens dans d’autres domaines que celui qui est indiqué.

On me dira, pour finir, que la langue évolue et qu’il peut y avoir des glissements de sens, des généralisations par extension, etc. Cela va de soi et je n’ai jamais dit le contraire. Mais ces glissements se font normalement de façon naturelle et intrinsèque et non sous l’influence exclusive (dans une région géographique ou un domaine spécifique) d’une langue étrangère. Je ne vois rien dans l’évolution normale de la langue française telle qu’elle est utilisée par la majorité des francophones qui justifie l’extension du sens du substantif matériel qu’essayent d’imposer certains pédagogues ou autres spécialistes de l’éducation, sous l’influence évidente de l’anglais.

engager (to engage)

Dans bon nombre de cas, l’utilisation du français « engagement »/« engager » est une solution de facilité, un anglicisme inacceptable.

Le substantif anglais engagement et son pendant verbal to engage sont de plus en plus utilisés aujourd’hui, en particulier dans la langue de bois des hommes politiques et dans les textes théoriques portant sur l’éducation.

Voici un exemple tout frais tiré de l’édition du samedi 14 mai 2011 du principal journal quotidien paraissant ici en Nouvelle-Écosse, The Chronicle Herald (aussi appelé par certains The Chronically Horrid en raison de la piètre qualité de son contenu). Il s’agit d’une lettre envoyée par le vice-premier ministre actuel de la Nouvelle-Écosse, M. Frank Corbett, et répondant aux vives critiques concernant l’élimination par son gouvernement d’un corps consultatif appelé Nova Scotia Voluntary Planning.

Comme vous le verrez si vous suiviez le lien, cette lettre utilise à tour de bras les expression citizen engagement et public engagement.

De quoi s’agit-il exactement ?

Il existe évidemment en français le substantif engagement et son pendant verbal engager, ce dernier existant également sous une forme pronominale, s’engager. Mais quelle est l’utilisation qui est faite de ces termes en français et correspond-elle à l’utilisation qui est faite en anglais des termes correspondants ?

Nous allons voir que non.

En français, on peut engager (to pawn) des bijoux chez un prêteur sur gages. On peut engager (to pledge) son honneur ou sa responsabilité. On peut signer un contrat qui alors nous lie, nous engage (to bind). On peut engager (to hire) un chauffeur ou un jardinier en lui offrant un travail sous contrat. On peut engager (to insert) une clef dans une serrure ou sa voiture dans un passage. On peut engager (to start) la partie dans un jeu ou une compétition sportive. On peut engager (to enter into) des négociations. On peut engager (to involve) quelqu’un dans une aventure. On peut engager (to urge) quelqu’un à faire quelque chose. On peut engager (to invest) des capitaux dans une affaire ou engager (to incur) des frais ou des dépenses.

Sous la forme pronominale du verbe, on peut s’engager (to commit) dans un contrat ou s’engager (to promise) à faire quelque chose. On peut s’engager (to enter into) dans une voie, on peut s’engager (to embark) dans une aventure plus ou moins risquée. On peut s’engager (to enlist) dans l’armée.

Est-ce que vous remarquez quelque chose ? Dans aucun de ces sens du verbe l’équivalent anglais n’est to engage ! C’est un signe qui ne trompe pas… Nous avons bien là une paire de faux amis. Mais cela vaut aussi dans l’autre sens — et c’est là que les choses se compliquent un peu.

Le problème est en effet que, comme dit ci-dessus, l’anglais moderne utilise de plus en plus le substantif engagement, le verbe to engage et l’adjectif engaged, et ce, dans un sens qui semble susciter le trouble de bon nombre de francophones essayant de rendre la même idée en français. Quand M. Frank Corbett parle de public engagement ou de citizen engagement dans sa lettre, de quoi veut-il parler exactement ? Quand les théoriciens de l’éducation nous parlent aujourd’hui de student engagement, de quoi veulent-ils parler ?

Eh bien, de quelque chose qui ne correspond à aucun des sens que le verbe engager et le substantif engagement ont en français. Ce dont ils veulent parler, c’est la mise en place d’un certain contact, d’une certaine relation, en l’occurrence entre le public (ou les citoyens) et son gouvernement et entre les élèves et leurs enseignants.

Quand le vice-premier ministre de la Nouvelle-Écosse parle en anglais d’engagement, ce dont il veut parler, c’est, comme il l’explique lui-même, c’est « a two-way exchange that allows citizens to learn about the issues, take positions and offer ideas, and ask tough questions ».

Est-ce que le substantif français engagement peut avoir le même sens ? À mon avis, la réponse est clairement non. Dans aucun des sens que j’évoque ci-dessus, on ne retrouve cette notion d’échange bilatéral, de participation, de mise à contribution des personnes. Car c’est bien de cela qu’il s’agit ici : au lieu de gouverner les citoyens sans faire appel à eux, sans leur demander leur avis, on veut les mettre à contribution, on veut qu’ils se sentent concernés par les décisions prises par le gouvernement et s’expriment quand ils ont quelque chose à exprimer, sans attendre les prochaines élections pour le faire.

Autrement dit, quand M. Corbett dit :

This government believes in public engagement.

il est, à mon avis, hors de question de rendre cela par :

Notre gouvernement est partisan de l’*engagement du grand public.

mais plutôt par quelque chose comme :

Notre gouvernement est partisan de la participation du grand public [au processus de prise de décisions].

ou encore :

Notre gouvernement est partisan de la mise à contribution des citoyens [dans le processus de prise de décisions].

De même, quand les théoriciens de l’éducation disent en anglais quelque chose comme

students who are engaged in the learning process

il est, à mon avis, hors de question de rendre cela par :

des élèves qui sont *engagés dans le processus d’apprentissage

Même au sens le plus littéral de engaged, on dirait en français quelque chose comme :

des élèves qui se livrent au processus d’apprentissage

Mais en réalité, ce dont il est généralement question quand on parle en anglais d’engaged students, c’est :

des élèves qui se sentent concernés par le processus d’apprentissage

La notion de student engagement se rapproche de la notion de motivation, de participation. Seulement, évidemment, ces deux derniers mots existent déjà aussi bien en anglais qu’en français. Alors les gens ne peuvent pas s’empêcher de penser que, quand on parle d’engagement en anglais, on veut parler de quelque chose d’autre, qui n’est pas de la simple motivation, qui ne se ramène pas à une simple participation.

Et la solution de facilité, bien trop souvent, en particulier pour les francophones qui essayent de traduire le concept en français, est d’utiliser le substantif français engagement ou le verbe engager. Je trouve, pour parler franchement, cette solution de facilité assez choquante, surtout de la part de traducteurs professionnels.

Voici un exemple provenant du gouvernement de l’Ontario. Le document anglais, intitulé Acting Today, Shaping Tomorrow, a dans sa table des matières une section intitulée « Student Engagement and Community Connections ». Et dans la version française du document, intitulée Préparons l’avenir dès aujourd’hui, on trouve à l’endroit équivalent dans la table des matières… « L’engagement des élèves et les relations avec la communauté ».

Quel que soit le contexte particulier, c’est pour moi une traduction inacceptable. Ce dont il est question dans ce document, c’est la sensibilisation des élèves aux questions écologiques et il s’agit bien évidemment de susciter leur participation, de les mettre à contribution, de faire en sorte qu’ils se sentent concernés par l’exploration de ces questions écologiques… mais non de les « engager » !

La seule situation où l’on pourrait parler d’« engager les élèves », ce serait dans une phrase construite explicitement autour du sens que peut avoir le verbe en français de conduire quelqu’un à se lancer dans quelque chose, donc avec un complément circonstanciel décrivant explicitement l’aventure, le projet dans lequel ils s’engagent. Mais hors de ce contexte bien précis et bien concret, il n’est pas possible d’utiliser ainsi de façon systématique le substantif français engagement comme on utilise le substantif équivalent en anglais.

Hors contexte, en effet, quand on parle d’engagement en français, on se limite spécifiquement au domaine politique. On parle d’un écrivain engagé pour décrire un écrivain qui prend fait et cause pour un parti politique, pour un mouvement social, etc. Et on peut alors parler de l’engagement de cet écrivain.

Mais on ne peut pas parler d’un « élève engagé » pour décrire simplement un élève qui se sent concerné par ses études !

Le problème est évidemment qu’une tournure comme se sentir concerné par ne se construit pas de la même manière qu’un adjectif comme engagé et ne se prête pas facilement à l’expression à l’aide d’un substantif. Il n’existe pas en français de substantif dont le sens serait « fait de se sentir concerné par quelque chose ». Le substantif le plus proche est motivation, mais il ne rend pas exactement la même idée.

Cela n’est pas une excuse, cependant, pour angliciser le substantif français engagement en lui donnant en français le sens que les locuteurs anglophones lui donnent de plus en plus souvent aujourd’hui en anglais. C’est, comme dit, une solution de facilité et, de la part d’un traducteur, un aveu de paresse, un manque de rigueur et de déontologie.

Il faut simplement faire l’effort de tourner les choses autrement, afin d’exprimer le concept de mise à contribution, le fait de se sentir concerné sous une forme naturelle en français, même si cela exige quelques mots de plus et même si les anglophones font pression sur vous pour que vous utilisiez le même terme qu’en anglais (parce qu’ils considèrent que, puisque le même mot existe dans les deux langues, il doit forcément avoir le même sens). Et ce n’est pas parce que d’autres traducteurs professionnels font la faute qu’il faut la reproduire soi-même dans son travail !

finalement (finally)

Un faux ami classique dans la formulation des énumérations, même si certains utiliseront sans doute le vieux français comme excuse pour justifier cet anglicisme en français moderne.

Le cas de l’adverbe finalement est à bien des égards typique. Il partage avec l’anglais finally la même origine latine et on pourrait penser que les deux mots partagent aussi le même sens. Mais la réalité est que les choses sont plus complexes.

Les ouvrages de référence ne nous sont pas d’une grande aide. Le Grand Robert, en particulier, n’offre que deux sens formulés de façon très succincte et largement insuffisante. Et l’exploration d’ouvrages sur l’histoire de la langue française, comme le Trésor de la langue française, montre que finalement avait sans doute par le passé le sens que lui donnent à tort aujourd’hui certains locuteurs francophones sous l’influence de l’anglais, de sorte qu’on s’expose, en soulevant la question de son emploi en français moderne, aux arguments classiques de ceux qui se servent abusivement de l’histoire de la langue pour excuser des emplois qui sont de toute évidence des anglicismes dans la langue d’aujourd’hui.

Le problème fondamental est qu’il y a, en français, deux adverbes exprimant l’idée de finalité et partageant la même racine : finalement et enfin. Mais ces deux adverbes présentent, en français moderne, des différences de sens et d’emploi qu’on ne peut ignorer.

Pour illustrer ces différences, je donne souvent l’exemple authentique d’une phrase prononcée par ma femme anglophone il y a de cela près de deux décennies maintenant, lorsqu’elle a rencontré pour la première fois ses beaux-parents (français) après avoir entendu parler d’eux et correspondu avec eux pendant une période de plusieurs mois. Je ne me souviens plus de la phrase exacte, mais c’était quelque chose du genre :

Eh bien, je suis contente de vous rencontrer *finalement.

Sur le coup, pour ne pas l’embarrasser, je n’ai rien dit, mais j’ai bien vu le regard un peu surpris et le léger malaise de mes parents lorsqu’ils ont entendu cette phrase, ne sachant pas vraiment comment y réagir. Et en fin de soirée, après qu’ils sont allés se coucher, je n’ai pas pu m’empêcher de revenir sur cette phrase pour expliquer à ma femme que, en disant cela, elle avait involontairement conduit mes parents à penser qu’elle n’avait pas, à l’origine, envie de les rencontrer et qu’elle n’avait changé d’avis qu’après les avoir rencontrés.

Car il se trouve que l’adverbe finalement a en français, une certaine nuance de sens négative. Il exprime non seulement l’idée d’aboutissement chronologique d’un processus, mais aussi — et surtout — l’idée que le résultat du processus s’est avéré être quelque peu contraire à ce qu’on attendait. En disant cela, ma femme a involontairement laissé mes parents penser qu’elle s’attendait à ne pas les aimer et qu’elle avait été surprise, au bout du compte, de constater que, contrairement à ses attentes, elle les aimait bien.

En réalité, ce que ma femme voulait exprimer, c’était bien entendu seulement l’idée qu’elle était contente que la longue attente soit terminée. Or en français moderne, cette idée d’ordre surtout temporel ne s’exprime pas à l’aide de l’adverbe finalement, mais à l’aide de l’adverbe enfin. Ce qu’elle aurait dû dire, c’est quelque chose comme :

Je suis contente de vous avoir enfin rencontrés.

Il s’agit d’une nuance de sens subtile, mais essentielle. La preuve en est que, après que je lui ai expliqué le problème, ma femme n’a pas dormi de la nuit et s’est empressée, dès que mes parents se sont levés le lendemain matin, de leur expliquer ce qui s’était passé et l’origine de son erreur et du malentendu.

Plus généralement, cependant, le principal problème posé par finalement en français moderne est lié à un contexte beaucoup plus terre-à-terre, qui est celui des adverbes utilisés quand on veut faire une énumération. Quand on veut numéroter de façon explicite les différents éléments d’une liste, on utilise en anglais soit firstly, secondly, thirdly, etc., jusqu’à lastly, soit, plus couramment, first, second, third, etc. jusqu’à last, en utilisant les adjectifs dans une fonction adverbiale :

First, dice three potatoes. Second, add the bouillon. Last, simmer for half an hour.

Si on ne veut pas nécessairement numéroter les éléments de façon explicite, on utilise plutôt first, then, et… finally :

First, dice three potatoes. Then add the bouillon. Finally, simmer for half an hour.

Qu’en est-il en français ? Il existe également deux façons d’énumérer. La première, comme l’anglais, utilise les adjectifs ordinaux sous forme adverbiale :

Premièrement, couper en dés trois pommes de terre. Deuxièmement, ajouter le bouillon. Dernièrement, faire mijoter pendant une demi-heure.

Mais on peut aussi énumérer sans numérotation, en commençant par d’abord ou tout d’abord et en continuant avec ensuite et puis. Pour terminer l’énumération, cependant, en français moderne, on n’utilise pas finalement :

Tout d’abord, couper en dés trois pommes de terre. Ensuite, ajouter le bouillon. *Finalement, faire mijoter pendant une demi-heure.

Cet emploi de finalement est fautif. L’énumération, qui concerne l’ordre temporel des étapes et n’appelle aucune nuance de sens négative, doit se terminer non pas par finalement, mais par enfin :

Tout d’abord, couper en dés trois pommes de terre. Ensuite, ajouter le bouillon. Enfin, faire mijoter pendant une demi-heure.

Or, au Canada français en particulier, on entend bien trop souvent les locuteurs francophones utiliser finalement dans cette position.

Bien entendu, comme je l’ai laissé entendre plus haut, si on explore un peu l’histoire de la langue, on arrive assez facilement à trouver des exemples prouvant que finalement a été utilisé par le passé en français dans ce sens temporel, sans nuance de sens négative. Le Trésor de la langue française cite ainsi un extrait du Nez d’un notaire, d’un certain Edmond About (1862) :

Il s’adressa d’abord à la raison, puis à la conscience, et finalement au cœur de son malade.

Mais cet emploi n’existe plus vraiment en français moderne et je crois que, en toute conscience, aucun locuteur canadien moderne ne peut sérieusement prétendre que l’emploi de finalement dans ce sens en français au Canada illustre la préservation d’un emploi du mot au Canada qui se serait perdu ailleurs dans la francophonie. Il me paraît évident que la plupart des locuteurs canadiens qui utilisent finalement dans le contexte d’une énumération en français au Canada le font sous l’influence de l’anglais et que, à ce titre, finalement est bel et bien un faux ami, comme ma femme a pu le constater à son plus grand désarroi le jour où elle a enfin rencontré mes parents pour la première fois.

étudier (to study)

Emploi intransitif du verbe en français (au sens de « faire ses études ») qui ne correspond pas à l’usage du français moderne, le vieux français servant une nouvelle fois d’excuse.

Les verbes to study et étudier ne sont pas vraiment de faux amis. Ils sont dans une large mesure synonymes et s’emploient en gros de la même manière. Mais il y a une différence entre l’anglais et le français qui, selon moi, mérite d’être notée.

En anglais, on utilise en effet couramment le verbe sous une forme intransitive, pour exprimer l’idée de « faire ses études ». Cet emploi intransitif du verbe dans ce sens existe certes en français, mais le Robert le qualifie de « vieilli » et il est, à mon avis, à éviter en français moderne.

Ainsi, une tournure comme :

Canadian students studying abroad

donnera en français non pas :

les étudiants canadiens qui étudient à l’étranger

mais plutôt :

les étudiants canadiens qui font leurs études à l’étranger

Les lecteurs attentifs auront remarqué que je n’ai pas mis d’astérisque dans la version française en rouge. C’est parce que le tour n’est pas faux. Il n’est tout simplement pas courant en français moderne.

On le trouve cependant régulièrement sous la plume de locuteurs francophones au Canada et c’est à mon avis non pas parce qu’ils auraient gardé en vie une tournure vieillie du français classique, mais sous l’influence de l’anglais moderne, dans lequel cet emploi intransitif du verbe to study est bel et bien vivant et la façon normale d’exprimer le fait de faire ses études.

Il s’agit donc ici d’un faux ami « grammatical », qui ne concerne que la façon dont le verbe se construit et non ce qu’il signifie à proprement parler.

Quand on utilise le verbe étudier sous une forme intransitive en français moderne, cela fait un effet bizarre, comme s’il manquait quelque chose (à savoir le C.O.D. du verbe). Quand j’entends ou je lis une tournure comme « les étudiants canadiens qui étudient à l’étranger », j’ai envie de demander : « Qui étudient quoi ? »

C’est peut-être du pinaillage, mais je n’arrive pas à défendre et à accepter un usage que d’aucuns pourraient prétendre justifier au nom d’un vieux français « authentique » qui se serait miraculeusement préservé au Canada — alors que, dans la plupart des cas, c’est en raison de l’influence de l’anglais qu’on retrouve cet emploi intransitif en français.