Dans le domaine des faux amis anglais-français qui sont des expressions et non des mots pris isolément, on trouve l’expression to have no idea. Il existe bien en français une expression utilisant la formule aucune idée, mais cette expression diffère de façon significative de l’expression anglaise sur le plan grammatical et syntaxique.
Pour commencer, prenons l’expression utilisée isolément. Mettons que quelqu’un vous pose une question, vous demande par exemple où se trouvent les clefs de la voiture. En anglais, vous pouvez répondre :
En français, cependant, vous ne pouvez pas répondre :
Pourquoi ? Parce que, en français, l’expression se construit systématiquement avec un complément introduit par la préposition de. Si vous ne voulez pas répéter le complément, il faut donc au minimum utiliser le pronom en :
Les choses se compliquent lorsque le complément est explicité et exprimé sous la forme d’une interrogative indirecte :
Il n’est pas vraiment possible, en français (même si cela s’entend dans la langue familière), d’utiliser une tournure comme :
Et encore moins :
La contraction n’arrange rien. La tournure suivante reste fautive :
Pourquoi ? C’est un problème qui relève d’une différence fondamentale entre l’anglais et le français pour ce qui est de l’emploi de l’interrogative indirecte. La grammaire anglaise est beaucoup plus flexible que le français et permet des interrogatives indirectes dans toutes sortes de contextes syntaxiques.
Par exemple, on peut dire quelque chose comme :
Impossible en français de dire quelque chose comme :
Autrement dit, on ne peut pas combiner une interrogative indirecte avec une préposition qui ne peut introduire qu’un syntagme nominal. En français, on est obligé de tourner la phrase autrement, par exemple en rétablissant le verbe au lieu du nom d’action :
Le retour au verbe, lequel peut se construire avec une interrogative indirecte, permet d’éviter le problème. On peut aussi remplacer l’interrogative indirecte par un syntagme nominal :
Le remplacement de l’adverbe interrogatif par un nom permet d’introduire une proposition relative et le tour est joué.
Pour revenir à to have no idea, comme l’équivalent français se construit avec la préposition de, il faut là aussi tourner les choses autrement. La solution est de remplacer l’adverbe interrogatif par un nom :
Tous les adverbes interrogatifs peuvent ainsi se remplacer par des noms : comment par la façon de, où par l’endroit où, pourquoi par la raison pour laquelle, etc. (Il y a évidemment plusieurs synonymes possibles.) Lorsque l’interrogative indirecte utilise un pronom interrogatif, la situation est légèrement différente. Ainsi :
Ici encore, il est évidemment impossible en français de dire :
Il faut alors dire quelque chose comme :
Ou bien utiliser carrément une autre tournure :
Pour récapituler, to have no idea tout seul se rend par n’en avoir aucune idée, avec le pronom en obligatoire. Et to have no idea suivi d’une interrogative indirecte introduite par un adverbe interrogatif se rend par une structure où l’adverbe interrogatif est remplacé par un syntagme nominal. Pour have no idea suivi d’une interrogative indirecte introduite par un pronom interrogatif, il faut modifier la structure de la phrase ou bien carrément changer d’expression.
Certains diront peut-être que je pinaille et que l’expression n’avoir aucune idée peut être considérée comme une expression figée à valeur verbale et donc utilisée comme ne pas savoir, directement avec une interrogative indirecte, sans de. À ceux-ci, je répondrai que, pour qu’une expression devienne vraiment figée, il faudrait qu’elle ne puisse plus changer de forme. Or, comme on l’a vu avec le tout premier exemple, quand elle est utilisée seule sans complément explicite, l’expression exige le pronom en, qui vient s’insérer avant le verbe(n’en avoir aucune idée). L’expression n’est donc pas si figée que cela et ne pourra pas vraiment le devenir tant qu’on continuera à exiger ce pronom. Je dirai donc que, en français soigné, il vaut mieux continuer d’éviter l’interrogative indirecte directement après idée.
Nous aurons par ailleurs l’occasion de revenir sur le problème de l’interrogative indirecte, qui est en elle-même une fausse amie, dans le cadre d’autres articles.