La production d’une bonne traduction exige non seulement du traducteur qu’il évite de faire des fautes, mais également qu’il respecte les idiomatismes de la langue et exprime les choses de la façon la plus naturelle ou la plus courante.
On trouve souvent, dans des communications, la formule :
Voici un exemple en anglais sur le site Web Canoë Santé.
Si le traducteur cherche à coller de trop près à l’original anglais, il rendra l’anglais any en utilisant l’adjectif quelconque en français :
Ce n’est bien entendu pas faux et l’emploi du singulier question au lieu du pluriel questions est conforme aux exigences de la grammaire française. (Quand on a plusieurs questions, on en a nécessairement au moins une.)
Cela dit, à mon avis, cette formule française — utilisée dans la version française du site Web cité ci-dessus — calque de trop près l’anglais. Dans ce contexte, en français, la formule consacrée en français est la suivante :
Le sens est en gros le même. La seule différence est que le français souligne le fait qu’on peut poser n’importe quelle question, y compris la plus insignifiante.
Il s’agit du pendant positif de l’utilisation de moindre en combinaison avec la négation dans des tournures comme pas la moindre idée, pas la moindre preuve, pas le moindre sou, pas la moindre envie, etc.
L’équivalent anglais de moindre selon les dictionnaires est le superlatif slightest, mais bien entendu l’emploi de cet adjectif dans un tel contexte serait plutôt incongru. Il est à réserver aux cas où l’on tient vraiment mettre l’accent sur la disponibilité de l’interlocuteur et sur le fait que rien n’a trop peu d’importance pour mériter qu’on fasse appel à lui.
Cette nuance de sens, si elle est toujours présente dans moindre en français, est quelque peu atténuée par le fait que l’emploi de moindre dans un tel contexte constitue aujourd’hui une formule plus ou moins figée, où le véritable sens des mots n’est plus pleinement invoqué.
François Lavallée note qu’il est également possible de ne pas se soucier du tout de rendre any en français et de le considérer comme un « déterminant neutre » à peu près vide de sens. Dans ce cas, on pourra dire tout simplement :
D’ailleurs, si l’on utilise Google à des fins purement statistiques, on constate que cette formule semble être nettement plus répandue que la formule avec moindre. C’est peut-être une question de niveau de langue. Il est possible de considérer que l’emploi de moindre relève d’un registre légèrement plus soutenu. Or, au Canada francophone, dans le contexte de la traduction en milieu minoritaire en particulier, on ne peut pas nier qu’il existe, chez les traducteurs, la peur d’être mal compris par leur auditoire francophone, qui ne maîtrise pas nécessairement tous les registres de la langue française. Alors, pour ne pas prendre de risque, on évite parfois les mots un peu moins courants…
Dans cette autre formule, on note aussi, par ailleurs, le retour du pluriel (des questions). Dans les tournures négatives avec any en anglais, on utilise systématiquement le pluriel (par exemple : I don’t have any questions). En français, dans la même situation, on utilise soit aucun(e), qui impose le singulier (je n’ai aucune question), soit la négation simple et de, qui, pour les noms comptables, peut prendre soit le singulier soit le pluriel (je n’ai pas de question ou je n’ai pas de questions). (Voir aussi à ce sujet mon article sur aucun.)
En dehors du contexte négatif, la grammaire française est souple. Ici, en l’occurrence, il serait incongru de dire si vous avez une question, car, même si le fait d’avoir une question n’exclut pas a priori — d’un point de vue purement logique — la possibilité qu’on en ait plusieurs, une telle formule laisse à penser qu’on ne souhaite pas que vous posiez plus d’une question. Le contexte hypothétique (avec si) a, à certains égards, comme le contexte interrogatif, certains points communs avec le contexte négatif. (Voir par exemple l’emploi de jamais dans un sens positif.) Plusieurs choses sont indéterminées, y compris, comme ici, le nombre éventuel de questions qu’on aurait à poser. Dans ce cas, il est préférable d’utiliser le pluriel.
(La formule avec moindre aborde, comme on l’a vu, les choses sous un angle différent, qui impose le singulier.)
Je dirais donc que, dans les expressions comme if you have any questions, le déterminant any employé en dehors du contexte de la négation est un faux ami qu’il faut éviter de systématiquement rendre par le mot français recommandé par les dictionnaires, à savoir quelconque. Il existe d’autres formules plus consacrées et plus idiomatiques en français, comme la formule avec moindre, ou bien on peut simplement considérer qu’il n’est pas nécessaire de traduire le mot.