tel que (such as)

Il est clair pour moi que les Canadiens francophones font un usage abusif de l’expression « tel que ». Et je crains fort que ce soit sous l’influence de l’anglais, à cause de l’ubiquité de l’expression « such as » dans cette langue et de la fausse impression que « tel que » en est systématiquement l’équivalent en français.

Il est clair pour moi que les Canadiens francophones font un usage abusif de l’expression tel que. Et je crains fort que ce soit sous l’influence de l’anglais, à cause de l’omniprésence de l’expression such as dans cette langue et de la fausse impression que tel que en est systématiquement l’équivalent en français.

Prenons un exemple parmi des centaines :

Help on accessing alternative formats, such as Portable Document Format (PDF), Microsoft Word and PowerPoint (PPT) files, can be obtained in the alternate format help section.

En français, cela donne :

Si vous avez besoin d’aide pour accéder aux formats de rechange, tels que Portable Document Format (PDF), Microsoft Word et PowerPoint (PPT), visitez la section d’aide sur les formats de rechange.

Je passe, comme d’habitude, sur les autres problèmes de traduction que pose cette phrase (formats de rechange, absence de déterminant, accéder, etc.). Ce qui me dérange ici, c’est l’automatisme consistant à utiliser tel que en français dès qu’on voit such as en anglais. Ce n’est pas parce que l’anglais utilise une tournure en deux mots qu’on est obligé de faire la même chose en français.

Il va sans dire que (du moment qu’il est bien accordé) l’emploi de tel que n’est pas faux ici. Mais est-il vraiment nécessaire ? Je me trompe peut-être, mais il me semble que, en anglais, l’emploi de such as est surtout répandu pour deux principales raisons. D’une part, la préposition like a un caractère très commun, surtout de nos jours, qui fait que son emploi relève souvent d’un registre de langue inférieur, pour ne pas dire familier. Je pense donc que les anglophones utilisent souvent such as, en particulier dans la langue écrite, pour donner à leur texte un caractère plus recherché ou soigné.

L’autre raison — celle qui est, en tout cas, avancée par certains grammairiens — est qu’il y aurait une nuance de sens, à savoir que like impliquerait une comparaison, alors que such as impliquerait la notion d’inclusion (de ce qui suit la préposition dans une catégorie, un ensemble). À ce titre, such as se rapproche de including, que j’ai eu l’occasion d’évoquer dans un autre article.

Cette deuxième raison est assez discutable et relève sans doute d’un purisme excessif. C’est peut-être simplement une façon artificielle de justifier l’emploi de such as par des motifs grammaticaux, au lieu d’admettre qu’il s’agit simplement d’une question de registre de langue.

Quoi qu’il en soit, il me semble évident que la préposition française comme ne souffre pas en français du même problème que like en anglais. Si vous utilisez comme dans la langue écrite, il ne viendrait à l’idée de personne de vous accuser de ne pas écrire dans une langue suffisamment soignée.

Du coup, l’effet de l’emploi de tel que à la place de comme est inverse. Au lieu de donner à votre style une teneur plus soignée, il le rend plutôt ampoulé. En effet, sachant que comme est tout à fait acceptable, qu’est-ce que vous avez à gagner à utiliser tel que ? Au mieux, vous arriverez à faire croire à votre interlocuteur ou lecteur que vous êtes capable d’utiliser un bon français (alors que cela ne le prouve pas vraiment).

Au pire, si vous utilisez tel que alors que vous ne maîtrisez pas les règles d’accord et si vous pensez à tort qu’il s’accorde avec ce qui suit plutôt qu’avec ce qui précède, vous risquez de vous humilier en faisant une faute de grammaire élémentaire que l’emploi de comme (qui est évidemment invariable) vous aurait permis d’éviter.

Par exemple, comme le soulignent les « Clefs de la rédaction » du Portail linguistique du Canada, dans une expression comme les fruits acides tels que l’orange, la fraise et la pomme, tel s’accorde en genre avec fruits (masculin) et non avec les exemples de fruits qui suivent (qui sont tous, en l’occurrence, des substantifs féminins).

(Le même article indique que la règle est à priori différente pour tel employé sans que, même s’il y a beaucoup d’hésitation. Pour moi, tel sans que à la place de comme est encore plus prétentieux et est à réserver au domaine littéraire.)

L’autre problème qui se pose avec tel que est celui de l’emploi concomitant d’une virgule. Les grammairiens anglais se posent la même question avec such as en anglais, et leur réponse est que la virgule peut être obligatoire ou facultative, selon que ce que such as introduit est essentiel au sens de la phrase ou non.

La règle est à priori la même en français. Mais j’irais plus loin. Prenons l’énoncé suivant, qui décrit quelque chose qu’on s’attend à ce que les élèves d’un cours donné soient capables de faire :

demonstrate an understanding of the significance of cultural resources such as theatres, museums and galleries

L’anglais n’utilise pas de virgule. Ce qui suit semble donc essentiel au sens de l’énoncé. (Autrement dit, il est indispensable de préciser ce qu’on veut dire par cultural resources.) Qu’est-ce que cela donne en français ? Si on calque de trop près l’anglais, cela donne quelque chose comme :

montrer qu’on comprend l’importance de ressources culturelles telles que les théâtres, les musées et les galeries d’art

Mais en réalité, il s’agit là d’une traduction trop facile. L’énoncé anglais fait, comme souvent, deux choses d’un seul coup. Il décrit l’attente et il fournit en même temps une définition de ce que désigne l’expression cultural resources. C’est un raccourci qui exigerait, à priori, deux phrases séparées en français (une pour la définition et une pour l’attente).

Heureusement, le français a quand même lui aussi une certaine souplesse et permet de construire une phrase complexe au lieu de faire deux phrases séparées. Pour rendre correctement l’énoncé anglais, je privilégierais donc quelque chose comme :

montrer qu’on comprend l’importance des ressources culturelles que sont les théâtres, les musées et les galeries d’art

Cet énoncé a l’avantage d’indiquer à la fois ce qu’on entend par ressources culturelles et l’attente concernant ces ressources culturelles (à savoir que l’élève doit montrer qu’il en comprend l’importance).

On remarquera ici que ma solution élimine entièrement la nécessité de choisir un équivalent français pour la tournure anglaise such as. Elle montre bien que le recours systématique au français tel que est une solution de facilité, un calque qui ne correspond pas nécessairement à ce qui se dit naturellement en français.

Par ailleurs, il convient de mentionner ici le problème de la tournure tel que + participe passé. C’est un problème distinct, que je pourrais traiter dans un article séparé. Mais je peux aussi vous renvoyer à ce que dit à ce sujet le Portail linguistique du Canada. Cette fois, c’est la structure anglaise as + participe passé qu’on a tendance à calquer abusivement en français. Il y a bien certains contextes dans lesquels le calque est acceptable (encore que ce soit discutable), mais, comme souvent, ces contextes sont exclusivement ceux où il y a concordance entre la grammaire et le sens, c’est-à-dire ceux où tel a bel et bien un antécédent explicite dans la phrase, qui est un nom ou un pronom.

engager (to engage)

Dans bon nombre de cas, l’utilisation du français « engagement »/« engager » est une solution de facilité, un anglicisme inacceptable.

Le substantif anglais engagement et son pendant verbal to engage sont de plus en plus utilisés aujourd’hui, en particulier dans la langue de bois des hommes politiques et dans les textes théoriques portant sur l’éducation.

Voici un exemple tout frais tiré de l’édition du samedi 14 mai 2011 du principal journal quotidien paraissant ici en Nouvelle-Écosse, The Chronicle Herald (aussi appelé par certains The Chronically Horrid en raison de la piètre qualité de son contenu). Il s’agit d’une lettre envoyée par le vice-premier ministre actuel de la Nouvelle-Écosse, M. Frank Corbett, et répondant aux vives critiques concernant l’élimination par son gouvernement d’un corps consultatif appelé Nova Scotia Voluntary Planning.

Comme vous le verrez si vous suiviez le lien, cette lettre utilise à tour de bras les expression citizen engagement et public engagement.

De quoi s’agit-il exactement ?

Il existe évidemment en français le substantif engagement et son pendant verbal engager, ce dernier existant également sous une forme pronominale, s’engager. Mais quelle est l’utilisation qui est faite de ces termes en français et correspond-elle à l’utilisation qui est faite en anglais des termes correspondants ?

Nous allons voir que non.

En français, on peut engager (to pawn) des bijoux chez un prêteur sur gages. On peut engager (to pledge) son honneur ou sa responsabilité. On peut signer un contrat qui alors nous lie, nous engage (to bind). On peut engager (to hire) un chauffeur ou un jardinier en lui offrant un travail sous contrat. On peut engager (to insert) une clef dans une serrure ou sa voiture dans un passage. On peut engager (to start) la partie dans un jeu ou une compétition sportive. On peut engager (to enter into) des négociations. On peut engager (to involve) quelqu’un dans une aventure. On peut engager (to urge) quelqu’un à faire quelque chose. On peut engager (to invest) des capitaux dans une affaire ou engager (to incur) des frais ou des dépenses.

Sous la forme pronominale du verbe, on peut s’engager (to commit) dans un contrat ou s’engager (to promise) à faire quelque chose. On peut s’engager (to enter into) dans une voie, on peut s’engager (to embark) dans une aventure plus ou moins risquée. On peut s’engager (to enlist) dans l’armée.

Est-ce que vous remarquez quelque chose ? Dans aucun de ces sens du verbe l’équivalent anglais n’est to engage ! C’est un signe qui ne trompe pas… Nous avons bien là une paire de faux amis. Mais cela vaut aussi dans l’autre sens — et c’est là que les choses se compliquent un peu.

Le problème est en effet que, comme dit ci-dessus, l’anglais moderne utilise de plus en plus le substantif engagement, le verbe to engage et l’adjectif engaged, et ce, dans un sens qui semble susciter le trouble de bon nombre de francophones essayant de rendre la même idée en français. Quand M. Frank Corbett parle de public engagement ou de citizen engagement dans sa lettre, de quoi veut-il parler exactement ? Quand les théoriciens de l’éducation nous parlent aujourd’hui de student engagement, de quoi veulent-ils parler ?

Eh bien, de quelque chose qui ne correspond à aucun des sens que le verbe engager et le substantif engagement ont en français. Ce dont ils veulent parler, c’est la mise en place d’un certain contact, d’une certaine relation, en l’occurrence entre le public (ou les citoyens) et son gouvernement et entre les élèves et leurs enseignants.

Quand le vice-premier ministre de la Nouvelle-Écosse parle en anglais d’engagement, ce dont il veut parler, c’est, comme il l’explique lui-même, c’est « a two-way exchange that allows citizens to learn about the issues, take positions and offer ideas, and ask tough questions ».

Est-ce que le substantif français engagement peut avoir le même sens ? À mon avis, la réponse est clairement non. Dans aucun des sens que j’évoque ci-dessus, on ne retrouve cette notion d’échange bilatéral, de participation, de mise à contribution des personnes. Car c’est bien de cela qu’il s’agit ici : au lieu de gouverner les citoyens sans faire appel à eux, sans leur demander leur avis, on veut les mettre à contribution, on veut qu’ils se sentent concernés par les décisions prises par le gouvernement et s’expriment quand ils ont quelque chose à exprimer, sans attendre les prochaines élections pour le faire.

Autrement dit, quand M. Corbett dit :

This government believes in public engagement.

il est, à mon avis, hors de question de rendre cela par :

Notre gouvernement est partisan de l’*engagement du grand public.

mais plutôt par quelque chose comme :

Notre gouvernement est partisan de la participation du grand public [au processus de prise de décisions].

ou encore :

Notre gouvernement est partisan de la mise à contribution des citoyens [dans le processus de prise de décisions].

De même, quand les théoriciens de l’éducation disent en anglais quelque chose comme

students who are engaged in the learning process

il est, à mon avis, hors de question de rendre cela par :

des élèves qui sont *engagés dans le processus d’apprentissage

Même au sens le plus littéral de engaged, on dirait en français quelque chose comme :

des élèves qui se livrent au processus d’apprentissage

Mais en réalité, ce dont il est généralement question quand on parle en anglais d’engaged students, c’est :

des élèves qui se sentent concernés par le processus d’apprentissage

La notion de student engagement se rapproche de la notion de motivation, de participation. Seulement, évidemment, ces deux derniers mots existent déjà aussi bien en anglais qu’en français. Alors les gens ne peuvent pas s’empêcher de penser que, quand on parle d’engagement en anglais, on veut parler de quelque chose d’autre, qui n’est pas de la simple motivation, qui ne se ramène pas à une simple participation.

Et la solution de facilité, bien trop souvent, en particulier pour les francophones qui essayent de traduire le concept en français, est d’utiliser le substantif français engagement ou le verbe engager. Je trouve, pour parler franchement, cette solution de facilité assez choquante, surtout de la part de traducteurs professionnels.

Voici un exemple provenant du gouvernement de l’Ontario. Le document anglais, intitulé Acting Today, Shaping Tomorrow, a dans sa table des matières une section intitulée « Student Engagement and Community Connections ». Et dans la version française du document, intitulée Préparons l’avenir dès aujourd’hui, on trouve à l’endroit équivalent dans la table des matières… « L’engagement des élèves et les relations avec la communauté ».

Quel que soit le contexte particulier, c’est pour moi une traduction inacceptable. Ce dont il est question dans ce document, c’est la sensibilisation des élèves aux questions écologiques et il s’agit bien évidemment de susciter leur participation, de les mettre à contribution, de faire en sorte qu’ils se sentent concernés par l’exploration de ces questions écologiques… mais non de les « engager » !

La seule situation où l’on pourrait parler d’« engager les élèves », ce serait dans une phrase construite explicitement autour du sens que peut avoir le verbe en français de conduire quelqu’un à se lancer dans quelque chose, donc avec un complément circonstanciel décrivant explicitement l’aventure, le projet dans lequel ils s’engagent. Mais hors de ce contexte bien précis et bien concret, il n’est pas possible d’utiliser ainsi de façon systématique le substantif français engagement comme on utilise le substantif équivalent en anglais.

Hors contexte, en effet, quand on parle d’engagement en français, on se limite spécifiquement au domaine politique. On parle d’un écrivain engagé pour décrire un écrivain qui prend fait et cause pour un parti politique, pour un mouvement social, etc. Et on peut alors parler de l’engagement de cet écrivain.

Mais on ne peut pas parler d’un « élève engagé » pour décrire simplement un élève qui se sent concerné par ses études !

Le problème est évidemment qu’une tournure comme se sentir concerné par ne se construit pas de la même manière qu’un adjectif comme engagé et ne se prête pas facilement à l’expression à l’aide d’un substantif. Il n’existe pas en français de substantif dont le sens serait « fait de se sentir concerné par quelque chose ». Le substantif le plus proche est motivation, mais il ne rend pas exactement la même idée.

Cela n’est pas une excuse, cependant, pour angliciser le substantif français engagement en lui donnant en français le sens que les locuteurs anglophones lui donnent de plus en plus souvent aujourd’hui en anglais. C’est, comme dit, une solution de facilité et, de la part d’un traducteur, un aveu de paresse, un manque de rigueur et de déontologie.

Il faut simplement faire l’effort de tourner les choses autrement, afin d’exprimer le concept de mise à contribution, le fait de se sentir concerné sous une forme naturelle en français, même si cela exige quelques mots de plus et même si les anglophones font pression sur vous pour que vous utilisiez le même terme qu’en anglais (parce qu’ils considèrent que, puisque le même mot existe dans les deux langues, il doit forcément avoir le même sens). Et ce n’est pas parce que d’autres traducteurs professionnels font la faute qu’il faut la reproduire soi-même dans son travail !