défi (challenge)

Les difficultés à surmonter peuvent représenter des défis à relever, mais on ne peut pas tout mélanger.

Il se trouve sans doute des Québécois pour se moquer des « Français de France » et en particulier des sportifs professionnels français (et francophones) qui parlent du fait qu’ils ont besoin d’un « nouveau challenge » quand ils décident de changer d’équipe.

Il est effectivement assez ridicule d’utiliser un tel mot emprunté à l’anglais et à la prononciation francisée au lieu du mot français défi, qui veut dire exactement la même chose. Mais ce sont des sportifs professionnels dont on parle, qui ne brillent généralement pas par leur maîtrise de la langue et ne sont pas considérés comme des modèles sur ce plan.

Pendant ce temps, il y a un problème beaucoup plus sournois et beaucoup plus grave qui affecte le mot défi dans la bouche des francophones et en particulier des Québécois eux-mêmes. Ce problème vient du fait que le mot challenge a, en anglais, deux sens principaux bien distincts.

Le premier sens est effectivement celui de « défi » et, dans ce sens-là, on rendra effectivement challenge par défi en français. Ainsi, une phrase comme :

The government’s first challenge is to get the economy going.

sera rendue par :

Le premier défi qu’aura à relever le gouvernement est la relance économique.

(L’exemple est tiré du Grand Robert & Collins.)

On notera, dans cet exemple, l’emploi en français du verbe relever, qu’on trouve effectivement souvent avec défi. En français, un défi, c’est un objectif que je me fixe ou qu’autrui fixe pour moi et que je vais m’efforcer d’atteindre, en relevant le défi.

Le mot challenge a cependant aussi, en anglais, un autre sens, qui est celui de « difficulté », de « problème ». Ce problème ne constitue pas nécessairement un défi. Il peut s’agir simplement d’un obstacle à surmonter.

The student will have to overcome several challenges in the learning process.

Ici, on ne peut pas dire :

L’élève devra surmonter plusieurs *défis dans son apprentissage.

On devra, au contraire, dire :

L’élève devra surmonter plusieurs difficultés dans son apprentissage.

L’enseignant peut, certes, lui fixer un défi, qui sera celui de surmonter ces difficultés. Mais ce que l’élève surmontera, ce seront les difficultés et non le défi. Le défi consistera précisément à surmonter ces difficultés.

Cette nuance de sens se comprend mieux quand on pense à l’adjectif anglais challenging. Cet adjectif anglais n’a tout simplement pas d’équivalent français formé à partir de la base défi. On ne peut pas dire que a challenging task est une tâche *défiante !

L’adjectif français correspondant à challenging est généralement difficile.

Je ne dis pas, bien entendu, qu’il n’y a pas de lien sémantique entre défi et difficulté. Au contraire, c’est précisément ce que je viens d’expliquer ci-dessus. Mais ce lien sémantique ne rend pas les deux mots synonymes. La différence entre les deux mots se situe en particulier dans la façon dont on va les employer dans la phrase, dans les verbes auxquels ils vont se combiner. On rencontre une difficulté, on la surmonte, mais on relève un défi.

Au lieu de difficulté, on utilisera aussi dans certains cas problème. Là encore, tout est dans le verbe avec lequel on emploie le nom. On rencontre un problème, un problème se pose et on le résout, mais on ne « résout » pas un défi. Un défi est quelque chose qu’on relève, un idéal qu’on essaye d’atteindre, pour lequel on essaye de dépasser ses limites.

On pourrait à la limite aussi « rencontrer » un défi en français, mais seulement, à mon avis, si ce défi était explicitement fixé en tant que tel par quelqu’un d’autre. Or s’il est explicitement fixé par quelqu’un, il est peu probable qu’on le « rencontre », qu’on s’y « heurte » par accident, de façon inattendue.

Dans le sens plus général de « difficulté », en français soigné, challenge doit donc être rendu par difficulté ou problème et non par défi. Pendant ce temps, les sportifs francophones peuvent continuer de parler de leur besoin d’un « nouveau challenge » en français et les Québécois puristes peuvent continuer de se moquer d’eux. C’est un problème bien moins grave et bien plus superficiel.