Another… is…

Un autre exemple de décalage entre l’élément central sur le plan syntaxique et l’élément central sur le plan sémantique, débouchant sur un faux ami syntaxique entre l’anglais et le français.

Voici un exemple de phrase anglaise avec une syntaxe qui peut poser problème en français si on la reproduit trop littéralement :

Another area that needs weatherproofing is the entry door.

Comme on l’imagine facilement, le contexte est un document dans lequel on évoque différentes façons d’isoler une maison pour la protéger des intempéries.

Face à une telle phrase, on pourrait être tenté, en français, d’écrire quelque chose comme :

*Un autre endroit qu’il faut isoler est la porte d’entrée.

Pour moi, cependant, cette tournure n’est pas naturelle en français.

Pourtant, quand on a une structure comme :

There are two ways to do this. One is X. The other way to do it is Y.

il est tout à fait possible de dire en français :

Il y a deux façons de faire cela. L’une est X. L’autre façon de le faire est Y.

Autrement dit, avec l’article défini, la situation est différente. Pourquoi ?

Le problème relève d’un phénomène que nous avons déjà rencontré auparavant (par exemple dans le dernier article sur l’expression de la cause) et qui concerne le décalage entre l’élément central sur le plan grammatical ou syntaxique et l’élément central sur le plan sémantique.

La syntaxe anglaise autorise souvent de tels décalages, alors que la syntaxe française exige plus souvent que l’élément central sur le plan sémantique coïncide avec l’élément central sur le plan syntaxique.

Or, quand on regarde le premier exemple donné ci-dessus, on constate qu’il y a bien un tel décalage et que c’est précisément ce décalage qui rend le calque de la syntaxe anglaise peu naturel en français. En effet, quand l’anglais dit Another… is…, le verbe de la phrase est le verbe être (to be), mais l’affirmation centrale de la phrase ne se situe pas dans ce verbe. Elle se situe dans le déterminant another. Autrement, l’information centrale dans cette phrase est le fait même qu’il existe un autre endroit à isoler et non l’identité de cet autre endroit (ce qu’il est, c’est-à-dire la porte d’entrée).

C’est pour cela qu’on ne peut pas reproduire la syntaxe anglaise littéralement en français. Au lieu de cela, il faut rétablir sur le plan syntaxique le caractère central du fait qu’il existe un autre endroit à isoler. On dira donc quelque chose comme :

Il y a un autre endroit qu’il faut isoler : la portée d’entrée.

Ou encore :

La portée d’entrée est un autre endroit qu’il faut isoler.

À l’inverse, dans l’exemple ci-dessus de structure avec l’article défini, ce n’est pas le fait qu’il existe deux façons de faire la chose. L’existence des deux façons est établie par la première phrase. Ce que font les deux phrases suivantes, c’est définir ce que sont ces deux façons de la faire, dire ce qu’elles sont. Dans ce cas, il est donc tout à fait approprié de reproduire la syntaxe anglaise et de garder la structure L’autre… est… pour rendre l’anglais The other… is…

Ce problème du décalage entre la syntaxe/grammaire et le sens est à mon avis un aspect essentiel de l’anglais qui explique un grand nombre de problèmes de traduction et qui fait de nombreuses structures anglaises des fausses amies syntaxiques ou grammaticales en français.

Expression de la cause [1]

Il y a différentes façons d’exprimer la cause, en anglais comme en français, mais chaque langue a ses propres tournures et on ne peut calquer celles d’une autre langue.

Dans chaque langue, il existe de multiples façons d’exprimer les liens de cause à effet. Mais il y a des structures propres à chaque langue dont il faut se méfier, parce que leur calque dans une autre langue ne correspond pas nécessairement à la façon naturelle d’exprimer la cause dans cette langue.

Prenons l’exemple de l’énoncé anglais suivant :

A new model would provide an opportunity to address inconsistencies in the existing model and changes which have occurred since the original model was developed.

Ce n’est exprimé explicitement dans aucun mot grammatical dans cette phrase, mais il y a bel et bien un lien de cause à effet. C’est à cause de (ou plutôt grâce à) l’adoption d’un nouveau modèle qu’on aurait l’occasion d’éliminer les incohérences, etc.

Mais cela va même plus loin. Non seulement la phrase ne contient pas de mot grammatical exprimant la cause, mais la véritable cause est non pas le modèle : c’est sa nouveauté, son renouvellement. C’est donc ici l’adjectif new qui exprime la cause. Il y a ainsi comme un décalage entre l’élément central sur le plan grammatical et l’élément central sur le plan sémantique, que nous avons déjà rencontré dans un article précédent.

Or il est selon moi inacceptable d’utiliser une structure semblable en français pour exprimer implicitement la cause :

*Un nouveau modèle offrirait l’occasion d’éliminer les incohérences du modèle existant et de tenir compte des changements qui se sont produits depuis l’élaboration du modèle initial

Au lieu de cela, en français, il faut, comme souvent lors du passage de l’anglais au français, expliciter l’implicite ou, plus exactement, faire coïncider l’élément central sur le plan grammatical avec l’élément central sur le plan sémantique. Il faut donc ici rendre l’adjectif new par un substantif, par exemple :

L’adoption d’un nouveau modèle offrirait l’occasion d’éliminer les incohérences du modèle existant et de tenir compte des changements qui se sont produits depuis l’élaboration du modèle initial.

Bien entendu, on pourrait aller encore plus loin et expliciter carrément le lien de cause à effet à l’aide d’un mot grammatical exprimant la cause :

On pourrait, grâce à l’adoption d’un nouveau modèle, éliminer les incohérences du modèle existant et de tenir compte des changements qui se sont produits depuis l’élaboration du modèle initial.

(Cela oblige à trouver un nouvel agent — on — pour le verbe principal, mais c’est quelque chose qui arrive très souvent lors du passage de l’anglais au français, en particulier quand il s’agit de rendre de façon naturelle une tournure anglaise au passif en français, mais aussi, comme ici, quand le sujet sémantique du verbe ne coïncide pas avec son sujet grammatical.)

Mais une telle explicitation de l’implicite ne me paraît pas indispensable. Le lien de cause à effet peut rester implicite en français aussi. Ce qui ne peut pas être maintenu en l’état (c’est-à-dire calqué de l’anglais), c’est le décalage entre l’élément central sur le plan grammatical et l’élément central sur le plan sémantique.

Je note enfin, pour terminer, qu’il y a d’autres façons encore de rétablir le caractère naturel de l’expression implicite du lien de cause à effet ici, sans nécessairement utiliser un mot grammatical exprimant de façon évidente ce lien. On peut aussi, par exemple, dire tout simplement :

Avec un nouveau modèle, on pourrait éliminer les incohérences du modèle existant et tenir compte des changements qui se sont produits depuis l’élaboration du modèle initial.

Ici, nouveau modèle se retrouve dans un complément circonstanciel exprimant (indirectement) un lien de cause à effet, simplement grâce à la préposition avec. On continue d’utiliser ici l’adjectif nouveau sans que cela pose problème, parce que le détachement sous la forme d’un complément circonstanciel a, comme dans les autres solutions ci-dessus, pour effet de faire ressortir le lien de cause à effet. Le français a, comme l’anglais, de multiples façons d’exprimer directement ou indirectement la cause, et il ne faut pas hésiter à varier les plaisirs en recourant à ces différentes tournures. Il faut simplement éviter de calquer en français des tournures anglaises qui ne sont pas naturelles dans la syntaxe française.