Médias sociaux (social media)

Raisons pour lesquelles je recommande d’éviter « médias sociaux » en français.

Avec l’avènement de Facebook, de Twitter, d’Instagram, etc. dans les années 2000, il s’est avéré nécessaire de disposer en français d’un terme pour les désigner collectivement. Comme les Anglais avaient déjà inventé social media et que le français avait déjà media(s) (ou média[s]), les gens se sont dit, de toute évidence, que la solution allait de soi et qu’on pouvait dire médias sociaux en français.

J’aimerais expliquer ici pourquoi, à mon avis, c’est une erreur et c’est un calque abusif de l’anglais.

L’explication est à chercher du côté de l’étymologie même du mot media.

Le mot anglais media est le pluriel de medium, lui-même directement emprunté au latin (comme un certain nombre d’autres mots anglais). Il faut bien comprendre, pour commencer, que, en anglais, medium a le sens de « support » — pour la communication, pour l’expression artistique, pour l’enregistrement, etc. C’est ce sens-là qui a donné, au pluriel, media au sens de « supports pour la communication » et enfin, par glissement, « supports pour la communication de masse » : journaux, magazines, télévision, etc. (Il est alors en fait l’abréviation de mass-media.)

Je mets en relief « de masse » parce que c’est pour la question qui nous préoccupe ici un élément essentiel. En effet, en français, le mot medium n’existe pas au singulier au sens de « support ». Le mot médium (avec un accent aigu) existe certes en français, mais dans des sens différents (étendue de la voix en musique, liquide servant à détremper les couleurs en peinture ou personne réputée douée pour la communication avec les esprits).

Le Robert mentionne certes medium (avec ou sans accent), mais pas au sens de « support », seulement comme synonyme de media au sens français du terme et encore, en précisant bien qu’il est rare dans ce sens.

Or, dans le sens qui nous intéresse ici, media, en anglais, comme le précise bien le Robert et comme je l’ai indiqué ci-dessus, est en fait l’abréviation de mass-media, c’est-à-dire « supports pour la communication de masse ». Autrement dit, le mot français media, avec ou sans s et avec ou sans accent aigu, inclut l’idée d’une communication à grande échelle. Il décrit les supports de communication qui touchent le plus grand nombre — c’est-à-dire, comme je l’ai dit, les journaux, les magazines, la télévision, etc.

La question qui se pose maintenant est celle de savoir si, quand l’anglais choisit de désigner les sites comme Facebook, Twitter, Instagram, etc. sous l’appellation social media, il utilise media au simple sens de « support de communication » ou au sens plus précis de support pour la « communication de masse ».

À mon avis, il l’utilise au simple sens de « support de communication ». La définition de social media en anglais est en effet « websites and applications that enable users to create and share content or to participate in social networking ». Ce sont des supports de communication « sociaux » parce qu’ils facilitent la création par les individus eux-mêmes de communautés, de réseaux de relations.

Ce ne sont pas forcément des « supports de communication de masse ». Bien entendu, Twitter, Facebook, Instagram, etc. peuvent bel et bien être utilisés par certains utilisateurs comme supports pour la communication de masse. C’est le cas pour les artistes qui souhaitent communiquer directement avec tous leurs nombreux admirateurs, pour les hommes politiques qui souhaitent convaincre les électeurs, pour les gouvernements qui souhaitent communiquer avec leurs citoyens, pour les médias traditionnels qui souhaitent toucher leur auditoire sur Internet, etc.

Mais Twitter, Facebook, Instagram, etc. sont aussi et surtout utilisés par des millions de gens comme des outils de communication avec un nombre beaucoup plus limité de personnes et ils ne sont plus, alors, des « supports pour la communication de masse ». Ils sont simplement des supports de communication. Ils facilitent la communication avec un groupe, mais ce groupe n’est pas nécessairement « massif », bien au contraire.

Ce que cela implique, pour moi, c’est qu’on ne peut alors pas vraiment dire médias sociaux en français, parce que médias tout seul a déjà en français le sens de « supports pour la communication de masse » et que l’ajout de sociaux n’efface pas cette nuance et rend en réalité la formule incongrue. Si Facebook, Twitter, Instagram, etc. sont des médias en français, alors cela veut dire qu’ils font partie de la même catégorie que les journaux, les magazines, la télévision, etc. Or, comme je l’ai dit, ils peuvent faire partie de cette catégorie quand ils sont utilisés par certaines catégories d’utilisateurs pour la communication de masse, mais c’est un cas particulier et non quelque chose qui les définit.

Quelle solution alors en français ? Pour moi, elle est simple : le meilleur terme pour social media en français est réseaux sociaux. Cela concorde parfaitement avec la définition de social media en anglais (« tools to participate in social networking ») et, d’ailleurs, social network est également utilisé dans ce sens en anglais. (Voir le film The Social Network de David Fincher sur Mark Zuckerberg, créateur de Facebook.)

L’emploi de réseaux sociaux a en outre l’avantage d’éviter toutes les complications liées à l’emploi du pluriel latin en -a et à l’hésitation sur le singulier et le pluriel en français. On peut simplement dire que Facebook est « un réseau social », alors que dire que Facebook est « un média social » me paraît beaucoup moins naturel en français.

Bien entendu, tout cela est mon avis personnel. Il est probable que médias sociaux est déjà irrémédiablement entré dans le vocabulaire et qu’il n’est plus possible de revenir en arrière. Mais je constate aussi que, quand on compare les statistiques pour « médias sociaux » aux statistiques pour « réseaux sociaux » à l’aide du Révélateur linguistique, le terme réseaux sociaux semble avoir un avantage certain. Et, au singulier (« média social » et « réseau social »), la différence est encore plus tranchée.

Ma recommandation est donc, en l’état actuel, de privilégier réseau social et réseaux sociaux en français pour désigner individuellement ou collectivement Facebook, Twitter, Instagram et les autres.

augmenter/accroître (to increase)

Spéculations concernant l’influence de l’anglais dans l’emploi abusif du transitif « accroître » pour rendre « to increase » au Canada francophone.

L’une des choses les plus instructives pour moi dans mon exploration des problèmes de la francophonie en Amérique du Nord, c’est d’examiner les révisions qu’apportent d’autres traducteurs à mes traductions, quand ces dernières font l’objet d’une révision et qu’on daigne m’informer des résultats.

Le sujet qui m’intéresse aujourd’hui est celui des différentes façons de rendre l’anglais to increase en français.

Voici l’exemple qui constitue le point de départ de ma réflexion :

The board adopted an immunization strategy that aims to increase needles in arms.

Voici ma traduction :

Le conseil a adopté une stratégie d’immunisation visant à faire augmenter le nombre de vaccinations.

Et voici la révision apportée par le réviseur :

Le conseil a adopté une stratégie d’immunisation visant à accroître le nombre de vaccinations.

Pour moi, il y a plusieurs raisons pour lesquelles cette révision pose problème.

Pour commencer, il y a le fait que faire augmenter n’est pas faux. Je sais bien (d’après ma propre expérience) que, quand on est payé pour réviser la traduction de quelqu’un d’autre et qu’il s’avère que cette traduction ne contient pas d’erreur grossière, on est tenté de « corriger » des choses moins évidentes, parce qu’on se dit que, si on ne corrige rien, la personne qui nous paie risque de se demander si on a vraiment fait le travail demandé.

Indépendamment de cela, le réviseur est également souvent tenté de « corriger » des choses qui ne semblent pas fausses a priori, mais qui ne correspondent pas à la façon dont il aurait lui-même traduit le texte. Il s’appuie tout naturellement sur sa propre façon de traduire comme référence et considère que son travail de révision consiste à faire en sorte (dans la mesure du raisonnable) que la traduction qu’il a à réviser se rapproche autant que possible de celle qu’il aurait produite lui-même.

Tout cela est bien beau, mais cela suppose évidemment que le réviseur lui-même soit un traducteur hors pair ou, du moins, un meilleur traducteur que le traducteur dont il révise le travail — et en particulier que les choix de traduction que le réviseur lui-même ferait instinctivement soient systématiquement meilleurs que ceux qui ont été faits par le traducteur initial.

Comme il est hors de question (pour des raisons évidentes) que le réviseur se livre, pour chacune des révisions qu’il apporte, à un raisonnement explicite confirmant son propre choix et encore moins qu’il refasse, pour chaque révision, tout le travail de recherche lexicographique ou grammaticale visant à vérifier qu’il a bien raison de faire la révision, il est normal que le réviseur se fie à son propre sens plus ou moins intuitif de la bonne façon de dire les choses. Autrement dit, le réviseur considère naturellement que la façon de dire qui lui vient intuitivement à l’esprit pour rendre un terme anglais ou une expression anglaise en français est la bonne et il ne se pose pas nécessairement, à chaque fois, la question de savoir si cette intuition est juste.

Or il arrive fréquemment, en ce qui me concerne, que la question se pose pour les révisions que certains réviseurs apportent à mes traductions. Si vous avez lu d’autres articles du présent site ou le manifeste, vous savez pourquoi. La situation du français au Canada est telle que les plus chevronnés des traducteurs et réviseurs (moi compris !) ne sont pas eux-mêmes à l’abri du risque de faire des erreurs liées à l’influence pernicieuse de l’anglais. Quand on vit et travaille dans une telle situation, il est indispensable de se remettre systématiquement en question.

Qu’en est-il exactement dans le cas qui nous concerne ici ? Le verbe anglais to increase est à la fois transitif et intransitif. C’est également le cas pour le verbe français augmenter. Quant à croître, il est uniquement intransitif et son pendant transitif est accroître.

Dans l’exemple ci-dessus, le verbe anglais to increase est bien entendu transitif. Pourquoi, alors, ne peut-on pas simplement utiliser le verbe français augmenter dans sa forme transitive ?

Le conseil a adopté une stratégie d’immunisation visant à *augmenter le nombre de vaccinations.

C’est ici que les choses commencent à devenir plus subtiles… et que les dictionnaires commencent à montrer leurs limites. Vous ne trouverez pas dans les dictionnaires, en particulier, d’explication concernant le fait que le transitif augmenter suppose une action directe du sujet sur l’objet. On dira, par exemple, que le gouvernement augmente le salaire minimum quand il impose lui-même aux employeurs cette augmentation de salaire. Autrement dit, dans le transitif augmenter, le sujet agit directement sur l’objet.

Dans le cas qui nous intéresse ici, il n’y a pas d’action directe du sujet (la stratégie et donc le conseil dont elle émane) sur l’objet (le nombre de vaccinations). Le conseil n’administre pas lui-même les piqûres. Il prend des mesures incitant les services de santé à vacciner les gens et incitant les gens eux-mêmes à se faire vacciner (ou à faire vacciner leurs enfants).

L’augmentation du nombre de vaccinations n’est donc pas une action directe des autorités et de la stratégie qu’elles emploient, mais le résultat indirect des mesures incitatives. C’est de là que vient mon choix d’utiliser la tournure faire augmenter.

L’un des problèmes liés à l’influence de l’anglais est qu’on a trop souvent tendance, au Canada francophone, à chercher, quand l’anglais utilise un seul mot, à utiliser un seul mot en français aussi. Rien ne permet cependant de prédire l’équivalence systématique du nombre de mots. Il est bien connu que les traductions françaises sont généralement de quinze à vingt pour cent (sinon plus) plus longues que les originaux anglais. Même si ce n’est pas une excuse pour produire des traductions à rallonge et pour ne pas s’efforcer d’exprimer les choses de façon concise en français, cela reste une vérité incontournable : il faut généralement plus de mots en français qu’en anglais pour dire la même chose (entre autres parce que la richesse lexicale de l’anglais est nettement supérieure à celle du français et permet donc d’en dire plus en moins de mots).

Je ne peux pas m’empêcher de penser que l’une des raisons pour lesquelles le réviseur a choisi ici de « corriger » faire augmenter en le remplaçant par accroître est que l’anglais n’utilise qu’un mot (increase) pour exprimer tout l’éventail des nuances d’action directe ou indirecte du sujet sur l’objet.

Cela ne serait évidemment pas si problématique (simplement fastidieux) si la correction n’était pas elle-même douteuse. Le verbe français accroître est certes le pendant transitif de croître. Mais est-il vraiment approprié ici ? À mon avis, non. De même que les intransitifs augmenter et croître ne sont pas interchangeables, les transitifs faire augmenter (ou augmenter) et accroître ne le sont pas non plus. On parle ainsi de croissance de l’emploi ou de l’économie, mais d’augmentation des prix ou des salaires. On parle de croissance d’un enfant ou d’une plante, mais d’augmentation de la surface, du volume, de la durée, etc. La différence est subtile, mais elle existe.

Il faudrait tout un travail lexicographique qui dépasse mes capacités ici pour expliquer les différences de sens et d’usage entre croissance et augmentation et les verbes correspondants. Disons, pour faire simple, que le terme de croissance a intrinsèquement des connotations positives et « organiques », alors que le terme augmentation est plus « neutre » et plus « technique » (plus « mathématique »).

C’est pour cela que je considère ici que la correction de mon réviseur est abusive. On ne dira pas que le nombre de vaccinations croît, mais qu’il augmente, en particulier parce que c’est sous l’angle mathématique des autorités administratives qu’on l’envisage. Ce qui intéresse les autorités ici, c’est un chiffre et non un phénomène envisagé sous un angle plus ou moins « organique », c’est-à-dire comme un organisme en phase de développement. (Il y a aussi, de façon sous-jacente, une opposition entre accroissement non comptable et comptable.)

Pour moi, le transitif accroître a évidemment son utilité et ses usages en français, mais il n’est certainement pas le choix par défaut pour rendre le transitif anglais to increase en français. Or je constate depuis des années qu’il est couramment utilisé au Canada francophone pour rendre le transitif anglais dans le sens d’une action indirecte, comme si la tournure faire augmenter n’existait pas et comme s’il fallait absolument rendre le mot anglais par un seul mot en français.

(L’une des autres bizarreries lexicales comparables que je rencontre régulièrement depuis que je travaille dans la traduction au Canada est l’emploi abusif de rehausser pour rendre l’anglais to improve ou to enhance. Mais ce sera pour un autre article…)

Emphase [2]

L’emphase grammaticale fait partie intégrante de la langue française et elle joue un rôle indispensable pour donner un caractère naturel à ce qu’on dit ou écrit quand on s’exprime dans cette langue.

J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer l’emploi de l’emphase dans la syntaxe française pour remédier au problème du décalage entre la syntaxe et le sens, qui est quelque chose de naturel en anglais alors qu’il l’est beaucoup moins en français. Dans l’exemple que je donnais alors, l’élément central de la phrase sur le plan du sens se retrouvait en fin de phrase, dans un gérondif. Pour faire concorder la syntaxe avec ce rôle sémantique central, on utilisait une tournure emphatique du type c’est en… que…

Voici un autre exemple du même ordre :

Chlorophyll is what gives leaves their green colour.

Si l’on traduit littéralement en suivant la syntaxe anglaise, cela donne quelque chose comme :

La chlorophylle est ce qui donne aux feuilles leur couleur verte.

Ce n’est pas grammaticalement faux, mais est-ce vraiment ce qui se dit naturellement en français ? À mon avis, non.

Dans cet exemple, la phrase est en réalité une réponse à la question sous-entendue : « Qu’est-ce qui donne aux feuilles leur couleur verte ? » (Dans l’exemple avec le gérondif, la question sous-entendue était : « Comment les élèves autistes apprennent-ils ? »)

Or la traduction littérale ci-dessus n’est pas une réponse à cette question sous-entendue. Elle est une réponse à la question : « Qu’est-ce que la chlorophylle ? » Elle est, autrement dit, la tournure syntaxique qu’on utiliserait si on voulait fournir une définition de la chlorophylle.

Ici, comme dans l’exemple de l’autre article, pour bien répondre à la question sous-entendue, il faut avoir recours à une tournure emphatique de type c’est… qui… :

C’est la chlorophylle qui donne aux feuilles leur couleur verte.

Le problème ici ne semble pas être un problème de décalage entre la forme et le sens. Après tout, dans les deux traductions en français, chlorophylle est bel et bien en début de phrase.

Mais le problème est précisément que le sujet du verbe n’est pas naturellement, en français, le prédicat. Il y a donc bel et bien ici aussi un décalage entre la forme et le sens. Pour faire de chlorophylle le prédicat, il faut le mettre en position d’attribut du sujet, ce qui se fait avec la tournure emphatique.

On pourrait d’ailleurs aussi dire :

Ce qui donne aux feuilles leur couleur verte, c’est la chlorophylle.

L’emploi du pronom ce deux fois dans la même phrase est en quelque sorte une double emphase. Ce n’est pas nécessaire, mais cela illustre bien combien l’emploi de la tournure emphatique est quelque chose de beaucoup plus naturel en français. (Songer en particulier à l’emploi de est-ce que dans les phrases interrogatives, qui a perdu toute teneur emphatique.)

La conclusion ici est que l’emphase grammaticale fait partie intégrante de la langue française et qu’elle joue un rôle indispensable pour donner un caractère naturel à ce qu’on dit ou écrit quand on s’exprime dans cette langue.

if you have any questions

L’équivalent français de « any » dans un contexte positif n’est pas toujours « quelconque » si l’on veut utiliser la formule consacrée. Elle n’est même pas toujours nécessaire.

La production d’une bonne traduction exige non seulement du traducteur qu’il évite de faire des fautes, mais également qu’il respecte les idiomatismes de la langue et exprime les choses de la façon la plus naturelle ou la plus courante.

On trouve souvent, dans des communications, la formule :

If you have any questions, feel free to call…

Voici un exemple en anglais sur le site Web Canoë Santé.

Si le traducteur cherche à coller de trop près à l’original anglais, il rendra l’anglais any en utilisant l’adjectif quelconque en français :

Si vous avez une question quelconque, n’hésitez pas à appeler…

Ce n’est bien entendu pas faux et l’emploi du singulier question au lieu du pluriel questions est conforme aux exigences de la grammaire française. (Quand on a plusieurs questions, on en a nécessairement au moins une.)

Cela dit, à mon avis, cette formule française — utilisée dans la version française du site Web cité ci-dessus — calque de trop près l’anglais. Dans ce contexte, en français, la formule consacrée en français est la suivante :

Si vous avez la moindre question, n’hésitez pas à appeler…

Le sens est en gros le même. La seule différence est que le français souligne le fait qu’on peut poser n’importe quelle question, y compris la plus insignifiante.

Il s’agit du pendant positif de l’utilisation de moindre en combinaison avec la négation dans des tournures comme pas la moindre idée, pas la moindre preuve, pas le moindre sou, pas la moindre envie, etc.

L’équivalent anglais de moindre selon les dictionnaires est le superlatif slightest, mais bien entendu l’emploi de cet adjectif dans un tel contexte serait plutôt incongru. Il est à réserver aux cas où l’on tient vraiment mettre l’accent sur la disponibilité de l’interlocuteur et sur le fait que rien n’a trop peu d’importance pour mériter qu’on fasse appel à lui.

Cette nuance de sens, si elle est toujours présente dans moindre en français, est quelque peu atténuée par le fait que l’emploi de moindre dans un tel contexte constitue aujourd’hui une formule plus ou moins figée, où le véritable sens des mots n’est plus pleinement invoqué.

François Lavallée note qu’il est également possible de ne pas se soucier du tout de rendre any en français et de le considérer comme un « déterminant neutre » à peu près vide de sens. Dans ce cas, on pourra dire tout simplement :

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à appeler…

D’ailleurs, si l’on utilise Google à des fins purement statistiques, on constate que cette formule semble être nettement plus répandue que la formule avec moindre. C’est peut-être une question de niveau de langue. Il est possible de considérer que l’emploi de moindre relève d’un registre légèrement plus soutenu. Or, au Canada francophone, dans le contexte de la traduction en milieu minoritaire en particulier, on ne peut pas nier qu’il existe, chez les traducteurs, la peur d’être mal compris par leur auditoire francophone, qui ne maîtrise pas nécessairement tous les registres de la langue française. Alors, pour ne pas prendre de risque, on évite parfois les mots un peu moins courants…

Dans cette autre formule, on note aussi, par ailleurs, le retour du pluriel (des questions). Dans les tournures négatives avec any en anglais, on utilise systématiquement le pluriel (par exemple : I don’t have any questions). En français, dans la même situation, on utilise soit aucun(e), qui impose le singulier (je n’ai aucune question), soit la négation simple et de, qui, pour les noms comptables, peut prendre soit le singulier soit le pluriel (je n’ai pas de question ou je n’ai pas de questions). (Voir aussi à ce sujet mon article sur aucun.)

En dehors du contexte négatif, la grammaire française est souple. Ici, en l’occurrence, il serait incongru de dire si vous avez une question, car, même si le fait d’avoir une question n’exclut pas a priori — d’un point de vue purement logique — la possibilité qu’on en ait plusieurs, une telle formule laisse à penser qu’on ne souhaite pas que vous posiez plus d’une question. Le contexte hypothétique (avec si) a, à certains égards, comme le contexte interrogatif, certains points communs avec le contexte négatif. (Voir par exemple l’emploi de jamais dans un sens positif.) Plusieurs choses sont indéterminées, y compris, comme ici, le nombre éventuel de questions qu’on aurait à poser. Dans ce cas, il est préférable d’utiliser le pluriel.

(La formule avec moindre aborde, comme on l’a vu, les choses sous un angle différent, qui impose le singulier.)

Je dirais donc que, dans les expressions comme if you have any questions, le déterminant any employé en dehors du contexte de la négation est un faux ami qu’il faut éviter de systématiquement rendre par le mot français recommandé par les dictionnaires, à savoir quelconque. Il existe d’autres formules plus consacrées et plus idiomatiques en français, comme la formule avec moindre, ou bien on peut simplement considérer qu’il n’est pas nécessaire de traduire le mot.

A(n)… is…

Faute de syntaxe courante chez les traducteurs au Canada, qui ont tendance à trop se focaliser sur les problèmes de lexique.

J’ai déjà, dans un article antérieur, évoqué les problèmes posés par les phrases anglaises utilisant la structure another… is… Dans le même ordre d’idées, j’aimerais évoquer aujourd’hui ceux posés par les phrases utilisant la structure a(n)… is…

Comme toujours, la meilleure façon de procéder est de commencer par un exemple :

The team members decide that a function of the team is to review caseloads.

Les traducteurs en herbe qui se focalisent trop sur le lexique et oublient de tenir compte des différences de syntaxe risquent d’être tentés de proposer une traduction comme la suivante :

Les membres de l’équipe décident qu’*une fonction de l’équipe est d’examiner les dossiers.

C’est pour moi une grosse erreur, parce que ce n’est tout simplement pas ce qui se dit naturellement en français. L’article indéfini français un(e) n’appelle pas les mêmes structures syntaxiques que son équivalent anglais a(n). Comme souvent, la grammaire anglaise est pleine de sous-entendus et, dans ce cas-ci, ce qui est sous-entendu est que l’équipe a plusieurs fonctions et que celle qu’on évoque ici n’en est qu’une parmi d’autres.

Le français a lui-même ses propres sous-entendus et ses propres tournures elliptiques, mais celle-ci n’en fait pas partie. Le français a en quelque sorte horreur du vide et préfère souvent expliciter l’implicite, même si cela allonge le texte.

Dans ce cas-ci, cela signifie qu’il faut dire explicitement, d’une manière ou d’une autre, que l’équipe a plusieurs fonctions et que celle qu’on évoque n’en est qu’une parmi d’autres :

Les membres de l’équipe décident que l’une des fonctions de l’équipe est d’examiner les dossiers.

La différence est subtile, mais cruciale. Le français dit deux choses : en utilisant l’article défini les (sous sa forme contractée avec la préposition de, dans des), il indique clairement que l’équipe a un ensemble plural de fonctions et, en utilisant la tournure (l’)un(e) de, il indique que la fonction évoquée dans cette phrase n’est qu’un élément particulier de cet ensemble.

Au Canada, je vois bien trop souvent des traductions dans lesquelles le traducteur s’est contenté de calquer la structure anglaise, sans expliciter le caractère plural de l’ensemble dont l’élément fait partie en remplaçant a(n)… par (l’)un(e) des

conservation

Quand il s’agit d’encourager les gens à limiter leur consommation d’eau, peut-on vraiment parler de mesures de conservation de l’eau ?

C’est apparemment ce que pensent les traducteurs du gouvernement fédéral du Canada. Le chapitre 7 d’une publication intitulée The Environmentally Responsible Construction and Renovation Handbook, par exemple, est intitulé en anglais :

Chapter 7 – Implementing Water Conservation

Vous n’aurez pas de mal à deviner ce que dit la version française :

Chapitre 7 – Mise en oeuvre de mesures de *conservation de l’eau

Or si, en anglais, le substantif conservation a bel et bien, entre autres, le sens de « prévention du gaspillage d’une ressource » (dans des expressions comme energy conservation, water conservation, etc.), ce n’est pas le cas en français.

On ne parlera jamais, par exemple, de conservation de l’énergie, mais d’économies d’énergie. De même, l’expression *conservation de l’eau est pour moi fautive. En français, la notion de conservation suppose le maintien de quelque chose en l’état. Si l’on voulait l’utiliser dans le contexte des économies d’eau, cela ne pourrait se faire (théoriquement) qu’en faisant explicitement référence à ce qu’on maintient en l’état, à savoir non pas l’eau qu’on utilise, mais les réserves (cours d’eau, nappes phréatiques, etc.) où l’on puise cette eau.

On pourrait donc (théoriquement) parler de la conservation de la nappe phréatique. Mais, en l’occurrence, il est bien rare qu’on sache ou qu’on veuille indiquer d’où vient l’eau qu’on consomme. Elle peut provenir de différentes sources (cours d’eau, plans d’eau, nappes phréatiques, etc.). Quand l’anglais parle de water conservation, ce dont il est question, en français, c’est de réduction de la consommation d’eau, d’élimination du gaspillage d’eau. Il s’agit donc d’économiser l’eau (après l’avoir extraite de ses sources) et non de la *conserver.

Ce qui conduit peut-être certains traducteurs à hésiter à utiliser économies/économiser ici, c’est le fait que le sens premier de ces mots concerne le domaine pécuniaire. Mais on peut, dans un sens figuré, économiser en français toutes sortes de choses autres que l’argent : l’énergie, l’électricité, le temps, la place, ses forces, etc. L’eau n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres.

L’autre problème est que économies se construit, dans ce sens, principalement au pluriel. Au singulier, économie a bien, entre autres, le sens de « gestion où l’on évite toute dépense inutile », mais c’est, comme souvent en français, un sens plutôt abstrait (comme dans vivre avec économie, par exemple), alors que, au pluriel, le substantif a un sens plus concret et fait référence aux manifestations de cette économie.

On peut bien, comme l’indique le Grand Robert, réaliser, par exemple (au singulier), une économie de matières premières, mais cela fait référence à une mesure ponctuelle de réduction de la consommation. Quand on veut parler de façon plus générale d’un comportement consistant à réduire de façon systématique sa consommation dans différentes circonstances, il faut alors parler d’économies au pluriel.

En outre, le substantif pluriel se construit avec un complément du nom sans article défini. On parlera donc, non pas d’économies *de l’eau, mais d’économies d’eau.

Tout ceci fait que, dans l’exemple donné ci-dessus, le titre correct du chapitre de l’ouvrage aurait été :

Chapitre 7 – Mise en œuvre de mesures d’économies d’eau

Sans être faux, le double pluriel s’avère cependant quelque peu maladroit et il est sans doute préférable d’utiliser ici une tournure verbale :

Chapitre 7 – Mise en œuvre de mesures pour économiser l’eau

(Avec le verbe, on utilise bel et bien l’article défini.)

On évitera, de même, d’utiliser le verbe conserver dans le sens d’« économiser », sauf si le complément du verbe fait clairement et explicitement à la ressource (avant extraction) qu’on ne veut pas entamer. Et même quand le complément fait référence à la ressource, il est souvent préférable de parler de protection ou de préservation de la ressource. Le substantif conservation et le verbe conserver ont en effet un sens différent en français (conservation des aliments, conservation des œuvres d’art, des monuments, conservation de l’énergie et des forces en sciences physiques, etc.).

Dans le cas qui nous concerne ici, conservation est bel et bien un faux ami et est à éviter en français. Malheureusement, il est très répandu chez les francophones au Canada. (Je ne vous étonnerai pas en vous disant que le ministère des Ressources naturelles du Canada publiait naguère un cahier d’activités pour les enfants intitulé… Conserve l’énergie !)

comme (as)

Au Canada francophone, on a tendance à utiliser abusivement la préposition « comme » pour rendre la préposition anglaise « as », alors que cela n’est pas toujours approprié.

On a vu dans un autre article que l’anglais such as peut être considéré comme un faux ami quand les Canadiens francophones emploient systématiquement tel que pour le rendre en français, alors que la préposition comme fait parfaitement l’affaire.

J’aimerais ici mentionner un problème inverse, qui est que, toujours au Canada francophone, on a tendance à utiliser abusivement la préposition comme pour rendre la préposition anglaise as, alors que cela n’est pas toujours approprié.

Voici comme d’habitude un exemple tiré des sites bilingues du gouvernement fédéral du Canada :

As a parent I am unable to help my son who so desperately deserves treatment.

Et voici ce que cela donne du côté français :

*Comme mère, je suis incapable d’aider mon fils qui a si désespérément besoin d’un traitement.

Pour moi, c’est une traduction inacceptable. Comme l’indique le Robert & Collins, la préposition comme peut être l’équivalent français de la préposition anglaise as dans des tournures où le sens est « in the capacity of », par exemple dans he works as a waiter, qui donne en français il travaille comme serveur.

Mais elle est inacceptable comme équivalent de la préposition anglaise as dans des tournures où l’on fait référence au statut de la personne ou simplement à ce qu’elle est, à un de ses attributs. Dans ce cas-ci, en français, l’équivalent de la préposition anglaise as est en tant que.

Le Robert & Collins donne justement un exemple comparable à celui qui est cité ci-dessus : as a mother of five children, she is well aware… donne en français en tant que mère de cinq enfants, elle sait très bien…

Ce que le Robert & Collins ne dit pas, c’est que la place même dans la phrase n’est pas non plus forcément la même. Ainsi, dans mon premier exemple, non seulement il faut utiliser en tant que, mais de plus il est judicieux de changer l’ordre de la phrase :

Je suis incapable, en tant que mère, d’aider mon fils qui a tant besoin d’un traitement.

Le changement de l’ordre des éléments est probablement facultatif, mais il me semble préférable et plus naturel de placer la tournure après le sujet et le verbe.

Voici un autre exemple :

As a writer, I prefer to…

L’utilisation de comme en français est ici à proscrire :

*Comme écrivain, je préfère […]

On utilisera en tant que, là encore, de préférence, après le sujet et le verbe :

Je préfère, en tant qu’écrivain, […]

Il faut donc considérer la paire as/comme comme un faux ami. Il y a des cas où comme est le bon équivalent et d’autres où il ne l’est pas. Méfiance !

tel que (such as)

Il est clair pour moi que les Canadiens francophones font un usage abusif de l’expression « tel que ». Et je crains fort que ce soit sous l’influence de l’anglais, à cause de l’ubiquité de l’expression « such as » dans cette langue et de la fausse impression que « tel que » en est systématiquement l’équivalent en français.

Il est clair pour moi que les Canadiens francophones font un usage abusif de l’expression tel que. Et je crains fort que ce soit sous l’influence de l’anglais, à cause de l’omniprésence de l’expression such as dans cette langue et de la fausse impression que tel que en est systématiquement l’équivalent en français.

Prenons un exemple parmi des centaines :

Help on accessing alternative formats, such as Portable Document Format (PDF), Microsoft Word and PowerPoint (PPT) files, can be obtained in the alternate format help section.

En français, cela donne :

Si vous avez besoin d’aide pour accéder aux formats de rechange, tels que Portable Document Format (PDF), Microsoft Word et PowerPoint (PPT), visitez la section d’aide sur les formats de rechange.

Je passe, comme d’habitude, sur les autres problèmes de traduction que pose cette phrase (formats de rechange, absence de déterminant, accéder, etc.). Ce qui me dérange ici, c’est l’automatisme consistant à utiliser tel que en français dès qu’on voit such as en anglais. Ce n’est pas parce que l’anglais utilise une tournure en deux mots qu’on est obligé de faire la même chose en français.

Il va sans dire que (du moment qu’il est bien accordé) l’emploi de tel que n’est pas faux ici. Mais est-il vraiment nécessaire ? Je me trompe peut-être, mais il me semble que, en anglais, l’emploi de such as est surtout répandu pour deux principales raisons. D’une part, la préposition like a un caractère très commun, surtout de nos jours, qui fait que son emploi relève souvent d’un registre de langue inférieur, pour ne pas dire familier. Je pense donc que les anglophones utilisent souvent such as, en particulier dans la langue écrite, pour donner à leur texte un caractère plus recherché ou soigné.

L’autre raison — celle qui est, en tout cas, avancée par certains grammairiens — est qu’il y aurait une nuance de sens, à savoir que like impliquerait une comparaison, alors que such as impliquerait la notion d’inclusion (de ce qui suit la préposition dans une catégorie, un ensemble). À ce titre, such as se rapproche de including, que j’ai eu l’occasion d’évoquer dans un autre article.

Cette deuxième raison est assez discutable et relève sans doute d’un purisme excessif. C’est peut-être simplement une façon artificielle de justifier l’emploi de such as par des motifs grammaticaux, au lieu d’admettre qu’il s’agit simplement d’une question de registre de langue.

Quoi qu’il en soit, il me semble évident que la préposition française comme ne souffre pas en français du même problème que like en anglais. Si vous utilisez comme dans la langue écrite, il ne viendrait à l’idée de personne de vous accuser de ne pas écrire dans une langue suffisamment soignée.

Du coup, l’effet de l’emploi de tel que à la place de comme est inverse. Au lieu de donner à votre style une teneur plus soignée, il le rend plutôt ampoulé. En effet, sachant que comme est tout à fait acceptable, qu’est-ce que vous avez à gagner à utiliser tel que ? Au mieux, vous arriverez à faire croire à votre interlocuteur ou lecteur que vous êtes capable d’utiliser un bon français (alors que cela ne le prouve pas vraiment).

Au pire, si vous utilisez tel que alors que vous ne maîtrisez pas les règles d’accord et si vous pensez à tort qu’il s’accorde avec ce qui suit plutôt qu’avec ce qui précède, vous risquez de vous humilier en faisant une faute de grammaire élémentaire que l’emploi de comme (qui est évidemment invariable) vous aurait permis d’éviter.

Par exemple, comme le soulignent les « Clefs de la rédaction » du Portail linguistique du Canada, dans une expression comme les fruits acides tels que l’orange, la fraise et la pomme, tel s’accorde en genre avec fruits (masculin) et non avec les exemples de fruits qui suivent (qui sont tous, en l’occurrence, des substantifs féminins).

(Le même article indique que la règle est à priori différente pour tel employé sans que, même s’il y a beaucoup d’hésitation. Pour moi, tel sans que à la place de comme est encore plus prétentieux et est à réserver au domaine littéraire.)

L’autre problème qui se pose avec tel que est celui de l’emploi concomitant d’une virgule. Les grammairiens anglais se posent la même question avec such as en anglais, et leur réponse est que la virgule peut être obligatoire ou facultative, selon que ce que such as introduit est essentiel au sens de la phrase ou non.

La règle est à priori la même en français. Mais j’irais plus loin. Prenons l’énoncé suivant, qui décrit quelque chose qu’on s’attend à ce que les élèves d’un cours donné soient capables de faire :

demonstrate an understanding of the significance of cultural resources such as theatres, museums and galleries

L’anglais n’utilise pas de virgule. Ce qui suit semble donc essentiel au sens de l’énoncé. (Autrement dit, il est indispensable de préciser ce qu’on veut dire par cultural resources.) Qu’est-ce que cela donne en français ? Si on calque de trop près l’anglais, cela donne quelque chose comme :

montrer qu’on comprend l’importance de ressources culturelles telles que les théâtres, les musées et les galeries d’art

Mais en réalité, il s’agit là d’une traduction trop facile. L’énoncé anglais fait, comme souvent, deux choses d’un seul coup. Il décrit l’attente et il fournit en même temps une définition de ce que désigne l’expression cultural resources. C’est un raccourci qui exigerait, à priori, deux phrases séparées en français (une pour la définition et une pour l’attente).

Heureusement, le français a quand même lui aussi une certaine souplesse et permet de construire une phrase complexe au lieu de faire deux phrases séparées. Pour rendre correctement l’énoncé anglais, je privilégierais donc quelque chose comme :

montrer qu’on comprend l’importance des ressources culturelles que sont les théâtres, les musées et les galeries d’art

Cet énoncé a l’avantage d’indiquer à la fois ce qu’on entend par ressources culturelles et l’attente concernant ces ressources culturelles (à savoir que l’élève doit montrer qu’il en comprend l’importance).

On remarquera ici que ma solution élimine entièrement la nécessité de choisir un équivalent français pour la tournure anglaise such as. Elle montre bien que le recours systématique au français tel que est une solution de facilité, un calque qui ne correspond pas nécessairement à ce qui se dit naturellement en français.

Par ailleurs, il convient de mentionner ici le problème de la tournure tel que + participe passé. C’est un problème distinct, que je pourrais traiter dans un article séparé. Mais je peux aussi vous renvoyer à ce que dit à ce sujet le Portail linguistique du Canada. Cette fois, c’est la structure anglaise as + participe passé qu’on a tendance à calquer abusivement en français. Il y a bien certains contextes dans lesquels le calque est acceptable (encore que ce soit discutable), mais, comme souvent, ces contextes sont exclusivement ceux où il y a concordance entre la grammaire et le sens, c’est-à-dire ceux où tel a bel et bien un antécédent explicite dans la phrase, qui est un nom ou un pronom.

croire (to believe)

Le verbe « croire » est un verbe dont il faut se méfier, surtout quand on est tenté de l’utiliser en français pour rendre des tournures comme « to believe that… », « to feel that… »

Le domaine des croyances et des convictions est délicat à aborder. Non seulement les gens sont attachés à leurs convictions, mais de plus, pour le verbe croire lui-même, les nuances de sens et la diversité des constructions possibles font qu’il est parfois difficile de… convaincre.

Aujourd’hui, je suis tombé sur le site suivant : www.demarque.com. Il s’agit du site d’une entreprise québécoise qui assure la diffusion et la distribution de « contenus numériques ». (Je suis tombé dessus parce que ce site offre désormais en abonnement les dictionnaires Le Robert, à des prix malheureusement assez prohibitifs.)

Et, pour moi, les problèmes de langue commencent dès le sous-titre à la page d’accueil :

Nous croyons qu’il est important d’offrir aux producteurs de contenus numériques des outils de grande qualité pour vendre et diffuser leurs oeuvres.

Où est le problème, direz-vous ? Cette phrase semble utiliser le verbe croire dans le premier sens que lui donne le Grand Robert, justement, à savoir : « Tenir pour véritable, donner une adhésion de principe à… (sans avoir de preuve, d’évidence formelle) »

Certes. Mais, si vous avez une certaine connaissance de l’anglais et si vous connaissez la situation du français en Amérique du Nord, vous reconnaîtrez immédiatement ici un calque direct de l’anglais. Il est courant, en effet, chez les anglophones, d’exprimer la philosophie de son organisme en utilisant des énoncés commençant par we believe that…, we feel that…

En est-il de même en français ? Pour moi, la réponse est clairement non. Plus que le sens du verbe croire en français, c’est son usage qui est en question ici. Il y a en effet quelque chose de légèrement impudique à se présenter en utilisant une telle formule. Pourquoi ? Parce qu’on a le sentiment que le locuteur veut nous faire part de ses croyances les plus intimes, les plus personnelles. Or ce n’est pas vraiment de cela qu’il s’agit ici. Il s’agit de l’idée qui sous-tend les activités de l’entreprise, du créneau qu’elle pense avoir déniché (ou créé). L’acte de foi, l’entreprise l’a commis en choisissant ce créneau, en s’y consacrant dans l’objectif d’engendrer suffisamment d’activités pour pouvoir dégager un bénéfice et prospérer.

Est-il vraiment approprié pour une entreprise de formuler ainsi sa philosophie ? En anglais, peut-être, mais en français, j’aurais tendance à dire que non, que c’est maladroit et signe que le locuteur est trop influencé par l’anglais. Le français exige à mon avis une plus grande pudeur. On peut ainsi éviter le verbe croire en utilisant plutôt le concept de conviction :

Nous sommes convaincus qu’il est important d’offrir aux producteurs de contenus numériques des outils de grande qualité pour vendre et diffuser leurs oeuvres.

Mais c’est peut-être encore trop impudique. Pourquoi ne pas dire tout simplement :

Pour nous, il est important d’offrir aux producteurs de contenus numériques des outils de grande qualité pour vendre et diffuser leurs oeuvres.

Je ne sais pas si le texte du site de De Marque a été rédigé en anglais puis traduit en français ou si c’est l’inverse. Mais quoi qu’il en soit, le texte français est pour moi trop proche de l’anglais, trop influencé par l’anglais, ce qui en fait soit une traduction maladroite soit un signe que son auteur est trop influencé par l’anglais même si le texte n’est pas une traduction.

Vous me direz : « Où sont vos preuves ? » Comme on l’a vu ci-dessus, la consultation des dictionnaires n’est pas nécessairement concluante. C’est plutôt le genre de problème auquel une connaissance intime de la langue rend sensible. Je ne peux que vous demander de me… croire. Le verbe croire est un verbe dont il faut se méfier, surtout quand on est tenté de l’utiliser en français pour rendre des tournures comme to believe that…, to feel that…

(Pour les anglophones, il y a aussi un faux ami en sens inverse, dans la mesure où croire que a aussi en français un sens « dilué » qui ne se rend pas par to believe en anglais. Exemple : Je crois que je ferais mieux de lui donner un coup de fil. En anglais, on dira : I think I’d better give him a call.)

to observe + interrogative indirecte

Il faut se méfier des interrogatives indirectes, qui constituent un faux ami grammatical entre l’anglais et le français.

Dans mon domaine de spécialisation (l’éducation), il existe une tendance jargonnante particulièrement prononcée. Cette tendance crée en elle-même toutes sortes de problèmes, mais le pire est qu’elle fait que les spécialistes finissent par s’habituer à dire ou à entendre dire des choses qui ne correspondent à aucune réalité linguistique — sauf dans leur petit monde bien particulier, bien entendu.

Aujourd’hui, je m’intéresse à la formule anglaise to observe + interrogative indirecte et à la façon dont elle est rendue en français. Voici un exemple français tiré d’un site canadien sur l’enseignement des mathématiques :

Dans une perspective sommative, nous observerons *si l’élève manifeste les comportements A, B, C et D d’un domaine donné.

Ce site n’est pas bilingue. Mais il me paraît assez évident que, si ce passage n’est pas une traduction, il est à tout le moins rédigé par un francophone qui est plongé dans un milieu où sévit le jargon franglais des sciences de l’éducation et où trop de locuteurs sont influencés, consciemment ou non, par une tournure anglaise comme to observe whether students…

Contrairement au verbe anglais to observe, le verbe français observer ne se construit pas avec une interrogative indirecte. Il est suivi d’un complément d’objet qui est généralement un groupe nominal. La seule « exception » est qu’il peut aussi prendre un complément d’objet ayant la forme d’une subordonnée introduite par ce que. Le Robert donne ainsi comme exemple observer ce que fait quelqu’un (au sens de « examiner en contrôlant, en surveillant », qui est bien le sens qui nous intéresse ici).

Mais cela ne signifie pas, pour moi, que le verbe peut prendre n’importe quelle subordonnée de type interrogative indirecte. La subordonnée introduite par ce que pourrait certes être considérée comme une interrogative indirecte (qu’est-ce que quelqu’un fait ? => ce que quelqu’un fait), mais en réalité elle est formée d’un pronom démonstratif (ce) suivi d’une proposition relative, alors que les autres interrogatives indirectes sont introduites par un adverbe interrogatif (si, quand, pourquoi, comment, etc.) ou par une préposition suivie d’un pronom interrogatif (à qui, pour lequel, etc.).

La tournure ce que s’utilise sans difficulté avec toutes sortes de verbes français avec lesquels il ne viendrait à l’idée de personne d’utiliser une interrogative indirecte. On dira, par exemple, je te donne ce que je t’ai pris. Ce n’est pas une interrogative indirecte (qu’est-ce que je t’ai pris ? => ce que je t’ai pris). C’est simplement une façon condensée de dire « la chose que je t’ai prise ». Le complément du verbe est un groupe nominal avec une proposition relative.

La grammaire anglaise tolère l’emploi d’interrogatives indirectes après un bien plus grand nombre de verbes que la grammaire française. Il faut donc se méfier de ces tournures.

Malheureusement, il est impossible de s’appuyer sur les dictionnaires pour déterminer si tel ou tel verbe français peut se construire avec une interrogative indirecte (sauf si le dictionnaire donne des exemples confirmant cet usage). C’est quelque chose qui s’apprend en gros au cas par cas.

Et, dans le cas d’observer, la réponse est non. Le verbe se construit avec un groupe nominal ou avec une tournure de type ce que — et c’est tout.

Que dire alors dans l’exemple ci-dessus ? Quelque chose comme :

Dans une perspective sommative, nous observerons l’élève pour voir s’il manifeste les comportements A, B, C et D d’un domaine donné.

Autrement dit, on tourne les choses de façon à ce que le verbe observer soit suivi d’un groupe nominal et on ajoute un complément avec un verbe qui peut bel et bien, quant à lui, se construire avec une interrogative indirecte, comme voir dans cet exemple.

De même, quand l’anglais dit quelque chose comme :

Observe how quickly children can recognize the number of dots without counting.

on dira en français non pas :

Observez *à quelle vitesse les enfants reconnaissent le nombre de points sans compter.

mais plutôt :

Observez les enfants pour déterminer à quelle vitesse ils reconnaissent le nombre de points sans compter.

Et ainsi de suite.

La leçon est ici est assez claire : il faut se méfier des interrogatives indirectes, qui constituent un faux ami grammatical entre l’anglais et le français.