J’ai déjà expliqué, dans un article antérieur, qu’il fallait se méfier des structures de type participe + substantif en français qui sont calquées sur l’anglais. Alors que l’anglais tolère aisément un décalage entre l’élément central sur le plan grammatical et l’élément central sur le plan sémantique, tel n’est pas le cas en français, et la structure participe + substantif se rend généralement plutôt à l’aide d’une expression du type substantif + complément du nom.
Dans cet article antérieur, je fournissais comme exemple principal une structure avec un participe passé. Pour illustrer davantage le caractère répandu du phénomène, j’aimerais évoquer ici un exemple très courant de structure avec un participe présent.
Il s’agit de l’expression anglaise changing needs et de la façon dont elle est rendue en français. Lorsqu’on fait une recherche dans les différents sites Web bilingues du gouvernement du Canada, on trouve pour commencer des exemples où le traducteur n’est pas tombé dans le piège du calque et s’est bien efforcé de rendre l’expression en changeant la structure.
Mais il n’est pas nécessaire de pousser très loin la recherche pour trouver un exemple problématique :
Pour cette page, le traducteur est bel et bien tombé dans le piège :
Quel est le problème ici ? Il est tout simplement que l’évolution évoquée se fait non pas pour répondre aux besoins, mais pour tenir compte de l’évolution des besoins. Autrement dit, l’élément central sur le plan sémantique n’est pas needs, mais changing, et cela signifie qu’il faut changer la structure grammaticale en français pour faire de la notion exprimée par le participe présent l’élément central de la proposition :
Si on est dérangé par l’emploi du verbe répondre avec le complément l’évolution, il ne faut pas hésiter à le remplacer lui aussi :
Même situation sur cet autre site du gouvernement :
La version française de la page dit :
Ce n’est pas aux besoins que la Monnaie royale s’adapte, mais à l’évolution de ces besoins, au fait même que ces besoins changent. On dira donc plutôt :
Je pourrais continuer avec d’autres exemples. Mais je ne pense pas que ce soit nécessaire. Je pourrais aussi faire des recherches sur d’autres expressions courantes du type participe présent + substantif, avec des participes comme increasing, decreasing, widening, expanding, etc.
Dans tous ces exemples, cependant, le principe resterait strictement le même. Le français tolère bien moins que l’anglais le décalage entre grammaire et sens. Je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est lié à d’autres aspects fondamentaux de la langue, comme l’intonation et l’accentuation. Le français est une langue plus « logique », plus rigide que l’anglais — ce qui a, bien entendu, à la fois des avantages et des inconvénients. Mais lorsqu’on veut traduire, il est indispensable de tenir compte de telles différences fondamentales et de respecter l’« esprit » de la langue de destination, en résistant à la tentation du calque grammatical.