compter pour (to account for)

Faux ami si répandu que les francophones du Canada l’utilisent même quand l’original anglais n’utilise pas la tournure anglaise.

On a ici un exemple classique de faux ami grammatical, où le verbe par lui-même peut être un équivalent de l’anglais, mais pas quand il est construit avec une préposition particulière.

Je prends comme presque toujours un exemple tiré des sites bilingues du gouvernement fédéral du Canada. Voici l’original anglais :

Oils account for 58% of the total number of spills reported.

Et voici le pendant français :

Les huiles *comptent pour 58 p. 100 du nombre total de déversements déclarés.

Malheureusement, s’il existe bien une tournure compter pour en français, elle n’est jamais utilisée dans le sens que l’anglais donne ici à la tournure to account for, c’est-à-dire le sens de « représenter » :

Les huiles représentent 58 p. 100 du nombre total des déversements déclarés.

(Je ne m’attarde pas ici sur la question de savoir si le terme huile est acceptable dans ce contexte. C’est un autre débat.)

Le seul cas où, en français, compter pour semble avoir un sens à peu près équivalent est celui des expressions toutes faites compter pour rien et compter pour du beurre, qui relèvent du langage familier (et dont l’équivalent anglais n’utilise pas la tournure to account for). Mais en réalité les occurrences de la tournure compter pour en français correspondent à un sens nettement différent, qui est celui de « considérer ».

Le Grand Robert cite par exemple il le compte pour mort, signifiant « il considère qu’il est mort ». Et il donne également, sous la même rubrique, les tournures compter quelque chose pour rien et compter quelque chose pour du beurre, au sens de « considérer quelque chose comme négligeable » (toujours dans le registre familier).

Les expressions toutes faites compter pour rien et compter pour du beurre sont donc en fait simplement des formes intransitives de ces mêmes tournures, et le sens est plutôt « être considéré comme négligeable » que « ne rien représenter ». Je dirais donc que, même dans ces expressions figées du registre familier, la tournure compter pour ne correspond pas à l’anglais to account for.

(La tournure anglaise to account for a bien entendu encore d’autres sens sans aucun rapport, qui relèvent du sens de « rendre compte de », « être responsable de » du verbe.)

Le pire est que ce faux ami est tellement répandu chez les francophones du Canada qu’on le trouve désormais sous leur plume même quand ils traduisent des textes anglais qui n’utilisent pas la tournure to account for.

Voici un autre exemple en anglais :

Alberta’s share is 68%.

Et le pendant français :

L’Alberta compte pour 68 p.100 du total.

Bien entendu, l’équivalent français correct serait :

L’Alberta représente 68 p. 100 du total.

ou encore :

La part de l’Alberta est de 68 p. 100.

Le fait que le traducteur francophone a ici utilisé compter pour est révélateur. Il a tellement entendu cette tournure qu’il pense qu’elle est correcte et l’utilise même dans des contextes où son utilisation n’est pas due à l’influence directe de l’anglais.

L’influence est indirecte et encore plus sournoise.