proactive

L’adjectif anglais « proactive » est assez typique de la tendance jargonnante des spécialistes de diverses disciplines, dont l’éducation, la psychologie, l’administration, etc. Le problème du jargon est que, évidemment, face à un texte anglais jargonnant qu’on doit rendre en français, la tentation de jargonner de façon équivalente est grande.

L’adjectif anglais proactive est assez typique de la tendance jargonnante des spécialistes de diverses disciplines, dont l’éducation, la psychologie, l’administration, etc. Le problème du jargon est que, évidemment, face à un texte anglais jargonnant qu’on doit rendre en français, la tentation de jargonner de façon équivalente est grande.

L’exemple typique que je donne ces jours-ci est celui de la majorité des sites Web du gouvernement fédéral du Canada. Ceux-ci ont presque tous, en effet, en bas à gauche, un encadré ou un simple lien intitulé « Proactive Disclosure » (voir par exemple le site de Santé Canada), qui renvoie à une section expliquant les dispositions prises pour assurer la transparence des services et la divulgation des informations (contrats ou subventions dépassant un certain seuil, dépenses, condamnations, etc.) :

The Government of Canada has implemented a requirement for the proactive disclosure of financial and human resources-related information by departments and agencies.

Quelle traduction les responsables des versions françaises de ces sites ont-ils choisie en français pour « Proactive Disclosure » ? Vous l’aurez deviné :

Le gouvernement du Canada a mis en œuvre une exigence pour la divulgation *proactive des informations liées aux finances et aux ressources humaines par les ministères et les organismes.

Beurk.

Il me paraît évident que proactif est ici un anglicisme de la plus belle espèce. Il figure certes dans le Grand Robert, par exemple, mais apparaît clairement accompagné de la mention « Anglic. ».

Un tel jargon anglicisé est-il vraiment nécessaire ou inévitable ? Le Grand Robert mentionne que ce terme serait forgé par analogie à réactif, pour exprimer l’idée opposée, tout comme proactive s’oppose à reactive en anglais. Le hic est que l’adjectif réactif lui-même est d’un usage assez restreint en français. On l’utilise certes dans le langage des sciences physiques (force réactive) et de l’électricité (circuit réactif) et dans celui de la psychologie (et on utilise le substantif réactif en chimie, bien entendu).

Mais de là à prétendre que l’adjectif réactif ferait partie de la langue courante et qu’il serait donc justifié d’adopter son contraire apparent, il y a quand même un grand pas. Prenons la citation mentionnée par le Grand Robert dans l’article proactif : « un système de gouvernance nous permettant d’être à la fois proactifs et réactifs face aux évolutions du marché du travail ». Est-ce vraiment là un exemple de quelque chose qui se dirait de façon naturelle en français ? Cela me paraît être un exemple typique de jargon de fonctionnaire ou d’homme d’affaires.

Le problème ici, comme souvent, est que, dans un cas (reactive) comme dans l’autre (proactive), il n’existe pas vraiment d’équivalent adjectival direct dans la langue française courante. Il faut recourir à une périphrase. La tournure qui se rapproche le plus de l’adjectif anglais proactive en français est prendre les devants — qui est évidemment une tournure verbale se prêtant difficilement à l’adjectivation.

Cela veut dire qu’il faut, comme toujours, tourner les choses autrement et c’est apparemment trop demander pour un assez grand nombre de locuteurs et même de traducteurs.

Prenons l’exemple suivant, tiré d’une description de poste et évoquant l’une des tâches que le titulaire de poste doit assumer dans le cadre de ses fonctions :

Establish and maintain proactive linkages and relationships with other services.

Il me paraît abusif de prétendre qu’on peut vraiment dire en français quelque chose comme :

Établir et entretenir des relations et des liens proactifs avec les autres services.

Que veut-on dire ici ? Simplement que le titulaire du poste doit prendre les devants et nouer des liens ou des relations sans attendre que le besoin s’en fasse sentir. J’aurais donc tendance à faire de cette idée de « prendre les devants » l’élément central de la proposition, quitte à bouleverser quelque peu l’ordre des éléments :

Prendre les devants pour établir et entretenir des liens et des relations avec les autres services.

N’est-ce pas là quelque chose qui se dit plus naturellement en français et qui a le mérite de ne pas recourir à un anglicisme ?

Pour le cas de l’encadré « Divulgation proactive » des sites du gouvernement du Canada, l’une des excuses est probablement qu’il fallait un intitulé qui tienne en peu de mots, qui n’utilise qu’un nombre limité de caractères dans ce coin inférieur gauche des pages Web (quoiqu’on note fréquemment dans le même contexte des éléments nettement plus longs qui s’étalent sur deux ou même trois lignes, sans que cela semble gêner).

Mais alors, pourquoi ne pas oser quelque chose de tout simple, comme « Transparence » ? C’est clair et court et cela en dit sans doute au moins autant que « Divulgation proactive ». Et l’explication mentionnée au début du présent article pourrait être formulée de façon beaucoup moins jargonnante :

Le gouvernement du Canada impose désormais aux ministères et aux organismes de faire preuve de transparence et de divulguer les informations liées aux finances et aux ressources humaines.

On pourrait aussi utiliser ici « prendre les devants », mais il me semble inutile d’insister sur l’aspect chronologique.

Évidemment, d’aucuns diront que je vais trop loin ici en m’écartant de l’original. Il est vrai qu’on pourrait avancer l’argument que, si nos administrateurs choisissent de s’exprimer à l’aide d’un jargon en anglais, le devoir du traducteur est d’adopter un jargon équivalent en français. Mais il y a jargon et jargon. Le jargon de la traduction ci-dessus est un jargon bourré d’anglicismes. Pour rester plus proche du jargon anglais, je tolérerais à la limite quelque chose comme :

Le gouvernement du Canada impose une exigence de divulgation par anticipation des informations liées aux finances et aux ressources humaines par les ministères et les organismes.

Mais je n’irais pas plus loin et je ne vois vraiment pas la nécessité d’introduire dans la langue française un adjectif (proactif) qui ne sera jamais quelque chose qui se dira naturellement et qui sera toujours un anglicisme de jargonneur.

libre (free)

Exemple type de faute introduite par des spécialistes d’un domaine qui s’autoproclament lexicographes alors qu’ils ne maîtrisent pas eux-mêmes la langue et ne se méfient pas suffisamment des anglicismes.

Il y a quelques années, le gouvernement canadien a introduit un nouveau type d’épargne pour les contribuables appelé en anglais « Tax-Free Savings Account ». Comme souvent au Canada, la chose a été conçue en anglais par des anglophones et il a fallu trouver un terme français équivalent pour la population francophone.

Qu’est-ce que les traducteurs du gouvernement fédéral ont pondu ? Le « compte d’épargne libre d’impôt ».

C’est pour moi un anglicisme inacceptable.

L’adjectif libre est effectivement, dans plusieurs cas, l’équivalent français de l’adjectif anglais free. Mais il est très important d’examiner de près les définitions et les utilisations de libre en français.

Or, quand on examine l’article détaillé sur l’adjectif dans un dictionnaire comme le Grand Robert, il apparaît clairement que la structure libre de n’existe, en français, que dans des cas où l’adjectif libre s’applique à des personnes et non à des choses. On peut bien dire, ainsi, en français, que quelqu’un est libre d’entraves, libre de toute pression, etc.

On peut, par extension, appliquer la structure libre de à des choses plus ou moins abstraites qui sont clairement associées à une personne, comme son esprit ou son cœur. On pourra donc aussi dire des choses comme cœur libre de haine ou esprit libre de préjugés.

De même, on pourra utiliser la structure pour des concepts comme la justice, sachant que, là encore, il est question, en réalité, des personnes qui sont l’incarnation de ce concept. On pourra donc dire que la justice est libre de toute pression quand on veut dire en réalité que ce sont les juges qui le sont.

Mais ce qui n’existe tout simplement pas, en français, c’est l’utilisation de la structure libre de dans un sens métaphorique appliqué à des choses, comme l’adjectif free dans tax-free savings account. En anglais, tax-free veut en effet dire « free of taxes ». Mais, de même qu’on ne peut pas dire qu’une route est « *libre d’obstacles » (obstacle-free) ou qu’un yaourt est « *libre de sucre » (sugar-free), on ne peut tout simplement pas dire qu’un compte bancaire est « *libre d’impôt ». Il y a plusieurs façons de dire qu’un compte n’est pas soumis à l’impôt, mais la plus consacrée en français standard serait :

compte d’épargne exonéré d’impôt

Je sais bien qu’une base terminologique de référence comme TERMIUM, utilisée par de si nombreux traducteurs au Canada, donne la structure *libre d’impôt comme correcte, mais, si on vérifie les sources utilisées pour justifier cette mention « correcte », on verra qu’il s’agit de deux sources canadiennes ayant une légitimité relativement limitée sur le plan lexicographique. Ce n’est parce qu’on se fait auteur d’un Dictionnaire de la comptabilité et de la gestion financière qu’on est à l’abri des anglicismes, au contraire. Ce sont bien souvent les spécialistes de disciplines particulières qui s’autoproclament lexicographes et qui prétendent légitimer des expressions que l’usage normal dans la langue courante ne justifie pas.

Pour moi, il s’agit d’un exemple type d’anglicisme qui s’est sournoisement introduit dans le français canadien sous l’impulsion de spécialistes d’un domaine particulier (la comptabilité ou la fiscalité ici) qui ne maîtrisent pas suffisamment eux-mêmes les questions lexicographiques et ne sont pas suffisamment conscients des anglicismes qui pullulent dans leur domaine de spécialisation.