Je viens de recevoir un message électronique de Postes Canada, qui traverse en ce moment une période de crise avec une grève qui paralyse le service postal partout au pays. Et voici un extrait de ce message, de toute évidence traduit de l’anglais :
Je retrouve facilement l’original anglais du message sur le Web :
Le principal problème de l’énoncé français, comme je l’indique en gras, concerne le verbe suggérer. Le traducteur de Postes Canada l’utilise ici dans un sens qu’il n’a tout simplement pas en français, qui est celui de « laisser à penser », « sembler indiquer ».
En français, le verbe suggérer a bien le sens de « susciter l’idée ou l’image de quelque chose » ou de « faire penser à quelque chose », qui peut sembler assez proche du sens évoqué ci-dessus. Mais ce sens n’existe que pour le verbe employé avec un complément d’objet direct qui est un groupe nominal. Le verbe suggérer ne peut pas avoir ce sens lorsqu’il est employé avec une proposition infinitive (suggérer [à quelqu’un] de faire quelque chose) ou, comme ici, avec une proposition conjonctive introduite par que.
Quand il est employé avec une proposition infinitive ou conjonctive, le verbe suggérer, en français, a toujours comme sujet un nom de personne, a toujours (sous forme sous-entendue ou explicite) un complément d’objet indirect qui est une personne (à quelqu’un) et a toujours le sens de « donner à quelqu’un l’idée de faire quelque chose », « conseiller à quelqu’un de faire quelque chose », etc.
Or ce n’est bien entendu pas le cas ici. Ici, le sujet est un nom de chose (commentaires) et non de personne et surtout, le verbe est employé sans complément indirect. En outre, la proposition conjonctive ne décrit pas quelque chose qu’on conseille à quelqu’un de faire, mais un état de fait, un constat.
Que faudrait-il écrire alors ici ? Eh bien, tout simplement, par exemple, laisser à penser ou sembler indiquer :
(Je change aussi le temps des verbes, qui n’est pas approprié ici.)
Il ne s’agit pas d’un cas isolé. Je rencontre régulièrement dans mes travaux de traduction des originaux anglais relevant du domaine de la recherche universitaire ou des médias qui contiennent des structures du type :
ou encore :
On rencontre bien trop souvent au Canada de mauvaises traductions dans lesquelles cette tournure est rendue par quelque chose comme :
alors qu’il faudrait tout simplement dire quelque chose comme :
ou bien :
Mais j’irai encore plus loin. Il y a aussi des cas où l’anglais utilise to suggest avec un complément d’objet direct qui est un groupe nominal, mais où ce groupe nominal est en fait l’équivalent de quelque chose qui serait plus naturellement exprimé à l’aide d’une proposition conjonctive en français.
Je donnerai comme exemple cette page de Fisheries and Oceans Canada sur les moules, dont le titre est :
Et voici ce que dit la version française de la page :
Même avec un complément d’objet direct qui est un groupe nominal, pour moi la traduction n’est pas vraiment correcte. En effet, ce que l’anglais veut vraiment dire ici, c’est quelque chose comme :
Ce qu’indiquent les recherches, c’est un fait, une possibilité qui s’exprime plus naturellement sous la forme d’une proposition conjonctive en français. L’emploi d’un groupe nominal plutôt qu’une proposition conjonctive en anglais relève surtout d’un souci de concision, puisqu’il s’agit du titre d’un article, dans lequel l’auteur cherche à réduire au minimum le nombre de mots, en supprimant aussi par ailleurs les articles, comme le fait si naturellement l’anglais.
On retombe donc sur le même emploi de to suggest que celui qui est évoqué plus haut, ce qui veut dire que, ici encore, le verbe français suggérer n’est pas vraiment approprié. Le traducteur fait d’ailleurs clairement la faute plus loin dans le texte, où l’on trouve bel et bien la tournure suggest that, qui ne peut pas être rendue, comme le fait l’auteur, par *suggèrent que.
Pour le titre, même si l’anglais n’utilise pas de proposition conjonctive, on dira donc plutôt :
(Je ne m’attarde pas ici sur l’emploi du mot déplétion, qui me semble suspect. C’est un autre problème.)
Voir aussi: