assurance

De mon point de vue, il est malsain de limiter son vocabulaire en français de crainte de ne pas être compris ou d’être mal compris par ses interlocuteurs anglophones. L’utilisation d’une langue seconde est un apprentissage permanent et il n’y a pas de raison de rendre les choses plus faciles pour les anglophones quand ils ne font pas d’effort particulier, de leur côté, pour rendre les choses plus faciles pour les francophones. En situation minoritaire, le mot d’ordre est la résistance à l’envahisseur et l’utilisation d’un vocabulaire riche et varié fait partie des armes dont il est indispensable de se servir dans ce combat.

Le faux ami qui m’intéresse aujourd’hui est un peu différent. Il concerne la façon de rendre la notion de self-confidence en français.

Depuis que je travaille dans le domaine de l’éducation au Canada, où cette notion est bien entendu fréquemment évoquée, je ne peux pas m’empêcher de constater que les francophones canadiens semblent avoir un certain blocage concernant l’utilisation du substantif assurance.

Bien entendu, le sens moderne le plus courant de ce terme est celui de « contrat par lequel un assureur garantit à l’assuré, moyennant une prime ou une cotisation, le paiement d’une somme convenant en cas de réalisation d’un risque déterminé ».

Mais vous noterez comme moi que ce sens, dans l’article du Robert, n’est que le cinquième sens mentionné. La numérotation et l’ordre des sens donnés par le Robert ne sont pas toujours d’une grande pertinence, mais je constate quand même ici que le premier sens « moderne » du substantif assurance donné par le dictionnaire, en deuxième position, est celui qui m’intéresse, c’est-à-dire celui de « confiance en soi-même ».

Pourquoi alors utilise-t-on si peu le mot dans ce sens chez les francophones d’Amérique du Nord ? C’est à mon avis en raison de la crainte que le mot soit mal interprété par… les anglophones qui ne connaissent pas bien le français et qui sont exposés à des paroles ou des textes en français. En effet, il existe bien un substantif assurance en anglais qui a les mêmes sens que le substantif français dans le domaine de la confiance en soi et de la certitude (« confidence or certainty in one’s own abilities », mais aussi « certainty about something »). Mais il faut bien reconnaître que l’emploi du mot dans ce sens en anglais est rare et sans doute inconnu de la plupart des locuteurs anglophones.

Il me semble donc que la crainte des francophones en Amérique du Nord est que, lorsqu’un anglophone les entend parler d’assurance, il oriente tout de suite sa pensée vers le domaine de la protection financière en cas d’accident, c’est-à-dire de ce qui est principalement décrit en anglais à l’aide du substantif insurance. (Le substantif anglais assurance est aussi utilisé dans l’autre sens moderne d’assurance en français, mais surtout en anglais britannique et plus spécifiquement pour l’assurance-vie.)

Ce serait donc pour éviter toute confusion que les francophones d’Amérique du Nord auraient tendance à privilégier, pour rendre self-confidence en français, l’expression confiance en soi.

Est-ce que cela pose problème ? Oui et non. L’expression confiance en soi n’est pas fausse et n’est pas un anglicisme. Mais elle est un peu gênante dans la mesure où se pose toujours la question de savoir s’il faut l’accorder selon le contexte et replacer soi par lui-même, elle-même, eux-mêmes, elles-mêmes, etc. Le mot soi est certes neutre et peut s’employer aussi bien au pluriel qu’au singulier, mais quand on parle d’un individu spécifique, en particulier lorsqu’il est de sexe féminin, cela devient un peu maladroit de garder ce mot neutre au lieu d’utiliser un pronom qui s’accorde en genre et en nombre.

D’autre part, confiance en soi n’a pas d’équivalent adjectival, contrairement à l’anglais, qui a self-confident. On ne dira pas, par exemple, des élèves, qu’ils sont *confiants en soi ou *confiants en eux-mêmes. (On peut dire confiant tout seul, mais c’est dans un sens un peu différent.) L’emploi de confiance en soi oblige donc à utiliser des structures différentes, avec des propositions relatives qui peuvent alourdir le texte.

Cela dit, assurance n’a pas non plus d’équivalent adjectival en français moderne. On peut certes utiliser l’adjectif assuré, mais principalement avec des noms de choses (une démarche assurée, des pas mal assurés, etc.) ou avec des noms qui ne renvoient à la personne qu’indirectement (un air assuré, un regard assuré, etc.) — et encore, dans un registre surtout littéraire.

En revanche, quand il s’agit du substantif et qu’il s’agit de rendre la notion de self-confidence, il me semble qu’il est un peu malsain de la part des francophones d’Amérique du Nord de vouloir éviter à tout prix assurance, au motif que cela pourrait prêter à confusion pour les anglophones. C’est, selon moi, une illustration parmi tant d’autres de l’influence insidieuse de l’anglais sur le français dans cette région du monde, mais d’une forme différente d’influence dans ce cas, puisque c’est surtout pour les anglophones que le substantif français assurance pourrait être un faux ami.

De mon point de vue, il est malsain de limiter son vocabulaire en français de crainte de ne pas être compris ou d’être mal compris par ses interlocuteurs anglophones. L’utilisation d’une langue seconde est un apprentissage permanent et il n’y a pas de raison de rendre les choses plus faciles pour les anglophones quand ils ne font pas d’effort particulier, de leur côté, pour rendre les choses plus faciles pour les francophones. En situation minoritaire, le mot d’ordre est la résistance à l’envahisseur et l’utilisation d’un vocabulaire riche et varié fait partie des armes dont il est indispensable de se servir dans ce combat.