Le préfixe « co- »

Pas de trait d’union en français.

Le préfixe co- est un préfixe d’origine latine qui se prête relativement bien, en anglais comme en français, à la création de nouveaux mots. On trouve dans les dictionnaires français des mots comme coaccusé, coacquéreur, coauteur, coéquipier, copilote, etc. Dès lors qu’il existe l’idée d’une collaboration, d’un partage des responsabilités, d’une condition commune, il y a possibilité de créer un composé de ce type, même s’il n’apparaît pas dans le dictionnaire. Et le phénomène est le même en anglais.

Il y a cependant une différence de taille entre les deux langues : en français, le préfixe se construit sans trait d’union. (Je n’ai mis de trait d’union en faisant référence au préfixe lui-même ci-dessus que parce que c’est la convention lexicographique pour distinguer les préfixes des autres mots.)

Autrement dit, une tournure anglaise comme :

Mr. X and Mrs. Y are co-chairing the committee.

donnera en français non pas :

M. X et Mme Y. assurent la *co-présidence du comité.

mais :

M. X et Mme Y. assurent la coprésidence du comité

Comme les autres exemples mentionnés ci-dessus le montrent, il n’y a normalement pas d’exception à cette règle, même si le nom auquel on ajoute co- commence par une voyelle et même si cette voyelle est un o. (À la différence de l’anglais, il n’y a pas de risque, en français, que le oo soit mal interprété et prononcé [u].)

Malheureusement, il semble qu’on tolère de plus en plus, en particulier dans le domaine scientifique, la graphie avec trait d’union. Je trouve, par exemple, dans TERMIUM, pour co-polarization, à la fois copolarisation et co-polarisation, tous deux affublés du label « correct ». Cette tendance est très probablement due à l’influence de l’anglais et il est recommandé d’y résister autant que possible, surtout en dehors du domaine scientifique.

Il n’y a en réalité aucune raison ni de tolérer ni d’exiger ce trait d’union, qui ne correspond ni à l’histoire de la langue française ni aux dernières tendances en matière de simplification de l’orthographe, dont l’objectif est plutôt d’éliminer les traits d’union superflus et non d’en ajouter !

partager (to share)

Emploi fautif du verbe en français sous l’influence de Facebook et des autres outils informatiques modernes et mal traduits.

L’emploi de partager en français comme le verbe to share est employé en anglais constitue un cas de faux ami exemplaire à plusieurs égards.

Pour commencer, on notera que la ressemblance entre partager et to share n’a rien d’évident de prime abord. Les deux mots n’ont rien de commun sur le plan étymologique. Comment se fait-il alors qu’on ait pu déboucher sur un problème de faux ami ?

La première raison est bien entendu qu’il y a une forte intersection entre les deux mots sur le plan sémantique. Oui, au sens propre de « diviser en parts qu’on peut distribuer », le verbe partager est bel et bien l’équivalent de l’anglais to share. Pour rendre une phrase comme :

I would like to share this pizza with you.

on dira bien en français :

J’aimerais partager cette pizza avec vous.

Jusque-là, l’ami n’est pas faux. Et comme la notion de partage est quelque chose de très répandu dans la société, les francophones qui apprennent l’anglais et les anglophones qui apprennent le français sont naturellement enclins à penser que partager est l’équivalent de l’anglais to share dans tous les cas.

Le problème se pose dès qu’on s’écarte du sens littéral de partage pour passer à des sens plus figurés en anglais. Or, comme le note Jacques Desrosiers dans une chronique de 2004 (« Pensez-y bien avant de partager vos opinions »), l’emploi de to share pour exprimer l’idée d’une simple communication de quelque chose à quelqu’un (sans idée de division en parts) est quelque chose d’assez récent, même en anglais :

Pauline Kael shares her thoughts on the movie.

Ici, l’idée n’est pas celle de la division d’un tout (les pensées de la journaliste) en parts. Pauline Kael ne va pas diviser ses pensées en plusieurs « morceaux » et en donner certaines à telle personne et d’autres à telle autre. Elle va simplement parler de ce qu’elle pense du film, dire ce qu’elle pense à ses lecteurs.

Le hic est que ce sens figuré de to share, lui-même encore relativement récent en anglais, n’existe tout simplement pas pour le verbe partager en français. On ne pourra donc pas dire :

Pauline Kael *partage ses réflexions sur le film.

La seule expression française qui utilise la racine du verbe partager et qui ait un sens équivalent à ce sens figuré de to share en anglais est l’expression faire part de :

Pauline Kael fait part de ses réflexions sur le film.

Mais c’est une tournure qui relève d’un français assez soutenu. Dans la langue courante, on dira plutôt tout simplement :

Pauline Kael évoque ses réflexions sur le film.

Ou encore :

Pauline Kael dit ce qu’elle pense du film.

Il existe une multitude de termes en français pour exprimer l’idée d’une communication. Ce rappel linguistique du Bureau de la traduction du gouvernement fédéral du Canada en donne plusieurs exemples.

Nul besoin par conséquent d’importer un nouveau terme de l’anglais pour exprimer quelque chose qui se dit déjà si bien et si facilement de tant de manières différentes !

Il faut cependant noter qu’il existe bel et bien aussi en français des emplois figurés du verbe partager, dans lesquels l’idée de division en parts pour la distribution est là aussi effacée. Par exemple, on dira en français :

Je partage votre douleur.

Mais là, la relation est inversée, puisque c’est le sentiment de quelqu’un d’autre qu’on partage et non son propre sentiment ! Ce que le verbe partager exprime ici, c’est l’idée d’empathie. Il est intéressant de noter que, dans ce sens-là, l’anglais aura tendance à éviter to share et à utiliser plutôt quelque chose comme :

I feel your pain.

C’est peut-être précisément en raison du sens de communication de to share en anglais qu’on évite de dire « I share your pain » ici, parce que cela risquerait de déboucher sur un malentendu.

De même, il existe en français l’expression faire partager, qui renverse à nouveau la relation et se rapproche du sens figuré de l’anglais to share :

J’aimerais vous faire partager mon enthousiasme.

Cette tournure est effectivement en gros l’équivalent de l’anglais :

I would like to share my enthusiasm with you.

Mais on voit bien ici que le verbe partager lui-même (sans faire) continue de fonctionner dans le sens inverse du sens figuré de to share en anglais, puisque c’est l’interlocuteur qui doit « partager » (l’enthousiasme) et non le locuteur.

Ces divers sens figurés sont bien entendu une source de confusion pour les gens et c’est ce qui explique, en partie, la propagation du faux ami partager en français qu’on observe depuis plusieurs années maintenant.

Il ne fait pas de doute, pour moi, qu’un des principaux facteurs expliquant cette propagation et son accélération est la popularité croissante des outils informatiques et en particulier des structures appelées « réseaux sociaux », comme Facebook, MySpace, etc. La plupart de ces logiciels et de ces structures sont d’origine américaine et ils présentent tous des fonctionnalités servant à l’échange d’informations, d’images, de clips vidéo, etc. Les interfaces informatiques exigeant qu’on s’exprime en peu de mots, c’est bien souvent le verbe to share qui entre dans la conception des commandes de menu ou des boutons servant à cet échange.

Malheureusement, les gens qui sont chargés de traduire ces interfaces dans d’autres langues, comme le français, ne sont pas toujours des traducteurs professionnels et se laissent trop souvent tenter par des anglicismes qui ne correspondent pas à la réalité de l’usage des termes dans l’autre langue. Et c’est comme ça qu’on se retrouve, dans l’interface française d’un outil comme Facebook, avec un bouton intitulé… « Partager ». (Il y a tant de problèmes de langue dans les traductions françaises des interfaces des logiciels américains que, la plupart du temps, je préfère quant à moi utiliser ces logiciels dans leur langue d’origine. J’écris par exemple le présent article dans un logiciel dont l’interface est en anglais.)

Cela étant dit, l’anglicisme *partager est aujourd’hui si répandu qu’on le retrouve même, malheureusement, chez les traducteurs professionnels. Je viens justement de recevoir, par exemple, une communication en provenance du Conseil des traducteurs, terminologues et interprètes du Canada (CTTIC), dans laquelle il est écrit noir sur blanc : « Je vous saurais donc gré de bien vouloir prendre quelques minutes pour partager votre opinion en répondant au questionnaire. »

Et c’est signé du président de l’organisme. Ouille. (Je suis prêt à lui accorder le bénéfice du doute et à envisager l’éventualité que la version française de sa communication bilingue ait pu avoir été rédigée par quelqu’un d’autre, mais quand même…)

Si même les traducteurs professionnels se laissent tenter, il y a de bonnes raisons de penser que la situation est grave.

Est-elle irréversible ? C’est difficile à dire… J’entends de plus en plus cet emploi fautif de partager non seulement au Canada français, mais même dans l’hexagone, principalement sous l’influence des réseaux sociaux. Mais je constate aussi que le phénomène reste encore, en France du moins, limité au domaine informatique. Comme je l’ai dit plus haut, il existe tant d’autres façons en français d’exprimer l’idée de communication, de transmission d’informations ou d’émotions que la nécessité d’élargir l’anglicisme *partager à d’autres domaines ne semble pas encore pour le moment se faire sentir.

Si un jour elle se manifeste et si l’emploi se répand vraiment dans tous les domaines, alors il faudra sans doute s’y plier et voir dans partager au sens anglais un nouvel « apport » de l’anglais au français moderne. En attendant, je recommande vivement aux personnes soucieuses de s’exprimer dans un français soigné et d’éviter les anglicismes de ne pas… partager l’enthousiasme de ceux qui utilisent déjà cet anglicisme à tour de bras.

compléter (to complete)

Anglicisme très courant au Canada, mais ne correspond à aucune définition du verbe en français standard.

En français, on ne peut compléter quelque chose qu’en lui ajoutant autre chose. Autrement dit, le verbe français compléter est, dans la plupart des cas, l’équivalent approximatif du verbe anglais to complement et non du verbe anglais to complete.

L’emploi du verbe français compléter au sens du verbe anglais to complete est malheureusement très répandu au Canada francophone.

to complete an exercise
to complete a marathon
to complete a course

Ces expressions donnent des choses comme :

*compléter un exercice
*compléter un marathon
*compléter un cours

Tous ces emplois sont faux et inacceptables en français, parce que compléter un exercice voudrait dire en faire un autre, qui vienne s’ajouter à celui qu’on vient de faire; compléter un marathon signifierait faire une autre activité physique en complément; et compléter un cours signifierait faire une autre activité pour compléter ce qu’on a appris dans le cours.

Comme les exemples ci-dessus le montrent, le verbe anglais to complete est une espèce de verbe passe-partout qui sert à évoquer la réalisation de toutes sortes de tâches. Or il n’existe pas de verbe français unique ayant le même caractère de passe-partout, à part peut-être le verbe faire. En français, on dira donc des choses comme :

faire un exercice
courir un marathon
suivre un cours

Vous trouverez toujours des francophones au Canada qui essayeront de vous expliquer que l’anglais to complete exprime quelque chose de plus (une certaine notion d’achèvement), et que la seule manière de l’exprimer en français est d’employer le verbe compléter au sens anglais.

C’est évidemment faux. Si on veut vraiment exprimer l’idée d’achèvement (ce qui est loin d’être toujours le cas, vu que to complete est utilisé si couramment que, dans bon nombre de cas, il est tout simplement l’équivalent de faire et qu’il n’y a aucune intention d’insister sur l’achèvement de la chose), on peut aussi utiliser un verbe comme finir, terminer ou achever, justement. Ainsi :

He has completed three exercices.

pourra être rendu par :

Il a terminé trois exercices.

Mais il ne faut pas se forcer à toujours exprimer explicitement cette notion d’achèvement quand on cherche à rendre l’anglais to complete en français, parce que, comme dit, dans la plupart des cas, ce n’est pas l’intention en anglais non plus.

Le problème peut sembler plus complexe quand le verbe to complete est combiné à un adverbe, comme successfully :

He has successfully completed the course.

Nous verrons dans un autre article tous les problèmes de faux amis liés à la polyvalence de l’anglais success — mais c’est une autre question. Ici, la question est de savoir comment rendre une telle expression sans recourir au faux ami *compléter.

Pour moi, la solution est simple. Puisque le verbe anglais to complete est un passe-partout sans sens propre, on peut sans hésiter remplacer l’expression to successfully complete par un simple verbe en français, c’est-à-dire en faisant de l’adverbe le verbe et en éliminant le verbe de l’original :

Il a réussi au cours.

(Je passe ici sur la question de la construction du verbe réussir avec la préposition à. Elle mérite elle aussi un article séparé.)

On pourra même dire tout simplement :

Il a terminé le cours.

même s’il est vrai qu’il est théoriquement possible de terminer un cours tout en étant en situation d’échec. Si le contexte laisse la moindre ambiguïté concernant la réussite ou l’échec de l’individu, on préférera le verbe réussir, mais sinon, le verbe terminer est largement suffisant :

Il a terminé le cours avec une moyenne de 18 sur 20.

Ici, exprimer explicitement l’idée de réussite serait redondant, puisque, avec une moyenne pareille, il n’y a pas de doute possible.

Pour revenir au faux ami compléter, il faut peut-être préciser qu’il y a un contexte particulier dans lequel il pourrait être considéré comme un équivalent acceptable de to complete :

Please complete this form and send it back to XXX.

Comme un formulaire est généralement quelque chose qui contient des « trous » et que le fait de le remplir lui ajoute quelque chose, on pourrait à la limite penser que la phrase suivante est acceptable :

Veuillez compléter ce formulaire et le renvoyer à XXX.

Mais même ici, on se tromperait. Le formulaire est en soi complet. Il comprend toutes les parties qu’il est censé comprendre. La preuve en est qu’on peut très bien dire quelque chose comme « veuiller remplir le formulaire au complet ». Il n’est donc pas « incomplet » et on n’a pas à le « compléter » (par autre chose).

En réalité, ce qu’on « complète », ce n’est pas le formulaire lui-même, mais les différentes rubriques incomplètes de ce formulaire, de même que, quand on a un exercice en cours de langue dans lequel il faut compléter des phrases incomplètes, on complète les phrases, mais on ne *complète pas l’exercice lui-même.

Le verbe le plus approprié pour un formulaire est donc remplir.

Veuillez remplir ce formulaire et le renvoyer à XXX.

administrer (to administer)

On administre un sacrement religieux, une punition ou un médicament, mais pas un test.

Ce faux ami est de plus en plus répandu au Canada francophone dans le monde de l’éducation, pour tout ce qui a trait aux examens, tests et autres évaluations.

En anglais, on dit effectivement to administer [a test/exam/assessement] au sens de « faire passer [le test/l’examen/l’évaluation] » aux élèves ou aux étudiants concernés. Mais en français, le verbe administrer ne peut être utilisé dans ce sens. Les définitions et les exemples du dictionnaire sont clairs : on peut administrer des biens (quand on en est responsable selon la loi), une population/région/ville (quand on est maire, président, etc.) et on peut administrer à quelqu’un un sacrement comme le baptême ou l’extrême-onction (quand on y est habilité par l’Église) ou encore un remède médical. On peut également, dans la langue familière, administrer à un individu qui se conduit mal ou qui fait des bêtises une punition corporelle, comme des coups, une fessée, etc.

Mais c’est tout. Autrement dit, lorsque l’anglais dit :

This assessment was administered to Grade 12 students on May 13.

on ne peut pas dire quelque chose comme :

Cette évaluation a été *administrée aux élèves de douzième année le 13 mai.

C’est tout simplement un anglicisme, sauf si vous considérez que l’évaluation en question est un sacrement ou encore une punition (mais même là, il vaudrait mieux dire quelque chose comme « Cette évaluation a été infligée aux élèves… »).

Le hic est bien entendu qu’il n’existe pas d’équivalent strict de l’anglais to administer dans ce sens en français, c’est-à-dire un verbe qui se construirait de la même façon (avec l’évaluation en complément d’objet direct et les élèves/étudiants en complément indirect introduit par la préposition à). Il faut accepter ici d’utiliser une tournure légèrement différente, comme :

Cette évaluation a été organisée pour les élèves de douzième année le 13 mai.

ou encore :

Cette évaluation des élèves de douzième année s’est déroulée le 13 mai.

Seulement, les choses étant ce qu’elles sont, les francophones du Canada qui connaissent le verbe to administer en anglais ont l’impression que, si on ne dit pas administrer en français, on ne dit pas exactement la même chose. C’est évidemment absurde, puisque tout ce qu’une phrase comme « This assessment was administered to Grade 12 students on May 13 » veut dire, c’est précisément que l’évaluation s’est déroulée à la date du 13 mai pour les élèves de douzième année. Les deux solutions correctes proposées ci-dessus sont donc parfaitement convenables et il n’y a pas de raison d’utiliser le faux ami administrer, sauf si on considère que l’anglicisme est entré dans l’usage et que son intégration est irréversible, ce qui est à mon avis loin d’être le cas.

to let someone know

Expression fautive très répandue au Canada et constituant un anglicisme caractérisé.

Voici un faux ami très répandu en Acadie et ailleurs au Canada francophone. En anglais, on dit couramment :

Let me know when you are ready.

Et cela donne malheureusement souvent, chez les francophones du Canada, quelque chose comme :

*Laisse-moi savoir quand tu seras prêt.

Le faux ami ici n’est pas un mot en particulier, mais une certaine combinaison de mots, qui forme une expression toute faite.

Les verbes to let et to know ont effectivement pour équivalents (en gros) en français laisser et savoir, mais l’expression toute faite *laisser savoir n’existe tout simplement pas en français. L’idée d’informer quelqu’un de quelque chose peut être rendue de nombreuses façons différentes en français, mais dans ce cas-ci, les équivalents les plus courants seront des choses comme :

Dis-moi quand tu seras prêt.
Fais-moi signe quand tu seras prêt.

On constate que, une fois n’est pas coutume, le français s’avère être plus court que l’anglais. Et c’est parce qu’il envisage l’acte d’informer quelqu’un de quelque chose non pas sous l’angle de l’impact que cette information aura sur le locuteur, comme le fait l’anglais (qui considère que la transmission de l’information fera en sorte qu’elle fera partie du savoir du locuteur), mais sous l’angle de l’acte que l’interlocuteur lui-même devra accomplir pour transmettre cette information au locuteur : il devra lui dire la chose ou bien lui faire un signe l’informant de la chose.

C’est une façon différente de voir les choses et cette façon différente de voir les choses débouche sur une différence sur le plan idiomatique qui interdit la traduction littérale de l’anglais.

On notera aussi que, dans certains cas, l’anglais to let someone know est utilisé en référence à un interlocuteur plus flou, qui est moins clairement défini et qui n’est pas en relation directe avec le locuteur. Par exemple, on verra dans un journal ou une revue une invitation comme la suivante :

Let us know your opinion!

Ici encore, il est hors de question de traduire littéralement :

*Laissez-nous savoir votre opinion !

Mais les solutions correctes mentionnées ci-dessus ne sont pas non plus adaptées à la situation. Dans ce cas-ci, on aura plutôt recours à des expressions qui se rapprochent de l’angle utilisé en anglais, c’est-à-dire qui font référence à l’impact que la réponse de l’interlocuteur aura sur le locuteur :

Faites-nous savoir votre opinion !
Faites-nous part de votre opinion !

L’expression française faire savoir relève d’un langage un peu soutenu, mais c’est elle qui est la plus proche de l’anglais sur le plan littéral. La grande différence avec l’anglais to let someone know est que faire savoir ne sera jamais utilisé dans la langue courante lorsque l’interlocuteur est clairement défini et en contact direct avec le locuteur. Pour reprendre le premier exemple ci-dessus, on pourra certes dire :

Fais-moi savoir quand tu seras prêt.

mais seulement si cette information est appelée à être transmise de façon indirecte au locuteur, en passant par un tiers. (Par exemple, on peut faire savoir à son directeur qu’on est prêt en le disant à sa secrétaire, qui se chargera de lui transmettre le message, c’est-à-dire de faire en sorte qu’il le sache.)

Quant à faire part de quelque chose à quelqu’un, c’est là encore une expression qui relève d’un langage relativement soutenu et qu’on n’utilisera pas dans la langue courante au quotidien, mais plutôt dans des communications officielles, de nature plus formelle. Il est également à noter que le substantif faire-part en français désigne une lettre ou un billet qui annonce une nouvelle, mais est surtout utilisé pour les événements marquants comme les naissances et les décès.

Singulier ou pluriel ? [1]

Le mot « information » a un sens différent selon qu’on l’emploie au singulier ou au pluriel et cette différence est propre au français.

Le mot information a à peu près le même sens en anglais et en français. Il n’est donc pas un faux ami sur le plan strictement lexical.

En revanche, il est utilisé sous des formes différentes en anglais et en français. En particulier, il y a de nombreux cas où l’anglais utilise le nom au singulier alors que le français utiliserait le pluriel.

Voici un exemple :

I have some information that I want to share with you.

En guise d’équivalent, au Canada francophone en particulier, on entend bien trop souvent en français une tournure comme celle-ci :

J’ai *de l’information dont je veux vous faire part.

Mais c’est inacceptable. Le substantif information ne peut pas être utilisé ainsi comme un nom non comptable (non dénombrable) en français. Soit on l’utilise au singulier avec l’article indéfini (une information) — mais alors cela implique qu’on a une seule information à présenter — soit on l’utilise au pluriel avec l’article indéfini pour rendre l’idée d’une quantité indéfinie :

J’ai des informations dont je veux vous faire part.

Il est bel et bien possible d’utiliser information au singulier en français dans différents contextes. Il peut arriver, après tout, qu’on n’ait qu’une information à présenter.

Il est également possible de faire référence au secteur journalistique qui s’occupe de l’actualité comme étant le secteur de l’information. On dira alors qu’un présentateur de journal télévisé, par exemple, travaille dans l’information. C’est un sens plus abstrait du terme : l’information est la notion générale ; les informations sont les manifestations concrètes de cette notion, les exemples de la notion définissant le secteur dans lequel on travaille.

On utilise aussi information au singulier dans des expressions comme élément d’information, réunion d’information, etc. et en particulier dans les fameuses technologies de l’information et de la communication (les TIC). Là encore, il est question d’information dans un sens plus abstrait, mais qui en outre ne se limite pas aux informations qui font l’actualité et concerne tous les types d’information, quels qu’ils soient.

Dans tous ces exemples, le caractère abstrait d’information au singulier n’en fait pas vraiment un substantif non comptable. Dans tous les cas où l’anglais traite information comme un substantif singulier non comptable, le français utilise le pluriel :

There is a lot of information in this document.
Il y a beaucoup d’*information dans ce document.
Il y a beaucoup d’informations dans ce document.

Ce phénomène ne se limite pas au substantif information. Le terme communication se comporte de façon semblable. (L’anglais hésite d’ailleurs beaucoup plus entre singulier et pluriel pour communication que pour information.) Mais le cas d’information est particulièrement frappant et suscite de nombreuses utilisations impropres au Canada francophone.

Verbe ou adverbe ? [1]

Il ne faut pas hésiter à changer de catégorie grammaticale pour exprimer les choses dans un français qui soit naturel et ne soit pas un simple calque de l’anglais.

Il arrive assez fréquemment que ce qui s’exprime à l’aide d’un verbe en anglais s’exprime à l’aide d’un adverbe ou d’un syntagme adverbial en français. On connaît l’exemple typique :

He ran across the street.

Cette phrase très simple ne peut se traduire littéralement en français :

Il *a couru à travers la rue.

Au lieu de cela, en français, la notion de passage à travers la rue est rendue par le verbe traverser et la notion de course est rendue par un syntagme adverbial :

Il a traversé la rue en courant.

Autrement dit, ce qui était une préposition en anglais (across) est devenu le verbe (traverser) et ce qui était le verbe en anglais (to run) est devenu un complément circonstanciel (en courant).

Dans mon exemple, le complément circonstanciel utilise le participe présent du verbe courir, mais on pourrait très bien avoir un complément où la notion de course devient un substantif :

Il a traversé la rue au pas de course.

Ce type d’exemple de changement de fonction grammaticale de la notion est classique et enseigné dans tous les cours d’anglais.

Mais il faut également noter que le phénomène inverse peut aussi se produire, c’est-à-dire que ce qui est un adverbe en anglais peut correspondre à un verbe en français. Voici un exemple tiré des documents sur l’éducation sur lesquels je travaille au quotidien.

The teacher implements a program that successfully develops positive interactions between students.

Je fais abstraction ici du côté jargonneux de ce type de phrase. Je m’intéresse plutôt à la façon dont on va rendre la structure en gras en français. Si on ne fait pas attention, on peut être tenté de suivre le modèle anglais et de dire quelque chose comme :

L’enseignant met en œuvre un programme qui *met en place avec succès des interactions positives entre les élèves.

Dans cette phrase, ce qui était un verbe en anglais (to develop) devient en gros un verbe en français (mettre en place) et ce qui était un adverbe (successfully) devient un syntagme adverbial (avec succès). Mais pour moi, une telle tournure n’est pas acceptable, entre autres parce que le substantif succès n’est pas strictement équivalent à l’anglais success. Ici, ce qui est un adverbe en anglais va en fait devenir le verbe principal de la proposition :

L’enseignant met en œuvre un programme qui réussit à mettre en place des interactions positives entre les élèves.

C’est le verbe réussir qui rend le mieux, en français, la notion exprimée par l’adverbe successfully en anglais. Il faut donc oser s’écarter de l’original anglais et ne pas chercher à calquer systématiquement les différents éléments de la phrase en faisant une traduction mot à mot. La ressemblance entre les fonctions grammaticales en anglais et les fonctions grammaticales en français est une chose dont il faut se méfier.

régulier (regular)

Anglicisme très répandu au Canada français et qui donne à l’adjectif « régulier » un sens qu’il n’a pas en français standard.

L’adjectif régulier est très couramment employé au Canada français dans un sens qu’il n’a pas en français :

He is enrolled in the regular program.

Ce concept de regular program est rendu par régulier dans un sens fautif :

Il est inscrit au programme *régulier.

En français, régulier peut avoir en gros les sens suivants :

  • « net ou symétrique » (géométrie, surface)
  • « périodique » (battement de cœur, etc.)
  • « conforme aux règles«  (verbes réguliers, situation régulière, coup régulier [dans un sport])

Aucun de ces sens ne correspond à celui de l’adjectif anglais regular, qui signifie « ordinaire », « normal ». On utilisera en français un adjectif exprimant cette normalité ou ce caractère ordinaire dans le contexte concerné. Ici, disons qu’il s’agit d’un établissement universitaire qui offre non seulement un programme normal d’université, mais aussi un programme d’immersion française qui n’est pas un programme d’études universitaires, mais plutôt un programme d’études préalable au programme d’études universitaires, que doivent suivre les étudiants qui souhaitent s’inscrire au programme universitaire mais ne maîtrisent pas encore suffisamment la langue française.

On ne parlera pas alors de « normal », bien entendu, puisque cela sous-entendrait que le programme d’immersion en question serait un programme « anormal ». On ne parlera pas non plus de programme « ordinaire », puisque cela pourrait être mal interprété, l’adjectif ayant un sens péjoratif dans certains contextes. Ici, on dira plutôt tout simplement :

Il est inscrit au programme universitaire.

Dans d’autres contextes, ordinaire s’avérera tout à fait acceptable. Mais on pourra être contraint de tourner la phrase un peu différemment. Par exemple :

I couldn’t get an appointment with my regular barber.

sera rendu par quelque chose comme :

Je n’ai pas pu prendre rendez-vous chez le coiffeur chez qui je vais d’ordinaire.

Mais on pourra aussi dire tout simplement :

Je n’ai pas pu prendre rendez-vous chez mon coiffeur habituel.

Dans tous les cas, dans ce sens très courant de regular en anglais, il est hors de question d’utiliser régulier dans la langue écrite ou soignée en français, comme le font tant de francophones au Canada.